Sujet :

Les langues régionales dans la Constitution (suite)

Date :

26/07/2008

De  Jean-Pierre Busnel  (courriel : contact(chez)iab.com.fr)    

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L'art. 75 de la Constitution française comportera désormais la mention suivante : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Le 21 juillet, le Parlement, convoqué en Congrès, a en effet adopté, à la plus petite majorité qui soit des 3/5ème (une voix), la révision des institutions voulue par l'exécutif (ce n'est jamais que la 24ème réforme constitutionnelle depuis la naissance de la Vème République en 1958, sur ce terrain au moins les Français peuvent envier la stabilité qui est de règle aux États-Unis d'Amérique). Le 18 juin, en première lecture, le Sénat avait repoussé à une très large majorité (215 voix contre 103) un amendement en ce sens voulu par l'Assemblée nationale, mais il y avait gros à parier que cette dernière aurait in fine le dernier mot. C'est du reste ce que je laissais prévoir, dans un courriel du 20 juin à ce propos : « Le Sénat sera-t-il amené, cette fois encore, à faire volte-face ? C'est fort probable ». C'est bel et bien ce qu'il a fait, puisque le 16 juillet dernier, en seconde lecture, par 162 voix contre 125, il a adopté sans modification l'ensemble du projet de loi constitutionnelle de « modernisation des institutions de la Vème République » dans lequel l'Assemblée nationale avait bien entendu maintenu ledit amendement.

Les sénateurs appartenant à la majorité parlementaire (de droite) hostiles à cet amendement ont évidemment été soumis à de très fortes pressions en provenance des dirigeants de leur formation. Il leur était d'autant plus difficile d'y résister que la réforme constitutionnelle était voulue par ladite majorité au pouvoir et qu'ils auraient été accusés de trahir leur propre camp en faisant capoter l'ensemble du projet dont on savait, depuis longtemps, qu'il ne pourrait êtres adopté à la majorité requise que de justesse (l'opposition étant contre). On sait bien, aussi, que l'exécutif a toujours de nombreux et puissants moyens de persuasion et (ou) de dissuasion à sa disposition pour convaincre les récalcitrants dans ses propres rangs. Le baroud d'honneur du Sénat lui a néanmoins valu, comme il est de règle constante, comme il fallait donc s'y attendre, de sévères critiques. Lorsque la Haute assemblée a ainsi l'audace d'entraver telle ou telle volonté réformatrice, les griefs qui lui sont adressés sont toujours plus ou moins articulés autour de l'âge des sénateurs : ils sont trop « vieux », trop conservateurs, ils sont « dépassés », ils ne sont pas assez « modernes ». C'est ce qu'a bien exprimé, par exemple, M. Marc Le Fur, député des Côtes d'Armor, pour qui « le Sénat est un frein à la modernité » (Libération, 19 juin). Le mot moderne (qui vient du latin modo) désigne étymologiquement tout ce qui se rapporte au temps présent (en bien, comme en mal). Le personnel politique, qui en a fait une sorte de mot-valise dont il nous rebat les oreilles en se réclamant de la modernité à propos de tout et de n'importe quoi. Il l'a pratiquement vidé de toute signification par l'usage inconsidéré qu'il en fait. Comme l'a dit M. Christian Poncelet, président du Sénat précisément, à propos d'une autre réforme de la Constitution, celle qui a institué le quinquennat présidentiel (référendum du 24 septembre 2000) : « Il y a deux mots magiques en France aujourd'hui : modernité et réforme. Si vous mettez la visière de votre casquette derrière au lieu de la mettre devant, vous êtes moderne ! » (Le Cinquième Monde n° 57, p. 8). Cela étant, il faut toujours avoir présent à l'esprit que dans l'actuel contexte politique qui est celui du « bougisme », du changement de tout, tout le temps, nul détenteur d'un mandat publique quelconque ne saurait résister bien longtemps à l'incrimination suprême d'aujourd'hui, celle de conservatisme.

Quoi que puissent dire ceux qui jugent les individus sur leur âge et qui s'emploient « à donner aux personnes âgées l'impression qu'elles subissent un fatal abaissement et que leurs années les retirent du monde » (Louis Pauwels, 1920-1997, Le Figaro du 24/12/95), certains arguments avancés lors de ce débat de trois heures au Sénat sur la question des langues régionales étaient parfaitement dignes de considération. Tels ceux qui furent exposés par MM. José Balarello et Jean-Pierre Fourcade.
Le point de vue de M. José Balarello, avocat, vice-président du Conseil général des Alpes-Maritimes, adjoint au maire de Tende, sénateur des Alpes-Maritimes est d'autant plus intéressant qu'il s'agit d'un homme féru de petite et de grande histoire du Comté de Nice, se piquant de parler un niçois quasi parfait, qui ne saurait évidemment être soupçonné d'un désintérêt quelconque pour les cultures régionales et pour leur transmission. Son intervention au Palais du Luxembourg fut on ne peut plus claire : « En ce qui me concerne, je suis partisan de la suppression pure et simple de la mention des langues régionales dans la Constitution. J´attire en effet votre attention, mes chers collègues, sur le fait que, si nous acceptons cette rédaction, nous risquons de favoriser l´apparition de très nombreux contentieux, émanant de personnes qui pratiquent quelquefois la démagogie et qui, au prétexte de défendre l´identité du territoire, l´appartenance à un comté - et je sais de quoi je parle ! - ou à une province, exigeront que les arrêtés
municipaux, voire préfectoraux, soient rédigés dans la langue régionale ou locale. Ils pourront également exiger que la langue locale soit utilisée pendant les débats municipaux et, si les autorités le leur refusent, lancer d´interminables contentieux, largement médiatisés ». (source : Nice Rendez-vous).
Sans remettre en cause l´intérêt de l´apprentissage et de la pratique des langues régionales, l'opposition de beaucoup de sénateurs s´était cristallisée sur la raison d´être de cette constitutionnalisation. Position parfaitement résumée par M. Jean-Pierre Fourcade, sénateur des Hauts-de-Seine, ancien inspecteur des finances, ancien ministre de l'économie et des finances (sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing) en ces termes : « Depuis que j´ai été élu sénateur en 1977, j´ai participé à de nombreuses révisions constitutionnelles et j´ai appris deux choses. Premièrement, il est très difficile de toucher à l´article 1er de notre Constitution. C´est un article essentiel, que beaucoup de gens connaissent, à défaut, souvent, de connaître la suite. On ne peut donc pas le modifier sous un quelconque prétexte et y insérer la référence aux langues régionales, surtout après avoir consacré dans la Constitution, voilà quelques années, sur l´initiative de Jean Pierre Raffarin, l´organisation décentralisée de la République » (rappelons que dans un courriel du 26 mai à ce sujet, j'exprimais très exactement le même point de vue à propos des intentions des députés visant à insérer cet amendement à l'art.1 de la Constitution : « Ce qu'envisagent les députés est donc passablement incohérent. Quoi qu'ils en pensent, leur amendement n'a rien à faire à l'article1 ». M. Fourcade a ainsi poursuivi son argumentation : « Deuxièmement, il y a trois degrés de législation : la loi, la loi organique et la Constitution. À mon sens, la protection et le développement de l´enseignement des langues régionales relèvent de la loi, et non de la loi organique ou de la Constitution. Je suis tout à fait prêt à voter une loi, comme l´a annoncé le Gouvernement, pour améliorer l´enseignement des langues régionales ».


Jean-Pierre Busnel
Président de l'Institut André Busnel
contact@iab.com.fr

 

 

 

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