Dans un
courriel du 9 mai, j'avais fait état d'un débat du 7 mai à
l'Assemblée nationale où il avait été question des langues régionales.
Les intervenants s'étaient dits favorables à une modification de la
Constitution afin qu'« une place
» leur y soit faite. Le jeudi 22 mai
dernier, l'Assemblée nationale, dans sa seconde séance, a effectivement
voté un amendement (605 rectifié) visant à introduire, pour la première
fois dans l'histoire de la République, la question des langues
régionales dans le texte de la Constitution française. La mention
suivante lui serait incorporée : « Les langues régionales appartiennent
à son patrimoine » (celui de la République). Le compte-rendu intégral de
cette séance parlementaire, présidée par M. Bernard Accoyer, consacrée
à la « Modernisation des institutions de la
Ve République », peut être
consulté à l'adresse suivante :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2007-2008/20080165.asp
Outre
celles qui ont déjà été développés dans ce courriel du 9 mai, cette
affaire appelle diverses observations. En voici quelques-unes :
1. La France a connu, l'an dernier, ses deux principales consultations
politiques nationales, avec l'élection du Président de la République,
d'abord, le renouvellement de l'Assemblée nationale, ensuite. C'était
hier. À aucun moment, il ne fut question d'une modification de la
Constitution en faveur des langues régionales. C'est bien pourquoi la
presse a parlé ces jours-ci, à ce propos, d'«
amendement surprise ».
Certes, il y eut dans le passé des tentatives en ce sens, par exemple
en novembre 2002, mais l'Assemblée nationale avait toujours rejeté
toute proposition visant à inscrire la défense des langues régionales
dans la Constitution. Pourtant, l'amendement en question est passé
comme une lettre à la Poste, avec un unanimisme touchant, avec même une
sorte d'enthousiasme (ce sera probablement un peu moins facile au
Sénat). Pas la moindre objection, pas la moindre réserve de la part de
quelque élu que ce soit à propos d'un texte qui, s'il avait figuré dans
une simple loi, aurait immanquablement été jugé contraire à la
Constitution par le Conseil constitutionnel ! Alors même qu'il y a
quelques semaines encore, nul n'imaginait que le Parlement était sur le
point de s'engager dans cette voie, le vote de cet amendement est
apparu pour tous les élus présents comme relevant d'une soudaine
évidente nécessité. « Pas trop tôt
» semblaient même penser les
honorables parlementaires ! On a toujours beaucoup changé d'avis en
politique, mais on en change de plus en plus vite. Au point que
l'action politique est devenue parfaitement imprévisible.
2. Cette petite révolution - car c'en est une - tient au revirement
spectaculaire de la droite. La gauche, en effet, a toujours, du moins
depuis quelques décennies, plaidé pour le soutien public des langues
régionales. Mais un même serment de rupture avec le passé, avec
l'héritage reçu, unit désormais les formations politiques de
gouvernement, qu'elles se disent de gauche ou de droite. Les dernières
digues du conservatisme politique ont été emportées. Une même
inépuisable ardeur réformatrice, « modernisatrice
», anime sans relâche à
peu près tout le personnel politique. C'est bien pourquoi les
« usines à
gaz » parlementaires emploient une bonne partie de leur temps à défaire
méthodiquement ce qu'avaient fait avant eux ceux qui en étaient les
hôtes autrefois. Sur cette question des langues régionales, l'ancienne
droite avait évidemment fait valoir, à tort ou à raison, des arguments
pour s'opposer au projet qui vient d'être voté sous la XIIIe
législature de la Ve République. Mais, de cela, il ne fut pas
question un seul instant le 22 mai par ceux que l'on aurait du reste
bien tort d'appeler leurs héritiers, car le fossé entre les générations
est devenu un abîme et la conception que les élus se font aujourd'hui
de la République n'a pas grand chose à voir avec celle de leurs aînés.
C'est ainsi que les quelques rares députés dits
«asouverainistes
», comme
les non moins rares députés défenseurs attitrés de la langue française
ne sont pas intervenus un seul instant dans ce débat. C'est tout de
même assez singulier.
3. Les députés se sont donc mis d'accord sur la formulation
« Les
langues régionales appartiennent à son patrimoine
». Mais où l'intégrer
dans le texte de la Constitution ? Ils veulent le faire à l'art. 1 (qui
traite des aspects fondamentaux de la République), après la phrases
suivante : « La France est une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale ». L'ennui est que l'art. 2 stipule (depuis
1992) que « la langue de la République est le français
». Ce
qu'envisagent les députés est donc passablement incohérent. Quoi qu'ils
en pensent, leur amendement n'a rien à faire à l'article 1.
4. Tout ce qui est dit depuis quelques semaines à propos des langues
régionales, en particulier lors du débat parlementaire dont il s'agit
ici, les cantonne, intentionnellement, mais artificiellement, sur le
seul terrain du patrimoine culturel. C'est oublier que toutes les
questions linguistiques ont également une forte, voire une très forte
dimension politique. Il suffit, pour s'en persuader, de se reporter à
l'histoire de certains mouvements régionalistes ou, a fortiori,
séparatistes. L'État et les structures régionales (surtout certains
conseils régionaux) peuvent s'attendre à être soumis, très vite, à des
pressions considérables. Déjà, le Conseil culturel de Bretagne
considère que ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale est
« une
première victoire pour ceux qui travaillent en faveur de la diversité
linguistique en France » (Ouest-France du 26/05/08). Ce n'est qu'un
début. Le gouvernement (qui souhaite faire passer une loi sur les
langues régionales et qui avait besoin d'une mention dans la
Constitution afin d'éviter la censure du Conseil constitutionnel) et
les parlementaires pourraient bien avoir ouvert la boîte de Pandore.
5. Mme Christine Albanel, a dit qu'il n'était pas question, pour
autant, d'une ratification par la France de la Charte européenne des
langues régionales et minoritaires. La ministre de la Culture devrait
pourtant se souvenir de cette pièce d'Alfred de Musset publiée en 1836
et intitulée : « Il ne faut jurer de rien
». Surtout en politique. Les
ministres passent. Et il leur arrive aussi de changer d'avis.
L'introduction dans la Constitution de l'amendement dont il vient
d'être question rendrait inéluctable ladite ratification. Car aux
pressions qui viennent d'être évoquées s'ajouteraient celles de milieux
européens, en particulier du Parlement et du Conseil de l'Europe. Dans
le présent contexte, aucun gouvernement français ne saurait y résister
bien longtemps. Ce ne serait qu'une question de temps.
6. Si les députés étaient unanimes, ces jours-ci, à exprimer leur
soutien aux langues régionales, on regrettera vivement qu'ils n'aient
été qu'une infime minorité (sur 577) à défendre la « langue de la
République » dans cette rocambolesque histoire de concours eurovision de
la chanson 2008. Mais l'affaire aura bien mal tourné pour ceux qui, en
dépit des nombreuses protestations qui se sont manifestées dans la
société civile, se sont acharnés à choisir une chanson en anglais pour
« représenter » la France. Le chanteur retenu, une vedette de
l'« électro-pop
» dit-on dans les milieux bien informés, n'aura pas fait
recette. La France a été classée 18e sur 25. Pitoyable ! Et, de
surcroît, voilà l'audience de la chaîne FR 3 de baisser, en cette
occasion, de quelque 400 000 téléspectateurs par rapport à celle de
l'an dernier ! Une sorte de déroute pour le service public de la
télévision qui se sera couvert de ridicule dans cette affaire (tandis
que les pouvoirs publics, qui l'ont laissé faire, n'en sortent
certainement pas grandis). D'autant plus que quelques heures plus tard,
au 61e Festival du cinéma de Cannes, un film français (en français
bien entendu) remportait (sur décision unanime du jury) la Palme d'Or
avec le film « Entre les murs
». Un camouflet cinglant pour tous ceux qui
prétendent, sans rire, que la culture française ne serait exportable
que si elle renonçait à s'exprimer en français.
Jean-Pierre Busnel
Président de l'Institut André Busnel
contact@iab.com.fr