Ouvrages Deux essais d'Yvonne BollmannLa bataille des langues en Europe, Bartillat, 2001 et Ce que veut l'Allemagne, Bartillat, 2003Germaniste, maître de conférence à l'Université Paris-XII, Yvonne Bollmann évoque les origines de la Charte des langues régionales et minoritaires par la Fédération Peuples et Ethnies solidaires, et replace son élaboration dans le contexte d'un « ethnisme » que l'Allemagne contribue à propager par le biais des institutions européennes.
La bataille des langues en Europe
La bataille des langues en Europe, Yvonne Bollmann, Bartillat, 2001
La
signature de la Charte des langues minoritaires,
l'intégration de Diwan, le
« processus de Matignon » : tant de concessions aux
militants nationalistes bretons ou corses, de leurres et de
promesses, de déni de la réalité, pour en venir à découvrir
trop tard le coût de la soumission au communautarisme… Dans
cette accablante dérive d'une «agauche
» qui ne semble guère avoir tiré les leçons de son échec,
les débats au sujet de la Charte des langues minoritaires
auront occupé une place non négligeable. Débats obscurs,
puisque rendus tels par l'absence d'information réelle sur
les origines de cette Charte et sa signification, ou plutôt
non-débats opposant les bons et les méchants : les bons
défenseurs des langues minoritaires et les méchants jacobins
animés d'une haine sournoise à l'égard des pauvres idiomes
minorisés. Pourquoi ne pas la signer, cette Charte ? Puisque
tout le monde l'a fait ! C'est d'ailleurs une obligation, la
France est en retard… jacobinisme, obscurantisme, la litanie
reprenait - encore heureux quand on n'avait pas commencé par
vous glisser sous le nez une pétition à signer. Amnesty
international, la Ligue des Droits de l'Homme… eh oui, la
signature de la Charte relevait des droits de l'Homme donc
du devoir de l'Homme de la signer. Où était le problème ?
Origines de la charte
En résumer la teneur n'est pas difficile : la Charte est le
résultat de l'intense lobbying auprès des instances
européennes d'une association, la FUEV (Föderalistische
Union Europäischer Volksgruppen), en français U.F.C.E. La
FUEV est directement issue des « Congrès des nationalités »
créés après la Première guerre mondiale afin de regrouper
dans un Reich grand-allemand les minorités allemandes que le
traité de Versailles avaient enlevées au IIe Reich et à
l'Autriche-Hongrie. Défendant les « minorités nationales »
et attisant les séparatismes (notamment en France), le
Congrès des nationalités défendait une conception ethnique
de l'organisation politique qui allait amener son organe
mensuel, Nation und Staat
(Nation et Etat) à développer des théories racistes en
relation avec le national-socialisme. La revue s'arrêta en
1944 mais, dès 1949, l'Union fédéraliste des communautés et
régions européennes (U. F. C. R. E.), qui devait prendre
plus tard le nom de F.U.E.V., fondée à Versailles (lieu
symbolique) prit le relais. Son président, Joseph Martray,
membre sous l'Occupation du Comité consultatif de Bretagne,
avait été le bras droit de Yann Fouéré, directeur notamment
du journal collaborationniste
La Bretagne. Quoi
d'étonnant si la FUEV qui, depuis 1961, édite une revue,
Europa ethnica,
présentée comme la suite de
Nation und Staat, fut présidée de 1986 à 1990 par le
séparatiste breton Pierre Lemoine, co-fondateur du MOB avec
Yann Fouéré et chef du FLB (Front de Libération de la
Bretagne) (2) ?
Chartes et conventions-cadre La Charte des langues minoritaires n'est qu'un élément d'un ensemble. La FUEV, en effet, a fragmenté son programme, de manière à faciliter sa diffusion dans la législation européenne : il s'y est déjà ajouté une Convention-cadre pour la protection des minorités, entrée en vigueur en 1998. Cette reconnaissance des « minorités » a eu pour conséquence la production de documents visant à mettre en place une Europe des ethnies. Comme le rappelle Yvonne Bollmann, « la Charte a été adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 25 juin 1992. Elle a été ouverte à la signature le 5 novembre suivant. Entre ces deux dates, le 2 octobre 1992, une délégation de la FUEV a officiellement déposé auprès du Conseil de l'Europe un projet de convention sur les droits fondamentaux des communautés ethniques européennes, conçu comme protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Ainsi que l'a rappelé Europa ethnica, il y avait là, entre autres, aux côtés de Karl Mitterdorfer, sénateur du « Tyrol du sud » et président de la FUEV, le « Breton Pierre Lemoine », alors vice-président de l'organisation. Ce projet, élaboré à Bolzano-Bozen, prétend se baser sur le point de vue des Volksgruppen, et servir ainsi de contrepartie aux projets des « États », pour un dialogue fructueux entre les « deux parties en conflit ». K. Mitterdorfer affirme d'ailleurs sans vergogne que la FUEV a été mandatée, pour les représenter, par environ 50 Volksgruppen. Il souhaite que se dégage, pour ces groupes, un droit d'intervention et un droit de codécision, qu'incarnerait, par exemple, un Conseil européen des Volksgruppen, adjoint au Conseil de l'Europe ».
Peuples et ethnies solidaires Sous couvert de défendre des « langues minoritaires », on fait donc « passer pour des droits de l'homme, qui ont par avance la faveur des foules, le droit collectif des groupes ethniques ». L'ethnisme est-il autre chose qu'un racisme ? Peut-il mener à autre chose qu'à des conflits dont la défense des Volksgruppen a déjà donné tant d'exemples ? Conflits qui ne pourraient manquer d'être particulièrement aigus en France : en effet, le tableau des « minorités ethniques d'Europe » publié en 2000 indique qu'elle ne compte que 85,6% de « Français », les autres étant désignés comme « minorités linguistiques (locuteurs de langues régionales) ». La question est bien que ce projet est appuyé par la « gauche » française (Yvonne Bollmann se penche notamment sur le cas du coûteux Bureau des langues moins répandues (BLMR) qui permet à tant de militants de bénéficier de voyages auprès d'autres défenseurs des ethnies opprimées). «Nous ne manquerons pas d'insister auprès de nos militants sur les nombreuses affinités qui existent entre le Parti socialiste et les autonomistes alsaciens-lorrains et les autres autonomistes de l'hexagone ». La phrase du militant autonomiste Ferdinand Moschenross n'est que trop exacte : aux dernières élections régionales, les Verts, alliés au PS, ont permis aux autonomistes de l'UDB (dont les scores électoraux sont dérisoires) de faire massivement leur entrée au conseil régional de Bretagne. Dérive communautariste, aveuglement ou mise en œuvre d'une politique concertée ?
Ce que veut l'Allemagne
Ce que veut l'Allemagne, Yvonne Bollmann, Bartillat, 2003
Poursuivant sa réflexion sur les dangers du dispositif en
train de se mettre en place, et s'interrogeant sur le rôle
joué par l'Allemagne, Yvonne Bollmann a publié en 2003 un
autre essai, non moins passionnant, qui pourrait, en fait,
servir d'introduction au premier (et fait suite à un premier
essai, La Tentation
allemande, paru en 1998 aux éditions Michalon).
Ce que veut l'Allemagne
analyse la manière dont les institutions européennes sont
utilisées pour imposer le projet d'Europe fédérale à
caractère ethnique que la FUEV nous a déjà permis
d'entrevoir.
Notes
(1) Après consultation du rapport du linguiste chargé de
déterminer quelles langues minoritaires étaient parlées en
France, il est apparu que le gallo et divers autres
dialectes français avaient, contre toute évidence, réussi à
devenir des « langues minoritaires » : il avait suffi de les
classer dans la rubrique « langues d'oïl » pour leur donner
statut de langue, le terme de « dialecte » s'étant
discrètement effacé du rapport. L'arabe, le berbère et
diverses idiomes, au contraire de tant d'autres langues de «
migrants », avaient, elles aussi, franchi le cap pour des
raisons qu'il est curieux de découvrir.
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