Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre, Mesdames
et Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,
Allons droit au fait : nous devons
sortir d’une politique migratoire
paranoïaque et échapper à une logique de
suspicion permanente qui a trop prévalu
ces dernières années vis-à-vis des
étrangers. La circulaire Guéant,
désormais abrogée, était le parfait
exemple d’une approche aussi stupide que
vexatoire. Il est temps de changer
d’approche.
Quels sont les enjeux ?
Doter la France d’une stratégie
d’immigration qui la renforcera
économiquement et culturellement dans le
monde, contribuera pleinement aux enjeux
de coopération et de développement de la
planète et fera honneur à l’esprit
d’hospitalité.
Je ne vous étonnerai pas en vous
proposant que la francophonie, en tant
qu’espace géoculturel ET en tant que
langue, soit le fil rouge de cette
nouvelle politique.
Des millions de personnes apprennent
aujourd’hui le français dans le Monde, y
compris dans des pays traditionnellement
non francophones. Au Brésil, en Chine,
en Russie, en Turquie, en Europe aussi
bien sûr, et évidemment en Afrique ! ,
des talents sont formés, dans toutes les
disciplines, à la pratique et à la
maîtrise d’une langue au potentiel
exceptionnel. Aujourd’hui, des chefs
d’entreprises, des ingénieurs, des
étudiants, des agents de commerce mais
aussi des artistes et des chercheurs
ont, partout dans le monde, la même
envie et le même intérêt de vivre une
expérience française. Si nous savons les
attirer, si nous savons les accueillir
et si nous ne leur donnons pas de signes
négatifs, alors, en moins d’une
génération, non seulement la France,
mais l’espace francophone mondial aura
fait œuvre utile dans une mondialisation
– certains disent dans une compétition
internationale – qui se résume trop
souvent à ses deux pires défauts que
sont d’une part la concurrence entre les
peuples et d’autre part la
standardisation du monde.
Chacun est bienvenu dans notre pays,
mais reconnaissons que, pour ce qui est
du travail, du commerce ou des études,
la maîtrise de la langue française est
un puissant facteur de facilités. Dans
tous les domaines : rapidité
d’intégration à l’environnement,
possibilités plus grandes de s’inscrire
dans des réseaux humains.
Une fois n’est pas coutume dans ce genre
de débats, avant de parler des
conditions d’accueil et de séjour des
étrangers, je veux aussi évoquer leur
retour. Il conviendra bien entendu
qu’ils en repartent avec les meilleurs
souvenirs possibles. Mais aussi avec
l’envie de prolonger leur relation
scientifique, artistique,
professionnelle ou commerciale engagée
avec la France. Mais il faut voir,
au-delà, dans l’espace économique et
culturel de la Francophonie.
Parlons clairement : l’Afrique de demain
peut connaître, connaît déjà, un
développement économique extraordinaire
et durable. Chacun l’a compris, de la
Turquie à la Chine en passant par le
Brésil. On peut discuter des moyens
parfois contestables employés par
certaines nations, mais les Etats
d’Afrique sont en droit de discuter avec
qui bon leur semble. Que voulons-nous ?
Que ces échanges aient lieu en
français…ou en anglais ? Car, en
accueillant aussi en France, en
favorisant pleinement l’apprentissage de
la langue française, c’est aussi vers
les produits « en français », des normes
technologiques « en français », des
brevets « en français » que se feront
une part des échanges avec ces milliers
de talents que nous aurons accueillis.
J’ajoute une autre dimension, celle
qu’introduit l’Histoire elle-même, à la
faveur des profondes évolutions en cours
au Maghreb. Le projet méditerranéen est
une des réponses politiques aux
démocratisations en cours. Aujourd’hui
encore, 4 des grandes nations de la
méditerranée occidentale ont le français
en partage. Quelle chance extraordinaire
pour construire des filières
industrielles communes (par exemple dans
le domaine des énergies renouvelables),
des formations professionnelles
cohérentes en lien avec certaines
chambres de commerce et d’industrie ou
des conseillers du commerce extérieur,
des stratégies de co-diplomation
universitaire, à l’instar des projets
engagés par l’Agence Universitaire de la
Francophonie.
Voilà, mes cher(e)s collègues, dans
quelle perspective peut s’inscrire notre
nouvelle ambition en matière
d’immigration professionnelle et
universitaire. C’est dans cette
perspective que j’avais évoqué, au nom
du parti socialiste, la création d’un
passeport économique et culturel de la
Francophonie permettant aux étudiants,
aux chefs d’entreprises, aux chercheurs,
aux artistes de s’inscrire dans des
parcours de mobilité. Délivré pour une
durée déterminée, avec pour objectif une
mobilité facilitée, ce passeport doit
permettre la consolidation de l’espace
francophone. Un Erasmus francophone
aussi, avec des bourses d’excellence
financées ou cofinancées par les
autorités locales est une piste
intéressante pour un apprentissage en
immersion.
Je sais bien que ces outils ne sont pas
à l’ordre du jour immédiat, mais ils
sont déjà en germe, à travers certaines
facilités déjà accordées, certaines
annonces formulées par le ministre de
l’Intérieur ici même il y a quelques
minutes, pour les visas étudiants en
particulier. Il est important de
rappeler que, selon des études de Campus
France, le vrai obstacle pour 53% des
étudiants étrangers n’est pas la langue
mais le « parcours administratif »,
alors que dans les autres pays de
l’Union européenne, les visas sont
accordés pour toute la durée des études.
Je veux dire aussi que de telles
simplifications dans les procédures de
délivrances des visas est aussi utiles
au travail de nos administrations : car
plus de visas de circulations cela
signifie moins de queue dans nos
consulats, mais aussi dans nos
préfectures. Car beaucoup, craignant de
se voir refuser leur visa lors de leur
retour au pays natal, tentent d’obtenir
une carte de séjour. Avec un visa qui
facilite les allers et retours on
allégera grandement les procédures,
sources de stress au travail pour nos
agents autant que de rancœurs pour les
demandeurs. C’est pourquoi, comme notre
collègue Matthias Fekl, je soutiens
pleinement la généralisation des titres
de séjours pluriannuels, d’autant plus
que nous savons que sécuriser le statut
des immigrés permettra de renforcer des
parcours d’intégration stables.
Accueillir dans de bonnes conditions les
personnes souhaitant émigrer vers la
France est un autre facteur
d’attractivité. C’est pourquoi nous
devons revoir nos politiques publiques
du logement qui tiennent peu compte des
immigrés, extracommunautaires pour
beaucoup. Ces personnes vivent dans
l’habitat indigne. Ce qui reste des
foyers de travailleurs migrants (FTM)
illustre des discriminations constantes,
par une politique du sous-logement et de
mise à l’écart, aussi humiliante que
dangereuse et, surtout, contraire aux
objectifs d’intégration.
Ce sujet est notamment prégnant pour les
immigrés âgés, qui ont passé leur vie à
travailler en France et qui sont ensuite
largement abandonnés.
Ne nous trompons pas, une politique
d’immigration jouant sur les peurs
éloigne de plus en plus de personnes qui
nouent avec d’autres pays que le nôtre
des relations d’amitié, et qui nous
manqueront dans le futur.
Il est temps de réaffirmer, sans
complexe, que l’accueil et l’intégration
des étrangers est une force. Sortir de
l’hypocrisie, c’est assumer que
l’immigration est une des sources
continue de notre identité nationale et
francophone.
Notre nouvelle politique d’immigration
doit contribuer à consolider l’espace
économique francophone, qui, peut-être
(cela dépend aussi de nous), concernera
près d’1 milliard de personnes en 2050.
Cette francophonie culturelle et
économique, ce sont aussi ces immigrants
qui l’incarnent.
L’ambition francophone, parce qu’elle
fait se rencontrer des cultures et des
talents du monde entier, notamment chez
nous, en France, constitue aussi une
occasion exceptionnelle pour la France
de reconquérir les cœurs et les esprits.