Sujet :

Les langues régionales dans la Constitution !

Date :

27/05/2008

De Jean-Pierre Busnel  (courriel : contact(chez)iab.com.fr)    

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Dans un courriel du 9 mai, j'avais fait état d'un débat du 7 mai à l'Assemblée nationale où il avait été question des langues régionales. Les intervenants s'étaient dits favorables à une modification de la Constitution afin qu'« une place » leur y soit faite. Le jeudi 22 mai dernier, l'Assemblée nationale, dans sa seconde séance, a effectivement voté un amendement (605 rectifié) visant à introduire, pour la première fois dans l'histoire de la République, la question des langues régionales dans le texte de la Constitution française. La mention suivante lui serait incorporée : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine » (celui de la République). Le compte-rendu intégral de cette séance parlementaire, présidée par M. Bernard Accoyer, consacrée à la « Modernisation des institutions de la Ve République », peut être consulté à l'adresse suivante :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2007-2008/20080165.asp

 

Outre celles qui ont déjà été développés dans ce courriel du 9 mai, cette affaire appelle diverses observations. En voici quelques-unes :

1. La France a connu, l'an dernier, ses deux principales consultations politiques nationales, avec l'élection du Président de la République, d'abord, le renouvellement de l'Assemblée nationale, ensuite. C'était hier. À aucun moment, il ne fut question d'une modification de la Constitution en faveur des langues régionales. C'est bien pourquoi la presse a parlé ces jours-ci, à ce propos, d'« amendement surprise ».

Certes, il y eut dans le passé des tentatives en ce sens, par exemple en novembre 2002, mais l'Assemblée nationale avait toujours rejeté toute proposition visant à inscrire la défense des langues régionales dans la Constitution. Pourtant, l'amendement en question est passé comme une lettre à la Poste, avec un unanimisme touchant, avec même une sorte d'enthousiasme (ce sera probablement un peu moins facile au Sénat). Pas la moindre objection, pas la moindre réserve de la part de quelque élu que ce soit à propos d'un texte qui, s'il avait figuré dans une simple loi, aurait immanquablement été jugé contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel ! Alors même qu'il y a quelques semaines encore, nul n'imaginait que le Parlement était sur le point de s'engager dans cette voie, le vote de cet amendement est apparu pour tous les élus présents comme relevant d'une soudaine évidente nécessité. « Pas trop tôt » semblaient même penser les honorables parlementaires ! On a toujours beaucoup changé d'avis en politique, mais on en change de plus en plus vite. Au point que l'action politique est devenue parfaitement imprévisible.

2. Cette petite révolution - car c'en est une - tient au revirement spectaculaire de la droite. La gauche, en effet, a toujours, du moins depuis quelques décennies, plaidé pour le soutien public des langues régionales. Mais un même serment de rupture avec le passé, avec l'héritage reçu, unit désormais les formations politiques de gouvernement, qu'elles se disent de gauche ou de droite. Les dernières digues du conservatisme politique ont été emportées. Une même inépuisable ardeur réformatrice, « modernisatrice », anime sans relâche à peu près tout le personnel politique. C'est bien pourquoi les « usines à gaz » parlementaires emploient une bonne partie de leur temps à défaire méthodiquement ce qu'avaient fait avant eux ceux qui en étaient les hôtes autrefois. Sur cette question des langues régionales, l'ancienne droite avait évidemment fait valoir, à tort ou à raison, des arguments pour s'opposer au projet qui vient d'être voté sous la XIIIe législature de la Ve République. Mais, de cela, il ne fut pas question un seul instant le 22 mai par ceux que l'on aurait du reste bien tort d'appeler leurs héritiers, car le fossé entre les générations est devenu un abîme et la conception que les élus se font aujourd'hui de la République n'a pas grand chose à voir avec celle de leurs aînés. C'est ainsi que les quelques rares députés dits «asouverainistes », comme les non moins rares députés défenseurs attitrés de la langue française ne sont pas intervenus un seul instant dans ce débat. C'est tout de même assez singulier.

3. Les députés se sont donc mis d'accord sur la formulation « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ». Mais où l'intégrer dans le texte de la Constitution ? Ils veulent le faire à l'art. 1 (qui traite des aspects fondamentaux de la République), après la phrases suivante : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». L'ennui est que l'art. 2 stipule (depuis 1992) que « la langue de la République est le français ». Ce qu'envisagent les députés est donc passablement incohérent. Quoi qu'ils en pensent, leur amendement n'a rien à faire à l'article 1.

4. Tout ce qui est dit depuis quelques semaines à propos des langues régionales, en particulier lors du débat parlementaire dont il s'agit ici, les cantonne, intentionnellement, mais artificiellement, sur le seul terrain du patrimoine culturel. C'est oublier que toutes les questions linguistiques ont également une forte, voire une très forte dimension politique. Il suffit, pour s'en persuader, de se reporter à l'histoire de certains mouvements régionalistes ou, a fortiori, séparatistes. L'État et les structures régionales (surtout certains conseils régionaux) peuvent s'attendre à être soumis, très vite, à des pressions considérables. Déjà, le Conseil culturel de Bretagne considère que ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale est « une première victoire pour ceux qui travaillent en faveur de la diversité linguistique en France » (Ouest-France du 26/05/08). Ce n'est qu'un début. Le gouvernement (qui souhaite faire passer une loi sur les langues régionales et qui avait besoin d'une mention dans la Constitution afin d'éviter la censure du Conseil constitutionnel) et les parlementaires pourraient bien avoir ouvert la boîte de Pandore.

5. Mme Christine Albanel, a dit qu'il n'était pas question, pour autant, d'une ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. La ministre de la Culture devrait pourtant se souvenir de cette pièce d'Alfred de Musset publiée en 1836 et intitulée : « Il ne faut jurer de rien ». Surtout en politique. Les ministres passent. Et il leur arrive aussi de changer d'avis. L'introduction dans la Constitution de l'amendement dont il vient d'être question rendrait inéluctable ladite ratification. Car aux pressions qui viennent d'être évoquées s'ajouteraient celles de milieux européens, en particulier du Parlement et du Conseil de l'Europe. Dans le présent contexte, aucun gouvernement français ne saurait y résister bien longtemps. Ce ne serait qu'une question de temps.

6. Si les députés étaient unanimes, ces jours-ci, à exprimer leur soutien aux langues régionales, on regrettera vivement qu'ils n'aient été qu'une infime minorité (sur 577) à défendre la « langue de la République » dans cette rocambolesque histoire de concours eurovision de la chanson 2008. Mais l'affaire aura bien mal tourné pour ceux qui, en dépit des nombreuses protestations qui se sont manifestées dans la société civile, se sont acharnés à choisir une chanson en anglais pour « représenter » la France. Le chanteur retenu, une vedette de l'« électro-pop » dit-on dans les milieux bien informés, n'aura pas fait recette. La France a été classée 18e sur 25. Pitoyable ! Et, de surcroît, voilà l'audience de la chaîne FR 3 de baisser, en cette occasion, de quelque 400 000 téléspectateurs par rapport à celle de l'an dernier ! Une sorte de déroute pour le service public de la télévision qui se sera couvert de ridicule dans cette affaire (tandis que les pouvoirs publics, qui l'ont laissé faire, n'en sortent certainement pas grandis). D'autant plus que quelques heures plus tard, au 61e Festival du cinéma de Cannes, un film français (en français bien entendu) remportait (sur décision unanime du jury) la Palme d'Or avec le film « Entre les murs ». Un camouflet cinglant pour tous ceux qui prétendent, sans rire, que la culture française ne serait exportable que si elle renonçait à s'exprimer en français.

 

Jean-Pierre Busnel
Président de l'Institut André Busnel
contact@iab.com.fr

 

 

 

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