Jacques Chirac prend-il la francophonie au sérieux
?
Lors du 11e
Sommet francophone réuni 28 et 29 septembre à
Bucarest, l'absence de deux chefs d'État de deux poids lourds de la
francophonie, le Liban et la Côte d'Ivoire, sanctionne les équivoques de la
diplomatie française: la France n'a pas su anticiper la poussée sécessionniste
du nord ivoirien, comme elle n'a pas su anticiper la faiblesse du
Liban et de la Syrie pris dans la tourmente du Proche-Orient, marchandant son
soutien aux autorités libanaises, en particulier au Président Lahoud,
coupable d'amitiés syriennes ; or la Syrie, de longue date observateur du sommet
francophone, est un allié traditionnel de la France, sacrifiée depuis
2004 sur l'autel d'un peureux rapprochement de Washington au Proche-Orient.
De deux choses l'une : soit la francophonie renonce à sa
dimension politique et se trouve reléguée à un simple club culturel,
soit elle se conçoit comme une solidarité entre un nombre limité d'États, ce qui
suppose pour la France de privilégier leur alliance sur toute autre,
fusse l'alliance atlantique. De ce point de vue, le sommet de
Bucarest l'a placé à la croisée des chemins.
M. Chirac prend-il la francophonie au sérieux ? Un jour il
reproche à M. Seillière de parler anglais à Bruxelles, mais laisse sans réagir
ses fonctionnaires s'exprimer en anglais quand ils servent dans un
cadre européen ou simplement multilatéral ; des services publics
entiers, comme la Défense, travaillent en anglais sous prétexte de
coordination communautaire ; nulle législation linguistique ne semble faire obstacle à
la glissade au bilinguisme ; le gouvernement retarde sans cesse le lancement
de la chaîne francophone en continu, laquelle pourrait même émettre en
partie en anglais : c'est partout l'à peu près et l'inconséquence.
La francophonie supposerait une action constante et cohérente.
Certes, il est frappant que le désintérêt de la France pour sa langue
croit, et qu'aucun des prétendus grands candidats à la présidentielle
ne la gratifie d'un regard. Quant à Jacques Chirac, il gaspille par ses
inconséquences ce qui pourrait être une carte majeure dans le jeu de la France.
Paul-Marie Coûteaux
Député français au Parlement européen,
membre de la Commission des Affaires étrangères.
Auteur de « Être et parler français » (éd. PERRIN,
septembre 2006)
Contacts : 06 81 41 89 32 / 06 75 61 95 83 / 00 32 2 284 7206
*