Multilinguisme et langue de bois !
J'ai assisté récemment à un débat sur le multilinguisme. Un de plus.
Comme les autres fois, c’était à pleurer : de l’exhortation, du « yaka », du « fokon », du « nous somm’pour… », et le reste à l’envi.
L’alternative est pourtant simple : ou bien c’est l’anglais, (N.B. : qui ne s’impose pas, comme disent les ignorants ou les naïfs, mais qui est imposé), ou bien nous continuons à défendre le multilinguisme en feignant de croire qu’il serait à la portée du premier venu. Ce qui, dans cette deuxième option de l’alternative, revient à tout faire pour que l’anglicisation, contre laquelle ils se battent, réussisse ; avec les conséquences catastrophiques que cela entrainera.
Parce qu’apprendre une ou plusieurs langues étrangères n’est pas, quoiqu’ils en disent, à la portée du premier venu. Lorsqu’on a une once de jugeote, il est évident que la solution ne se trouve pas dans cette alternative. Mais voilà, interdiction de parler de l’autre solution.
Thierry Saladin
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Multilinguisme et langue de bois !
Possibilité de noter cette vidéo et d'y apporter un commentaire,
en allant sur : http://youtu.be/ZFiCfIO7-5g
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(Jeudi 5 décembre 2013)
Je viens d'assister à Bruxelles à une Table ronde organisée par l'association DLF Bruxelles-Europe. Le thème était le suivant : « Le multilinguisme, ça marche ! », avec comme sous-titre : « Qui a peur de la diversité ? »
M'attendant à entendre quelques sottises sur le sujet, je me suis décidé à aller à Bruxelles. Et je n'ai pas été déçu.
D'abord, j'avais négocié au téléphone avec la présidente de DLF la possibilité de pouvoir intervenir lors du débat qui suivrait.
Permission accordée pour deux minutes maximum. Parfait.
Une précision : là-bas, DLF ne veut pas se présenter comme étant, comme à Paris, pour la Défense de la Langue Française, mais pour la Diversité Linguistique et la langue Française.
Au programme, et à la tribune trois intervenants :
— un ministre chargé des relations avec le Parlement européen : Mission Suisse auprès de l'U.E.,
— un écrivain canadien,
— un ministre de l'Enseignement, de la Formation et de l'Emploi,
— La présidente de DLF Bruxelles-Europe,
— Un Conseiller au Parlement européen, qui assurait la modération,
— enfin une femme qui s'est présentée comme travaillant dans un service assurant la promotion de la Francophonie auprès des instances européennes, mais qui n'a pas parlé.
Quant à l'assistance, nous étions bien une centaine de personnes. J'ai pu parler avec quelques-uns qui étaient d'anciens fonctionnaires de l'UE, ou des avocats travaillant pour les mêmes instances...
Qu'ai-je entendu de la part de intervenants ? Du baratin !
Comme d'hab'.
L'un a parlé du multilinguisme en Suisse, faisant semblant de croire que chaque Suisse serait trilingue (F, D, I).
L'autre a parlé du Québec et de la loi 101 qui reconnaît le statut de langue officielle au français.
Quant au troisième, c'était pour parler de ce qui se passait dans la communauté germanophone des deux enclaves belges.
Le tout animé de questions très polies de la part du modérateur : le Conseiller au Parlement européen. Chacun parlant pendant une bonne quinzaine de minutes.
Et, bien sûr, pas un mot sur la situation actuelle en Europe, tant au niveau politique (comment fonctionnent les institutions sur ce plan-là, etc. que sur les solutions à apporter pour favoriser ce qui était en toile de fond et qui est le cheval de bataille de DLF Bruxelles-Europe : le multilinguisme au niveau citoyen.
Une précision : dans l'assistance il y avait une représentante de l'AFFOI, cette association de fonctionnaires francophones qui entend attaquer en justice (mais le fera-telle vraiment ?) l'U.E. pour non-respect des traités.
Il faut vous dire que visiblement les invités de ce genre de réunion se connaissent quasiment tous. Ce sont pour la plupart d’anciens fonctionnaires de l’U.E. J’ai pu longuement discuter avec l’un deux en attendant que ça commence, il était assis à côté de moi, et m’a dit qu’il avait fait toute sa carrière exclusivement en français. C’était un monsieur de 70 ans maximum très remonté contre l’exclusion du français au sein des institutions actuelles… et militant actif de la cause. Que fait-il exactement, je l’ignore.
En attendant, si nous discutâmes fort courtoisement au début, ce ne fut plus le cas après mon intervention, c'est-à-dire qu'il m'ignora, et il partit au cocktail sans même me saluer.
Il est vrai que j’ai fait fort. Vous allez en avoir la preuve.
Il fallait les voir, tous ces gens-là. Ils se saluent, mais aussi les intervenants, la présidente de DLF, etc. Bref, on est entre soi, là-bas. On se congratule même. Autrement dit : on en est.
C’est l’impression que ça m’a donnée dès le début.
Voici donc le texte de mon intervention (en noir), lors du débat. Je rappelle qu’avant d’aller à Bruxelles, j’avais négocié avec Claire Goyer, présidente de DLF, une prise de parole de deux minutes. J’ai donc appris par cœur mon texte, que j’ai quelque peu modifié au pied levé (écrit en bleu), lorsqu’à deux reprises, je fus interrompu par le modérateur, ben voyons ! J’ai mis ses remarques en rouge.
Vous remarquerez que je ne parle pas du tout de l’espéranto, ni n’y fais pas la moindre allusion. Cela eût été hors sujet, et surtout me griller d’emblée. En revanche, vers la fin de mon intervention, j'ai vaguement entendu une ou deux personnes prononcer le mot interdit, mais n'y ai pas répliqué.
J’ai deux minutes pour parler : deux minutes pour dire, qu’au-delà de la qualité des trois intervenants et de leur propos que je reconnais, nous sommes ici, si vous me permettez de le dire ainsi, en pleine illusion.
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« Le multilinguisme, ça marche ! Mais oui, mais derrière ce titre exclamatif et ces interventions se cache l’espoir que peut-être ce serait transposable à l’Union Européenne.
Allons, allons !
Faut-il que je rappelle dans cette maison, qu’apprendre une langue étrangère n’est pas à la portée du premier venu ?
Faut-il que je précise que tout le monde n’est pas capable de faire Polytechnique, l’École Normale Sup, ou HEC ?
Faut-il aussi dire ici qu’apprendre une langue étrangère, ce n’est pas acquérir du vocabulaire mais bien, des réflexes ?
Des réflexes qu’il convient de qualifier de primaires et de secondaires dès lors qu’il s’agit d’une langue, et ce quelle qu’elle soit. Par opposition aux réflexes primaires et secondaires acquis avec la langue maternelle, qui sont des réflexes stables, les réflexes qu’il faut acquérir avec une langue étrangère, eux, ne le sont pas, d’une part parce qu’ils surviennent sur un tissu nerveux déjà occupé par la langue maternelle, donc beaucoup moins libre, d’autre part parce que le tissu nerveux est un peu plus vieux, donc beaucoup moins souple.
Alors que dire de l’apprentissage de plusieurs langues, comme on aimerait nous le faire croire.
Regardons le niveau regrettable de nos jeunes s’agissant de la maîtrise de leur langue maternelle, et je ne parle même pas de l’écrit, prenons conscience de la pauvreté de langage dont ils font montre, et on voudrait nous faire croire qu’ils pourraient maîtriser plusieurs langues étrangères ?
En fait, « on », ce sont les instances européennes, aux ordres de Washington qui, dans les années quarante, a concocté un projet d’U.E. à la botte des É.U.A., bien entendu…Mais ce n’est pas le sujet, voyons…(moi avec autorité, et le micro baladeur en main : « mais si, c’est le sujet ! La raison de la situation actuelle est politique, et uniquement politique », (et je reprends) … avec notamment pour but l’éviction du français comme langue internationale, le seul rival à l’anglais parce qu’il est parlé lui aussi sur les cinq continents.
Tout cela avec le concours de nombreux auxiliaires (des intellectuels français et le microcosme politico-médiatique en France, pour faire simple et pour ce que je prétends bien connaître.)
Alors, pour nous distraire du vrai but, ce « on » nous a vendu le multilinguisme. Votre question est donc … (je n’arrive plus à me souvenir exactement la formulation de ma question qu’il prétend avoir comprise, mais à nouveau avec autorité j’ajoute :) « Non, si vous permettez, ma question est celle-ci et aucune autre : »
Alors, sommes-nous obligés de faire preuve d’angélisme, nous, les défenseurs du français et des autres langues ? Parler du multilinguisme, ne serait-ce pas comme l’horizon qu’on cherche parfois à atteindre et qu’on n’atteint jamais ? Et pendant ce temps-là, le globiche s’installe. »
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Sur la centaine de personnes qui composaient l’assistance, deux m’ont applaudi. Mais pas mon voisin avec qui j'avais échangé.
Il est évident que je ne retire aucun mot de ma prestation, dont j’avoue être assez satisfait, parce qu’elle m’a permis de dire tout haut au sein du sérail ce qu’il est convenu de taire. J'étais monté à Bruxelles pour ça, et uniquement pour ça. J’ai suffisamment assisté à des conférences sur ce sujet pour avoir compris qu’il ne faut plus poser de questions, mais bien, parler.
Parler brièvement, et cela au seul bénéfice de l’assistance qui en retiendra ce qu’elle veut bien.
Celui qui de la tribune a parlé après moi (je ne peux pas qualifier son intervention de réponse, puisqu'il est resté dans l’exhortation, comme d’hab’ !) a parlé de l’intérêt du multilinguisme en Europe, de la nécessité de préserver la diversité des langues et des cultures, que « nous sommes favorables à cette cause, que yaka, fokon, yapuka, et fol’ fer’ fer ».
Il fut applaudi par toute la salle, mon voisin inclus.
Ensuite, il y eut une dizaine de questions, toutes plus ou moins dans le conformisme, et dans la bien-pensance. Les réponses étant du même acabit.
On est entre gens bien élevés !
Ensuite, il y avait un cocktail, mais je ne pus y aller tout de suite, car les deux personnes m'ayant applaudi sont venues l'une après l'autre parler avec moi et m'ont remercié pour mon intervention.
J'arrive finalement au cocktail. Gâteaux à apéritif, cacahuètes, chips et, entre autres, Beaujolais nouveau. Deux autres personnes viennent vers moi... il s'agit d'une belle Allemande aux beaux yeux à la Romy Schneider (Mmmmmmmmh…!) et d'un Portugais. Tous les deux sont avocats auprès de l'U.E., et multilingues.
Et de parler du multilinguisme, cette fois-ci de manière plus directe, mais le tout dans une bonne ambiance.
Puis un monsieur accapare Romy Schneider (le vilain !) et je continue à converser avec le Portugais.
J'en arrive à la solution suivante face au tout-anglais : on reste en l'état, ou alors on envisage sérieusement la seule solution raisonnable qui est l'espéranto.
Voici maintenant le dialogue qui s’est instauré :
Lui : Mais on ne va pas « imposer » une langue qui n'a pas de ...
Moi : Il ne s'agit pas d'imposer, mais de proposer. Proposer à côté de l'anglais enseigné dans les écoles l’apprentissage de l'espéranto. Au moins d’une manière optionnelle.
Lui : Mais qui parle l'espéranto ?
Moi : Estimata sinjoro, nun, mi ne plu parolas france, mi parolas Esperanton,...
Lui : Mais avec qui parlez-vous l'espéranto ?
Moi : Avec plein de gens dans le monde...
Lui : Mais c'est une langue qui n'a pas de culture, pas d'histoire...
Moi : Si précisément, cette langue repose sur l'histoire des langues européennes et des peuples qui les parlent.
Lui : Mais c'est une langue assez pauvre qui ne permet pas de tout exprimer...
Moi l'interrompant : Ah bon, mais connaissez-vous vraiment l'espéranto ?
Lui : Oui, j'en ai lu quelques passages.
Moi : Il me semble, Maître, que vous n'en savez pas grand-chose. (J'emploie à dessein l'appellation « Maître », tout en lui touchant le bras afin de continuer avec lui cette conversation sous les meilleurs auspices, ce qu'il comprend parfaitement.)
Et lui d'insister sur sa position.
Moi : permettez-moi de vous demander ce qu'est un mot en espéranto terminé par la lettre « a » ?
Lui : Pas de réponse.
Moi : C'est un adjectif qualificatif. Puis même question avec la finale « o ».
Lui : Pas de réponse.
Moi : C'est un substantif. Mais permettez-moi, Maître, de vous dire que vous ne connaissez pas bien le dossier... Vous ignorez ce qu’est l’espéranto, ce qui n’est pas grave en soi, mais vous ignorez votre ignorance, et ça, c’est regrettable.
Et j’enchaîne :
L'espéranto, c'est comme un prévenu, qui rentrerait dans le box des accusés et qui ne pourrait pas disposer d'un avocat : ça vous parle, ça, Maître, cette comparaison ?
Lui : Il sourit, et en rajoute une couche. Je ne sais plus quelle contre-vérité il me sort. Je crois qu'il me dit que l'espéranto est trop latin, ou un truc de ce genre-là.
Moi : Plus précisément une synthèse des langues romanes, germaniques et slaves.
Lui (commençant à perdre les pédales) : C'est donc une langue européenne qui ne peut prétendre à l'universalité...
Moi : Précisément, nous sommes bien ici au sein des institutions de l'U.E….
Lui : Il ne ne dit plus rien et s'éloigne en souriant. Il n'a visiblement plus rien à dire. KO l'avocat ! Il est tombé sur Saladin, et c'est un os !
Mais je le crois assez intelligent pour ne plus dire ce genre d'ânerie à l'avenir, et, peut-être se documenter.
J'affirme sur l'honneur que les choses se sont passées comme cela.
Thierry Saladin