La photographie en pièce jointe représente la page de couverture du guide des festivals édité par le Comité régional du tourisme Paris Ile-de-France (été 2008). Enjoy est son nom ! Si pandémie anglomaniaque il y a, il ne fait guère de doute que les milieux du tourisme ne sont pas les moins atteints. Bien au contraire. Je rentre d'un séjour en Auvergne et j'ai pu le constater un peu partout, y compris dans de modestes auberges de campagne où l'on s'efforce le plus souvent, tant bien que mal, d'y traduire les menus en anglais (de cuisine), alors que, pourtant, les touristes anglais y sont peu nombreux, au contraire des Hollandais.
C'en est au point, désormais, le mouvement est si rapide, si brutal, si général, il rencontre si peu d'opposition, que, non seulement des anglophones de naissance résidant en France (ils sont de plus en plus nombreux) ne sont pas les derniers à s'étonner - voire à s'offusquer - de cette anglomanie galopante, mais que même des Anglais vivant en Grande-Bretagne et voyageant en France peuvent éprouver, eux aussi, de tels sentiments. « Parlez-moi en français ! » Ce n'est pas un Français (on s'en serait douté) qui le demande, mais un ... Anglais. Le n° 86 de Le Cinquième Monde (bulletin de l'IAB) a publié un témoignage fort intéressant à ce propos. C'est celui d'un Anglais, donc, proviseur d'un lycée du Nord-Est de l'Angleterre, francophile ayant étudié le français à l'Université, qui s'intéresse beaucoup à la France, à sa culture et à son histoire, qui aime y venir en vacances pour parler la langue de Molière et qui éprouve, depuis quelque temps, les pires difficultés à le faire. Voici ce qu'il avait notamment déclaré au quotidien Ouest-France dans un article précisément intitulé « Parlez-moi en français ! » : « Pourtant, ce plaisir de mes visites a été diminué par un changement d´attitude que je me sens obligé de vous signaler, chers amis français. Un nombre croissant d´entre vous, lorsque je leur adresse la parole en français me répondent en anglais. Ne leur vient-il pas à l´esprit que, si j´ai fait un effort pour apprendre le français et si je suis venu en France, c´est précisément parce que cela me fait plaisir de parler français ? ... Je ne viens pas en France pour retrouver l´Angleterre ». Et cet admirateur de la langue française de raconter, avec humour, quelques unes des «adizaines d´erreurs désopilantes » entendues ou lues par lui au cours de ses visites, commises par des Français que le ridicule snobisme anglomaniaque pousse à s´exprimer dans un anglais presque toujours approximatif, souvent pitoyable ou grotesque. Il citait, par exemple, le cas de ce restaurateur de Bretagne qui lui proposait une « cream burned » (pour crème brûlée), alors que cela ne signifie strictement rien pour les Anglais puisqu´ils ont adopté cette expression française (parmi d´autres). « C´est comme si on offrait à un Français un chaud chien plutôt qu´un hot dog », faisait remarquer le proviseur.
La pandémie anglomaniaque est loin d'être en voie de rémission, bien au contraire. Elle n'a plus de limites. Elle est partout. Tous les moyens sont bons, désormais, non seulement pour glisser des mots anglais dans une phrase en français, mais même pour mutiler des mots français avec des mots anglais. Les gens de communication et de commerce sont experts en la matière. Tels ceux qui ont réussi à persuader cet artisan électricien de la ville de Rennes d'adopter la dénomination « Electricity » (voir en pièce jointe) pour désigner sa petite entreprise. Celui-ci espère sans doute se faire ainsi remarquer, se distinguer, s'afficher comme « moderne ». Comme disait il y a longtemps déjà l'écrivain et professeur René Etiemble (1909 - 2002), ancien élève de l'école normale supérieure, agrégé de grammaire, ardent défenseur de la langue française, dans son célèbre ouvrage « Parlez-vous franglais ? » : « Depuis qu'elle (la publicité) a remarqué qu'on vend mieux un objet en lui donnant un nom qui sonne, ou qui paraît yanqui, elle pourrit et s'efforce de détruire la langue française ». L'anglomanie a beaucoup à voir avec le snobisme, tandis que l'on confond de plus en plus souvent modernisation avec américanisation. Il est vrai que le mauvais exemple vient, politiquement, de haut ... Les « créatifs » de la publicité - de très jeunes gens dans l'immense majorité des cas - font donc la chasse à tout ce qui est vieux. Or les mots du dictionnaire le sont. N'a de grâce à leurs yeux que ce qui est neuf, nouveau. Il s'agit, pour attirer le chaland, de démolir ou de chasser ce qui existe, ce qui a été consacré par l'usage et par les traditions. Ils le font d'autant plus volontiers qu'ils se soucient comme de l'an quarante de l'orthographe, de la grammaire, de tout ce qui peut avoir valeur de règle élaborée au fil du temps, transmise de génération en génération. À leurs yeux, comme à ceux de bien des élites dirigeantes, la défense de la langue française ne serait plus qu'une « crispation identitaire et passéiste », un « désir de séparation » d'avec les éclaireurs de l'humanité en marche vers la mondialisation heureuse (nécessairement anglophone). Cette pollution linguistique de l'espace public est bel et bien la faute des Français. S'ils accueillaient par les railleries qu'elles méritent ces gamineries, les commerçants, artisans et autres prestataires de services en quête de clientèle, feraient très vite volte-face.
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