L'art. 75 de la Constitution française comportera désormais la mention suivante : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Le 21 juillet, le Parlement, convoqué en Congrès, a en effet adopté, à la plus petite majorité qui soit des 3/5ème (une voix), la révision des institutions voulue par l'exécutif (ce n'est jamais que la 24ème réforme constitutionnelle depuis la naissance de la Vème République en 1958, sur ce terrain au moins les Français peuvent envier la stabilité qui est de règle aux États-Unis d'Amérique). Le 18 juin, en première lecture, le Sénat avait repoussé à une très large majorité (215 voix contre 103) un amendement en ce sens voulu par l'Assemblée nationale, mais il y avait gros à parier que cette dernière aurait in fine le dernier mot. C'est du reste ce que je laissais prévoir, dans un courriel du 20 juin à ce propos : « Le Sénat sera-t-il amené, cette fois encore, à faire volte-face ? C'est fort probable ». C'est bel et bien ce qu'il a fait, puisque le 16 juillet dernier, en seconde lecture, par 162 voix contre 125, il a adopté sans modification l'ensemble du projet de loi constitutionnelle de « modernisation des institutions de la Vème République » dans lequel l'Assemblée nationale avait bien entendu maintenu ledit amendement. Les sénateurs appartenant à la majorité parlementaire (de droite) hostiles à cet amendement ont évidemment été soumis à de très fortes pressions en provenance des dirigeants de leur formation. Il leur était d'autant plus difficile d'y résister que la réforme constitutionnelle était voulue par ladite majorité au pouvoir et qu'ils auraient été accusés de trahir leur propre camp en faisant capoter l'ensemble du projet dont on savait, depuis longtemps, qu'il ne pourrait êtres adopté à la majorité requise que de justesse (l'opposition étant contre). On sait bien, aussi, que l'exécutif a toujours de nombreux et puissants moyens de persuasion et (ou) de dissuasion à sa disposition pour convaincre les récalcitrants dans ses propres rangs. Le baroud d'honneur du Sénat lui a néanmoins valu, comme il est de règle constante, comme il fallait donc s'y attendre, de sévères critiques. Lorsque la Haute assemblée a ainsi l'audace d'entraver telle ou telle volonté réformatrice, les griefs qui lui sont adressés sont toujours plus ou moins articulés autour de l'âge des sénateurs : ils sont trop « vieux », trop conservateurs, ils sont « dépassés », ils ne sont pas assez « modernes ». C'est ce qu'a bien exprimé, par exemple, M. Marc Le Fur, député des Côtes d'Armor, pour qui « le Sénat est un frein à la modernité » (Libération, 19 juin). Le mot moderne (qui vient du latin modo) désigne étymologiquement tout ce qui se rapporte au temps présent (en bien, comme en mal). Le personnel politique, qui en a fait une sorte de mot-valise dont il nous rebat les oreilles en se réclamant de la modernité à propos de tout et de n'importe quoi. Il l'a pratiquement vidé de toute signification par l'usage inconsidéré qu'il en fait. Comme l'a dit M. Christian Poncelet, président du Sénat précisément, à propos d'une autre réforme de la Constitution, celle qui a institué le quinquennat présidentiel (référendum du 24 septembre 2000) : « Il y a deux mots magiques en France aujourd'hui : modernité et réforme. Si vous mettez la visière de votre casquette derrière au lieu de la mettre devant, vous êtes moderne ! » (Le Cinquième Monde n° 57, p. 8). Cela étant, il faut toujours avoir présent à l'esprit que dans l'actuel contexte politique qui est celui du « bougisme », du changement de tout, tout le temps, nul détenteur d'un mandat publique quelconque ne saurait résister bien longtemps à l'incrimination suprême d'aujourd'hui, celle de conservatisme.
Quoi que puissent dire ceux qui jugent les individus sur leur âge et qui
s'emploient « à donner aux personnes
âgées l'impression qu'elles subissent un fatal abaissement et que leurs
années les retirent du monde »
(Louis Pauwels, 1920-1997, Le Figaro du 24/12/95), certains arguments
avancés lors de ce débat de trois heures au Sénat sur la question des
langues régionales étaient parfaitement dignes de considération. Tels
ceux qui furent exposés par MM. José Balarello et Jean-Pierre Fourcade.
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