Sujet : |
À propos de
souveraineté, de la prison de
Montréal |
Date : |
14/12/2006 |
De Gaston Laurion
(courriel : glaurion(chez)pubnix.net))
Mesure
anti-pourriels : Si vous
voulez écrire à notre correspondant, remplacez
« chez » par « @ ». |
Voici
deux textes édifiants et émouvants qui nous ont été transmis
par notre camarade, Marie-Mance Vallée, et qui portent la signature
d'un Patriote, Chevalier de Lorimier, exécuté en février
1839 pour avoir défendu notre liberté et notre dignité. Où en
sommes-nous de nos jours ?
Sommes-nous dignes, ou indignes, de ce
grand patriote? Que chacun réponde pour lui-même !
Salve
!
Gaston
Laurion
******************************
Prison de Montréal, jeudi
14 février 1839
Le
public et mes amis en particulier attendent peut-être une déclaration
sincère de mes sentiments. À l’heure fatale qui doit nous
séparer de terre, les opinions sont toujours regardées et reçues
avec plus d’impartialité
. L’homme chrétien se dépouille en ce moment du voile qui
a obscurci beaucoup de ses actions pour se laisser voir en
plein jour.
L’intérêt
et les passions expirent avec son âme. Pour ma part,
à
la veille de rendre mon esprit à son créateur, je désire
faire connaître ce que je ressens et ce que je pense.
Je ne prendrais pas ce parti si je ne craignais qu’on ne
représentât mes sentiments sous un faux jour. On sait que le
mort ne parle plus et la même raison d’État qui me fait
expier sur l’échafaud ma conduite politique pourrait bien
forger des contes à mon sujet. J’ai le temps et le désir
de prévenir de telles
fabrications et je le fais d’une manière vraie et
solennelle, à mon heure dernière, non pas sur l’échafaud
environné d’une foule insatiable de sang et stupide, mais
dans le silence et les réflexions du cachot.
Je
meurs sans remords. Je ne désirais que le bien de mon pays
dans l’insurrection et l’indépendance. Mes vues et mes
actions étaient sincères et n’ont été entachées
d’aucun (des) crimes qui déshonorent l’humanité et qui
ne sont que trop communs dans l’effervescence des passions déchaînées.
Depuis
17 à 18 ans j’ai pris une part active dans presque toutes
les mesures populaires, et toujours avec convictions et sincérités.
Mes
efforts ont été pour l’indépendance de mes compatriotes.
Nous avons été malheureux jusqu’à ce jour. La mort a déjà
décimé plusieurs de mes collaborateurs. Beaucoup gémissent
dans les fers, un plus grand nombre sur la terre de l’exil,
avec leurs propriétés détruites et leurs familles abandonnées
sans ressources aux rigueurs d’un hiver canadien. Malgré
tant d’infortune, mon cœur entretient encore son courage et
des espérances pour l’avenir.
Mes
amis et mes enfants verront de meilleurs jours, ils seront
libres. Un pressentiment certain, ma conscience tranquille me
l’assurent.
Voilà
ce qui me remplit de joie lorsque tout est désolation et
douleur autour de moi. Les plaies de mon pays se
cicatriseront. Après les malheurs de l’anarchie d’une révolution
sanglante, le paisible Canadien verra renaître le bonheur et
la liberté sur le Saint-Laurent. Tout concourt à ce but ;
les exécutions même. Le sang et les larmes versés sur
l’autel de la liberté arrosent aujourd’hui les racines de
l’arbre qui fera flotter le drapeau marqué des deux étoiles
des Canadas.
Je
laisse des enfants qui n’ont pour héritage que le souvenir
de mes malheurs. Pauvres orphelins ; c’est vous que je
plains. C’est vous que la main sanglante et arbitraire de la
loi martiale frappe par ma mort. Vous n’aurez pas connu les
douceurs et les avantages d’embrasser votre père aux jours
d’allégresse, aux jours de fête. Quand votre raison vous
permettra de réfléchir, vous verrez votre père qui a expié
sur le gibet des actions qui ont immortalisé d’autres
hommes plus heureux.
Le
crime de votre père est dans l’irréussite. Si le succès eût
accompagné ses tentatives, on eût honoré ses actions
d’une mention respectable.
« Le crime fait la honte et non pas l’échafaud.
»
Des hommes d’un mérite supérieur au mien m’ont déjà
battu la triste carrière qui me reste à courir de la prison
obscure au gibet. Pauvres enfants ! Vous n’aurez plus
qu’une mère tendre et désolée pour soutien (et) si ma
mort et mes sacrifices vous réduisent à l’indigence,
demandez quelques fois en mon nom, je ne fus pas insensible
aux malheurs de l’infortune.
Quant
à vous mes compatriotes !
Puisse
mon exécution et celle de mes compagnons d’échafaud vous
être utiles.
Puissent-elles vous démontrer ce que vous devez attendre du
gouvernement anglais. Je n’ai plus que quelques heures à
vivre, mais j’ai voulu partager ce temps précieux entre mes
devoirs religieux et ceux à mes compatriotes. Pour eux, je
meurs sur le gibet de la mort infâme du meurtrier, pour eux
je me sépare de mes jeunes enfants, de mon épouse, sans
autre appui que mon industrie et pour eux je meurs en m’écriant :
Vive
la Liberté, Vive l’indépendance.
Chevalier
de Lorimier Lettre conservée aux Archives nationales du Québec
à Québec, série des Événements. Cette lettre est considérée
comme le testament
politique de Chevalier de
Lorimier.
Montréal,
Prison-Neuve, 15 février 1839,
17 heures
***********************************
Lettre
à une amie Lettre écrite par de Lorimier, le jour de son exécution,
à une dame qui lui avait demandé d’écrire dans son album
quelques lignes qu’elle garderait comme souvenir.
Vous
voulez, madame, que j’écrive un mot dans votre album. Que
puis-je écrire, je vous le demande ? Vais-je abandonner
mon âme à des sentiments de regret, à de tristes pensées ?
Vous diriez que ces sentiments ne sont pas dignes d’un homme
qui meurt pour la liberté de son pays. Vous dirai-je, pour
vous attendrir, tout ce que j’ai souffert dans mon cachot
depuis que je suis tombé dans les mains de mes cruels ennemis ?
Ce
serait, comme je viens de le dire, peu digne de la position
que j’occupe devant le monde. Vous m’avez visité dans ces
noirs cachots où les rayons du soleil sont inconnus aux
pauvres victimes de la tyrannie anglaise. Il n’est pas nécessaire
de parler ni d’écrire, pour faire comprendre l’état le
plus misérable auquel la nature humaine puisse être réduite.
Vous
dirai-je tout le respect que j’ai pour vous, quand vous en
avez
eu tant de preuves
? Cependant ce serait honteux de ma part de ne pas me
rendre à vos désirs.
Permettez-moi
alors, madame, de vous demander une faveur, c’est de garder
une place pour moi dans vos pensées, après que l’heure
terrible du sacrifice sera passée. Quand je serai parti, vous
vivrez encore.
Dans
quatre heures,
je
mourrai sur l’échafaud érigé par les ennemis de notre chère
patrie.
Oh ! quels mots enchanteurs je viens de prononcer !
— «aMa patrie !
», ma patrie ! À toi,
j’offre mon sang comme le plus grand et le dernier des
sacrifices que je puisse faire pour te délivrer du joug
odieux de tes traîtres ennemis. Puisse le Tout-Puissant agréer
mon sanglant sacrifice ! Vous verrez des jours meilleurs.
Cette
conviction intime et l’espoir que vous, madame, votre mari
et tous mes amis, penserez quelquefois à moi, quand je ne
serai plus, seront pour moi une source de consolation et de
force dans les dernières tortures de l’agonie.
La
grande cause pour laquelle je suis à la veille de souffrir,
triomphera.
Adieu,
madame ! Soyez heureuse, ainsi que votre mari, vous le méritez
tous deux. C’est le vœu d’un homme qui dans quelques
heures aura sacrifié sa vie
au salut de sa
malheureuse patrie et à la liberté qu’il préfère à
la vie. Je
vous dis encore une fois adieu, madame.
Votre
malheureux, mais sincère ami,
CHEVALIER
DE LORIMIER.
Source :
Les Patriotes 1837-1838 de Laurent Oliver David, P 284, 285, J
Frenette Éditeur Inc. 1981.
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