La
parole à … Dominique Wolton
Membre du Haut Conseil de la Francophonie et du comité
d’honneur du Festival francophone en France, le sociologue
Dominique Wolton (CNRS) est le messager d’une francophonie décomplexée,
libérée de son cadre historique, qui inscrit sa singularité
dans une mondialisation non plus redoutée, mais assumée. Et,
comme on peut le constater ici, Wolton, bretteur infatigable sur
le front de la diversité culturelle et du français, n’a pas
coutume de pratiquer la langue de bois !
fff
: Les 27 et 28 avril prochain, au Sénat, c’est un colloque
intitulé «La mondialisation : une chance pour la francophonie »
qui marquera le point d’orgue de votre intervention dans le
cadre du Festival. Ne craignez-vous pas qu’on vous reproche
d’ajouter inutilement des mots aux mots et est-il vraiment
souhaitable de multiplier ainsi les débats ?
D.W.
: Ce Festival survient au moment où la boîte de
Pandore s’est déjà ouverte, que nous le voulions ou non. Les
limites de la loi sur les bienfaits de la colonisation, les émeutes
dans les banlieues, les interrogations sur la politique
d’immigration et ses conséquences, les vicissitudes de l’intégration.
Que la France admette qu’elle soit multiculturelle. C’est une
richesse. Multiculturelle par les outre-mers et les enfants de
l’immigration. Et au coeur de la diversité culturelle avec la
Francophonie. Une France ouverte sur le monde et qui n’a rien à
voir avec le déclinisme. Les rencontres qui auront lieu dans le
cadre de francofffonies ! seront l’occasion de rappeler aussi
qu’une société n’est pas seulement définie par son économie.
La nôtre est riche de toutes les identités qui la constituent,
à l’instar de notre langue, nourrie d’apports qui lui sont
venus du monde entier. Ce débat vaut « en soi », par son
existence même, du fait qu’il intervient dans des conditions
qui sont mûres pour l’accueillir, grâce aux universitaires,
aux militants, aux chercheurs qui l’ont préparé et lui ont
ouvert la voie depuis des années.
fff
: Ne peut-on s’attendre à ce que s’y expriment des
revendications précises ?
D.W.
: Bien sûr ! Le colloque est aussi le lieu d’une
prise de parole, où tout ressort. Et c’est normal. Notamment en
ce qui concerne les visas : il n’y a pas de mondialisation sans
liberté de circulation, non seulement pour les marchandises, mais
aussi pour les hommes. Comment se fait-il que les seuls
qui sont aujourd’hui admis à circuler librement sont les hommes
d’affaires ? Il faut évidemment aller au-delà. Il est urgent
que la France, en particulier, fasse son « aggiornamento » pour
échapper au « karcher » culturel, et pour respecter la richesse
de tous ses enfants. Par exemple, je suis pour une coopération
transnationale entre les universités, des échanges de programmes
et d’étudiants, bref, pour un Erasmus francophone...
fff
: Devra-t-il aussi y être question du réseau culturel français
à l’étranger ?
D.W.
: C’est un paradoxe pathétique : au moment où il
faut s’ouvrir à la mondialisation, on réduit la voilure de nos
services dans un réseau constitué depuis un siècle, qui était
l’un des meilleurs au monde ! On marche sur la tête ! Jamais
l’universalisme que porte la Francophonie n’avait plus de
chances d’être entendu et c’est alors qu’on réduit la
politique culturelle extérieure ! L’argument économique avancé
ne fait que traduire une absence de volonté de l’ensemble de la
classe politique. Comment se battre pour la diversité culturelle
et ne pas réaliser l’importance d’une politique culturelle
extérieure et d’une place plus grande faite à la Francophonie
?
ff
: Accepterez-vous que les débats débordent du périmètre
culturel ?
D.W.
: Historiquement, la Francophonie s’est installée
avec la langue. Ensuite elle a pris en compte les droits de
l’homme, puis le développement durable et enfin, comme on le
constatera à Bucarest lors du prochain sommet, l’éducation.
Bref, on voit l’élargissement et les liens avec les Pays les
Moins avancés. Mais la Francophonie est aussi constituée par des
pays riches. Elle est Nord-Sud et Est-Ouest. Sa diversité doit
aussi s’inscrire dans l’économie, y compris celle des nations
les plus développées. Il ne faut pas que les Francophones se
marginalisent en tournant le dos à l’entreprise. Cela
reviendrait à laisser les multinationales aux mains des seuls américains,
ou, pire, les singer en adoptant par exemple l’anglais dans une
PME dans l’espoir de lui conférer un « look » cosmopolite !
Or, Danone ne ressemble pas à Exxon. Des entreprises françaises,
canadiennes, marocaines, n’ont aucunement lieu de se fondre dans
un commun conformisme conçu dans le Middle-West. La
mondialisation des marchés ne doit pas gommer les identités économiques
où la Francophonie a toute sa place. Il existe bel et bien un
style de gestion francophone qu’il nous faut défendre. Sinon,
on court le risque, en France et en Europe, de voir l’anti-américanisme
se muer en un anti-occidentalisme encore plus lourd à gérer...
* Auteur de nombreux ouvrages, Dominique Wolton publiera au mois
de mars prochain Demain la Francophonie. Pour une autre
mondialisation, chez Flammarion. Par ailleurs, il a dirigé
le collectif de Mondes francophones. Auteurs et livres de
langue française, Edité par l’ADPF/ministère des
Affaires Étrangères.