Sujet :

Les langues régionales, ce que veut l'Allemagne

Date :

31/05/2008

D' Yvonne Bollmann  (courriel : contact(chez)communautarisme.net )  

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Ouvrages

Deux essais d'Yvonne Bollmann

La bataille des langues en Europe, Bartillat, 2001 et Ce que veut l'Allemagne, Bartillat, 2003

Germaniste, maître de conférence à l'Université Paris-XII, Yvonne Bollmann évoque les origines de la Charte des langues régionales et minoritaires par la Fédération Peuples et Ethnies solidaires, et replace son élaboration dans le contexte d'un « ethnisme » que l'Allemagne contribue à propager par le biais des institutions européennes.

 

La bataille des langues en Europe

 

La bataille des langues en Europe, Yvonne Bollmann, Bartillat, 2001

 La signature de la Charte des langues minoritaires, l'intégration de Diwan, le « processus de Matignon » : tant de concessions aux militants nationalistes bretons ou corses, de leurres et de promesses, de déni de la réalité, pour en venir à découvrir trop tard le coût de la soumission au communautarisme… Dans cette accablante dérive d'une «agauche » qui ne semble guère avoir tiré les leçons de son échec, les débats au sujet de la Charte des langues minoritaires auront occupé une place non négligeable. Débats obscurs, puisque rendus tels par l'absence d'information réelle sur les origines de cette Charte et sa signification, ou plutôt non-débats opposant les bons et les méchants : les bons défenseurs des langues minoritaires et les méchants jacobins animés d'une haine sournoise à l'égard des pauvres idiomes minorisés. Pourquoi ne pas la signer, cette Charte ? Puisque tout le monde l'a fait ! C'est d'ailleurs une obligation, la France est en retard… jacobinisme, obscurantisme, la litanie reprenait - encore heureux quand on n'avait pas commencé par vous glisser sous le nez une pétition à signer. Amnesty international, la Ligue des Droits de l'Homme… eh oui, la signature de la Charte relevait des droits de l'Homme donc du devoir de l'Homme de la signer. Où était le problème ?
Le problème était, pour un esprit curieux, l'étrange libellé d'une Charte qui entendait défendre les langues de minorités ethniques en excluant les dialectes de langues dominantes et les langues des migrants. Dialecte français, le gallo, encore parlé en haute Bretagne, n'avait pas lieu d'être défendu ; le breton, en revanche, langue celtique, avait lieu de l'être (1). Ayant lu et relu les écrits des militants nationalistes bretons, je ne savais que trop à quel point cela pouvait conforter leur grand rêve de receltiser les terres gallèses et je ne voyais que trop comment cela s'inscrivait dans un grand rêve ethnique dont, alors que je rassemblais les matériaux de l'essai qui allait devenir Le monde comme si, je commençais à deviner les contours.
C'est en découvrant - grâce à Jean Le Dû qui a longtemps dirigé le département de celtique de l'Université de Brest et ne peut être accusé de nourrir des sentiments « antibretons » - l'essai d'Yvonne Bollmann, La bataille des langues en Europe, que toute une part du problème qui me laissait m'est apparu en pleine lumière, recoupant mes propres recherches et confirmant mes inquiétudes. Simple, précis, argumenté, basé sur une longue étude des textes qui ont donné lieu à la Charte et des commentaires de ceux qui l'ont imposée au Conseil de l'Europe, le livre d'Yvonne Bollmann apportait, en trois chapitres, une réponse à bien des questions que je m'étais posées.

 

Origines de la charte

En résumer la teneur n'est pas difficile : la Charte est le résultat de l'intense lobbying auprès des instances européennes d'une association, la FUEV (Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen), en français U.F.C.E. La FUEV est directement issue des « Congrès des nationalités » créés après la Première guerre mondiale afin de regrouper dans un Reich grand-allemand les minorités allemandes que le traité de Versailles avaient enlevées au IIe Reich et à l'Autriche-Hongrie. Défendant les « minorités nationales » et attisant les séparatismes (notamment en France), le Congrès des nationalités défendait une conception ethnique de l'organisation politique qui allait amener son organe mensuel, Nation und Staat (Nation et Etat) à développer des théories racistes en relation avec le national-socialisme. La revue s'arrêta en 1944 mais, dès 1949, l'Union fédéraliste des communautés et régions européennes (U. F. C. R. E.), qui devait prendre plus tard le nom de F.U.E.V., fondée à Versailles (lieu symbolique) prit le relais. Son président, Joseph Martray, membre sous l'Occupation du Comité consultatif de Bretagne, avait été le bras droit de Yann Fouéré, directeur notamment du journal collaborationniste La Bretagne. Quoi d'étonnant si la FUEV qui, depuis 1961, édite une revue, Europa ethnica, présentée comme la suite de Nation und Staat, fut présidée de 1986 à 1990 par le séparatiste breton Pierre Lemoine, co-fondateur du MOB avec Yann Fouéré et chef du FLB (Front de Libération de la Bretagne) (2) ?
Renouant avec le pangermanisme après la réunification de l'Allemagne, le gouvernement d'Helmut Kohl décida de subventionner les organisations séparatistes des minorités germanophones. La FUEV, reçut alors des sommes importantes (3). Financée par le Land du Schleswig-Holstein et les régions autonomes du Tyrol du sud et du Trentin, puis, en Autriche, par la Carinthie de Haider, elle est également sponsorisée par la fondation Niermann, créée en 1977 à Düsseldorf dans le but, écrit Yvonne Bollmann, citant l'hebdomadaire Die Zeit, « d'aider les minorités ethniques à préserver leur existence biologique et culturelle », en particulier le «Volkstum allemand exposé à de dangereuses menaces à l'ouest, au Sud et à l'Est ». La fondation a donc soutenu financièrement « des cercles subversifs au Tyrol du Sud, des courants séparatistes en Alsace et en Lorraine, la cause ethnique au pays basque ».
Participant en tant qu'ONG à toutes les sessions du Conseil de l'Europe et du Parlement européen, elle entend défendre une Europe fédérale fondée sur le droit des ethnies en faisant adopter d'abord par les institutions européennes des dispositions qui seront ensuite imposées aux États, consentants ou non.

 

Chartes et conventions-cadre

La Charte des langues minoritaires n'est qu'un élément d'un ensemble. La FUEV, en effet, a fragmenté son programme, de manière à faciliter sa diffusion dans la législation européenne : il s'y est déjà ajouté une Convention-cadre pour la protection des minorités, entrée en vigueur en 1998. Cette reconnaissance des « minorités » a eu pour conséquence la production de documents visant à mettre en place une Europe des ethnies. Comme le rappelle Yvonne Bollmann, « la Charte a été adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 25 juin 1992. Elle a été ouverte à la signature le 5 novembre suivant. Entre ces deux dates, le 2 octobre 1992, une délégation de la FUEV a officiellement déposé auprès du Conseil de l'Europe un projet de convention sur les droits fondamentaux des communautés ethniques européennes, conçu comme protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Ainsi que l'a rappelé Europa ethnica, il y avait là, entre autres, aux côtés de Karl Mitterdorfer, sénateur du « Tyrol du sud » et président de la FUEV, le « Breton Pierre Lemoine », alors vice-président de l'organisation. Ce projet, élaboré à Bolzano-Bozen, prétend se baser sur le point de vue des Volksgruppen, et servir ainsi de contrepartie aux projets des « États », pour un dialogue fructueux entre les « deux parties en conflit ». K. Mitterdorfer affirme d'ailleurs sans vergogne que la FUEV a été mandatée, pour les représenter, par environ 50 Volksgruppen. Il souhaite que se dégage, pour ces groupes, un droit d'intervention et un droit de codécision, qu'incarnerait, par exemple, un Conseil européen des Volksgruppen, adjoint au Conseil de l'Europe ».

 

Peuples et ethnies solidaires

Sous couvert de défendre des « langues minoritaires », on fait donc « passer pour des droits de l'homme, qui ont par avance la faveur des foules, le droit collectif des groupes ethniques ». L'ethnisme est-il autre chose qu'un racisme ? Peut-il mener à autre chose qu'à des conflits dont la défense des Volksgruppen a déjà donné tant d'exemples ? Conflits qui ne pourraient manquer d'être particulièrement aigus en France : en effet, le tableau des « minorités ethniques d'Europe » publié en 2000 indique qu'elle ne compte que 85,6% de « Français », les autres étant désignés comme « minorités linguistiques (locuteurs de langues régionales) ». La question est bien que ce projet est appuyé par la « gauche » française (Yvonne Bollmann se penche notamment sur le cas du coûteux Bureau des langues moins répandues (BLMR) qui permet à tant de militants de bénéficier de voyages auprès d'autres défenseurs des ethnies opprimées). «Nous ne manquerons pas d'insister auprès de nos militants sur les nombreuses affinités qui existent entre le Parti socialiste et les autonomistes alsaciens-lorrains et les autres autonomistes de l'hexagone ». La phrase du militant autonomiste Ferdinand Moschenross n'est que trop exacte : aux dernières élections régionales, les Verts, alliés au PS, ont permis aux autonomistes de l'UDB (dont les scores électoraux sont dérisoires) de faire massivement leur entrée au conseil régional de Bretagne. Dérive communautariste, aveuglement ou mise en œuvre d'une politique concertée ?

 

Ce que veut l'Allemagne

 

Ce que veut l'Allemagne, Yvonne Bollmann, Bartillat, 2003

Poursuivant sa réflexion sur les dangers du dispositif en train de se mettre en place, et s'interrogeant sur le rôle joué par l'Allemagne, Yvonne Bollmann a publié en 2003 un autre essai, non moins passionnant, qui pourrait, en fait, servir d'introduction au premier (et fait suite à un premier essai, La Tentation allemande, paru en 1998 aux éditions Michalon). Ce que veut l'Allemagne analyse la manière dont les institutions européennes sont utilisées pour imposer le projet d'Europe fédérale à caractère ethnique que la FUEV nous a déjà permis d'entrevoir.
« Est-ce que l'Allemagne va enfin obtenir ce que le monde lui a refusé au cours des deux dernières guerres mondiales », demandait, en 1995, Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères, « c'est-à-dire une sorte d'hégémonie douce sur l'Europe, résultat de son poids, de sa position géopolitique, de sa puissance industriellea? » Cette « hégémonie douce », appuyée sur la référence permanente au respect de la diversité, prend les formes d'une « politique intérieure à l'échelle planétaire » (« Weltinnenpolitik ») qui ne va pas sans poser question. Encore faut-il que ces questions puissent être posées. Or, comme dans le cas de la Charte des langues minoritaires, toute voix dissidente se perd dans le vague chaos de l'unanimité à la mode : chauvinisme, conspirationnisme, antigermanisme primaire, combats d'arrière-garde et querelles de clocher, la cause est jugée d'avance. « J'ai assisté en novembre 1999 », écrit E. Husson, « à un colloque franco-allemand organisé par la Fondation Friedrich Ebert (fondation du parti social-démocrate allemand) à l'occasion duquel Madame Yvonne Bollmann avait été invitée à exposer ses thèses sur la « tentation allemande » qui vont dans le même sens que les travaux de Pierre Hillard : un certain nombre de représentants des élites allemandes chercheraient à assurer la prépondérance de leur pays en Europe en faisant éclater les constructions politiques du continent, car ils savent bien que les régions germanophones disposeront alors d'une majorité démographique, renforcée par leurs regroupements au centre de l'Europe. La salle commença par siffler, trépigner, hurler ; on insulta l'oratrice, qui ne se laissa pas impressionner ; heureusement, quelques-uns des Allemands présents firent preuve de courage et surent exiger du reste du public ouverture d'esprit, écoute et tolérance. On eut finalement une discussion de bonne tenue, dont il faut espérer qu'elle ne restera pas unique en son genre » (4). On ne peut que s'associer à ce vœu et être reconnaissant à de telles recherches d'appeler à la vigilance.

Françoise Morvan
Françoise Morvan est l'auteur du Monde comme si, Nationalisme et dérive identitaire en Bretagne, Actes Sud, 2002

 

Notes

(1) Après consultation du rapport du linguiste chargé de déterminer quelles langues minoritaires étaient parlées en France, il est apparu que le gallo et divers autres dialectes français avaient, contre toute évidence, réussi à devenir des « langues minoritaires » : il avait suffi de les classer dans la rubrique « langues d'oïl » pour leur donner statut de langue, le terme de « dialecte » s'étant discrètement effacé du rapport. L'arabe, le berbère et diverses idiomes, au contraire de tant d'autres langues de « migrants », avaient, elles aussi, franchi le cap pour des raisons qu'il est curieux de découvrir.
Voir « Les Langues de France : rapport au ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et à la ministre de la culture et de la communication », Bernard Cerquiglini, 1999 : lire sur le site de la Documentation française
(2) Erwan Le Quilliec, Les Fronts de libération de la Bretagne, Université de Panthéon-Assas, 1997 (DEA rendant hommage à Fouéré et autres militants nationalistes bretons, téléchargeable en format word sur le site Arbedkeltiek
(3) A ce sujet, voir aussi Lionel Boissou, « La FUEV et la charte européenne des langues régionales et minoritaires » : lire en format PDF
(4) « La désintégration européenne », in Pierre Hillard, Minorités et régionalismes dans l'Europe fédérale des régions, François-Xavier de Guibert, nouvelle édition, 2004, p. 307.

Acheter en ligne :
La bataille des langues en Europe, Yvonne Bollmann, Bartillat, 2001.
Ce que veut l'Allemagne, Yvonne Bollmann, Bartillat, 2003.

Voir aussi sur la Charte des langues régionales et minoritaires, le dossier de l'Observatoire du communautarisme

 

 

 

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