Sujet :

Catherine Lalumière et l'espéranto !

Date :

08/06/2003 

D' Henri Masson : (courriel : espero.hm(chez)wanadoo.fr) 

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Catherine Lalumière et l'espéranto !

Publiée dans le bulletin « Espéranto Bretagne » n° 13 (15.05.2003), la réponse qui suit est celle qu'a adressée Mme Catherine Lalumière,  vice-présidente du Parlement européen, à une lettre de Jean-Claude Corbeau, espérantiste - jccorbeau@aol.com


Catherine Lalumière, parlement européenMme Lalumière peut être vue sur :
http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/2130/CATHERINE_LALUMIERE_home.html

 Appartenance politique : Parti Radical de Gauche (apparenté au Parti Socialiste au Parlement européen)



Cher Monsieur,


Monsieur Pierre G... m'a remis votre lettre et le dossier sur l'espéranto que vous souhaitiez me faire parvenir. Je vous remercie de votre envoi.

Je comprends votre intérêt pour ce magnifique moyen de communication, et votre souhait de le voir utilisé dans les institutions européennes. 

Toutefois, je dois vous avouer que je ne suis guère persuadée de sa réelle efficacité. Peut-être suis-je encore de la "vieille" école. Mais je ne vois pas comment un moyen de communication très simple pourrait rendre compte des subtilités de la pensée.

La complexité des langues est aussi le reflet de la complexité des cultures et de la richesse des idées, ce qui me conduit à préconiser plutôt l'apprentissage des langues étrangères que de l'espéranto.

L'avenir me dira si je dois changer d'opinion. Pour l'heure, ne m'en veuillez pas si je persiste dans une approche ultra-classique du langage et des langues.

Je vous prie de croire, cher Monsieur, à l'expression de mes sentiments distingués.

 

Catherine LALUMIÈRE

 

 

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RÉPONSE  DE  M.  HENRI  MASSON

 

 

  Madame la Présidente,

 

« C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière ».

(Edmond ROSTAND, « Cyrano de Bergerac »)

 

En toute sincérité, Madame la Présidente, je ne vous crois pas.

Et je n'ai aucune raison sérieuse de vous croire lorsque, visiblement, sans examen approfondi, vous répondez à M. Corbeau, à propos de l'espéranto : « Toutefois je dois vous avouer que je ne suis guère persuadée de sa réelle efficacité. »

Bernhard Rust et l'espéranto« L'espéranto  n'a pas de place dans l'État national-socialiste », disait en 1935, Bernhard Rust, ministre de la Science et de l'Éducation du IIIe Reich. Dans les périodes les plus sombres de l'histoire, sous les pires régimes du XXe siècle, des gens de toutes races, nationalités et conditions sociales ont bravé des interdits afin que l'espéranto devienne pour tous ce que le latin était à une autre époque pour l'Église et les privilégiés du savoir.

Ces gens avaient-ils une vision simpliste des choses pour accepter de tels risques et de tels sacrifices pour ce que vous nommez vous-même « ce magnifique moyen de communication » tout en le démolissant ensuite ?  Je trouve regrettable que ce fait, dont vous n'avez probablement guère conscience, ne vous ait pas incitée à trouver une explication moins primitive pour justifier votre rejet de l'espéranto.

Ce que redoutaient le plus les pouvoirs totalitaires, qui avaient une conception très particulière de la communication, c'est, au contraire, l'efficacité de l'espéranto. Parmi les différentes définitions de « magnifique » (qui vient du mot latin « magnificus » qui signifie « faire de grandes choses »), on trouve « superbe », « plein de grandeur et d'éclat », «aremarquable », « admirable » ; parmi ses synonymes : «somptueux », « beau », « brillant », « éclatant », « grand », « grandiose », « splendide » ou même, familièrement : « épatant »...

Mais sur quoi repose ce sentiment de doute ? Sur le ouï-dire ou sur des recherches personnelles ? Sur l'avis de votre entourage, qui en sait peut-être moins que vous, ou dont les références sont les mêmes : le ouï dire ?  Qui est peut-être moins capable ou intellectuellement moins courageux que vous pour voir où sont le vrai et le faux ?

Inazo Nitobe, espérantisteIl arrive pourtant que des hommes aient ce courage. Il faut reconnaître qu'ils sont rares. Membre de l’Académie Impériale du Japon, homme de science, Secrétaire général adjoint de la Société des Nations, Inazô Nitobe avait participé au congrès universel d’espéranto de Prague en 1921 pour se rendre compte par lui-même de l’efficacité de cette langue. Dans un rapport intitulé "Esperanto as an International Auxiliary Language / L’espéranto comme langue auxiliaire internationale", publié en 1922, il avait écrit : « On peut affirmer avec une certitude absolue que l’espéranto est de huit à dix fois plus facile que n’importe quelle langue étrangère et qu’il est possible d’acquérir une parfaite élocution sans quitter son propre pays. Cela est en soi un résultat très appréciable. »

Vous évoluez dans un milieu fermé à l'innovation. F.-Vincent Raspail avait écrit à ce sujet : « Les philosophes et les novateurs qui se placent en tête de la civilisation rencontrent la plus opiniâtre résistance, et de la part de ceux qui souffrent par suite de leur paresse, et, de la part de ceux qui profitent de cette paresse pour retarder de tout le poids de leur égoïsme le char si lent de la raison humaine. » Afin de juger par vous-même, pourquoi n'iriez-vous pas à Göteborg, en Suède, où un tel congrès se tiendra cet été, pour voir ce qu'il en est aujourd'hui, à l'heure d'Internet ? Où à celui de l'Association Mondiale Anationale (SAT), à La Chaux-de-Fonds (Suisse), où M. Kep Enderby, ancien procureur général et ministre de la justice d'Australie, ex-président de l'Universala Esperanto-Asocio, présentera une conférence en espéranto ?

À propos d'une prétendue simplicité qui ne servirait à exprimer que des idées simples, l'un de ses compatriotes, M. Ralph Lindsay Harry, avait ainsi confirmé la valeur juridique internationale de l’espéranto : « Lorsqu'on me demande si la Langue Internationale est assez précise, assez riche en nuances pour fonctionner comme langue diplomatique, je n'hésite pas. Il existe des traductions excellentes et très précises de quelques traités, déclarations et résolutions - et même des rapports officiels sur les activités des Nations Unies. Il y a des diplomates qui utilisent constamment la langue. J'ai conversé et échangé des correspondances avec quelques ambassadeurs, consuls généraux et conseillers. » Ralph Harry fut ambassadeur d'Australie dans divers pays et à l'Onu, est c'est lors d'une conférence présentée en espéranto à Bruxelles qu'il s'est exprimé ainsi. Bien d'autres exemples pourraient être cités, mais je sais que votre temps est limité.

Quant à préconiser l'apprentissage des langues étrangères plutôt que celui de l'espéranto, l'avis d'une personne qui a été amenée, dans sa carrière de fonctionnaire international, à en parler, écrire et traduire une cinquantaine, ne mériterait-il pas d'être pris en considération ?

Ainsi, dans son ouvrage « Langues sans frontières — À la découverte des langues de l’Europe » , paru en 2001 aux éditions Autrement, Georges Kersaudy décrit 39 langues de l’Europe, dont l’espéranto. Ancien fonctionnaire international, érudit, il lui consacre deux chapitres (23 et 24), sans compter des exemples de textes et des tableaux comparatifs pour les principales familles de langues existant en Europe. En page 252, à propos de ceux qui ne le connaissent pas (n'est-ce pas votre cas ?) et qui se permettent d’émettre des critiques à son égard, il écrit : « Il suffit de les confronter et de les comparer pour qu’elles s’annulent mutuellement : pour certains, la langue internationale diffère trop du latin ; pour d’autres le nombre de racines latines y est trop élevé ; elle ne ressemble pas assez à l’anglais ; ou encore elle ressemble trop aux langues latines, etc. Même les linguistes, qui, dans l’ensemble ont bien compris l’intérêt de l’esperanto, n’ont pas manqué de lui faire des reproches assez inattendus, et notamment celui d’être trop facile ! On est allé jusqu’à critiquer le fait que les règles de grammaire ne sont pas soumises à des exceptions ; et certains souhaitent qu’on y introduise des irrégularités, pour rendre la langue plus proche des langues nationales européennes. »

Il y a donc lieu de préconiser l'apprentissage de l'espéranto ET celui des langues étrangères auxquelles il facilite l'accès de manière significative (cf. : les recherches de l'Institut de Cybernétique de Paderborn, Allemagne, et d'autres expériences).

Vous ajoutez ensuite que vous ne voyez pas « comment un moyen de communication très simple pourrait rendre compte des subtilités de la pensée. La complexité des langues est aussi le reflet de la complexité des cultures et de la richesse des idées. » La complexité d'une langue n'apporte rien de plus à la qualité de la communication et à la précision. En quoi est-ce plus riche d'avoir une quantité énorme de verbes irréguliers, d'avoir des lettres qui se prononcent de différentes manières suivant leur position par rapport à telle ou telle autre ? S'il en était ainsi, n'y aurait-il pas lieu de chercher à compliquer les langues à l'extrême ?  Pour aller de Paris au Parlement européen de Strasbourg, vous pouvez certes choisir un itinéraire simple et rapide par l'autoroute, ou complexe, empruntant un parcours de routes sinueuses qui exigera plus de temps, de consommation de carburant, et comportera plus de risques de s'égarer. L'existence des deux systèmes est indispensable. Chacun peut préférer tel ou tel itinéraire suivant son humeur, sa disponibilité ou ses besoins qui peuvent être différents d'un moment à l'autre. Entre l'espéranto et les autres langues, il y a deux niveaux de communications différents, aussi nécessaires l'un que l'autre. Adopter l'espéranto ne signifie aucunement abolir l'usage des autres langues.

Votre « approche ultra-classique du langage et des langues » ne serait-elle donc pas, en définitive, celle qui est dictée par des groupes de pression, par un comportement ainsi défini dans le « Petit Robert » sous le mot que je vous laisse deviner : « Croyance, opinion préconçue souvent imposée par le milieu, l'époque, l'éducation ; parti pris » ?

 

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l'expression de ma considération distinguée.

 

Henri Masson,

Coauteur, avec René Centassi, ancien rédacteur en chef de l'AFP, de "L'homme qui a défié Babel", paru simultanément en seconde édition en français et en première édition en traduction espéranto ( décembre 2001. Éd. L’Harmattan, Paris)

Courriel : esperohm@club-internet.fr

Tél & Fax : + 33 (0)2 51 31 48 50

Site :http://www.esperanto-sat.info

Sur la langue :

http://www.geocities.com/c_piron



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