Sujet :

Les langues régionales et l'ordre ethnique

Date :

31/05/2008

D' Yvonne Bollmann  (courriel : contact(chez)communautarisme.net)  

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Les langues régionales sont les armes et les otages de l’ordre ethnique

Le 22 mai, l’Assemblée nationale a introduit la reconnaissance des langues régionales dans le projet de réforme de la Constitution. Lors du débat qui a précédé le vote, il fut décidé que ce serait non pas dans son article 2, où le français est défini comme « la langue de la République », mais dans l’article 1er. Cela n’est pas sans conséquences.

 

Langues régionales, territoires et « minorités »

 Le président de la commission des Lois, Jean-Luc Warsmann, a affirmé que « notre logique n’est évidemment pas d’opposer le français aux langues régionales, mais (…) de compléter l’article premier de la Constitution en vue d’affirmer que ces langues appartiennent au patrimoine de la France ». Le garde des sceaux a de son côté estimé « logique » de les mentionner « dans l’article 1er, qui spécifie que la République est décentralisée, plutôt que de sembler les opposer au français à l’article 2 ».

 Mais le rapport ainsi établi entre décentralisation et langues régionales accentue le caractère « régional » de celles-ci et donc, pour reprendre les termes du député Claude Goasguen, le « critère géographique » qui en est, à côté du « critère linguistique », l’une des deux composantes. Tout cela ne serait que pléonasme si ce rapprochement ne renforçait pas l’effet de territorialisation des langues dites régionales et de leurs locuteurs. On peut voir dans « La clef », l’atlas ethno-linguistique publié en 1998 par le peintre Ben, jusqu’où peut mener un tel processus, quand langue est synonyme d’ethnie.

 Il y a dans cet ouvrage, pour chaque pays, un « tableau des compositions ethniques » indiquant « le nombre de locuteurs ou d’individus originaires de chaque communauté linguistique vivant sur le territoire de l’État analysé ». Dans sa préface, Ben signale que « les tableaux des populations de ce livre distinguent les minorités territoriales et minorités non territoriales ». Pour la France, les « minorités territoriales », dites « ethnies », sont chez lui au nombre de huit : les Français (59% de la population), les Occitans, les Alsaciens-Mosellans, les Basques, les Bretons, les Corses, les Flamands, les Catalans ; seuls les « Français » ne parlent qu’une langue, le « français littéraire et dialectal » ; les langues mentionnées pour les autres sont d’abord leur propre dialecte, puis leur français régional, et enfin le français.

 Et puis il y a les « minorités non territoriales », dites « autres minorités », que seraient, par ordre décroissant de leur part dans la population, les Berbères, les Arabes, les Portugais, les Juifs, les Afro-Antillais, les Arméniens, les Tsiganes ; pour eux tous aussi, le français figure en dernier, après la langues (ou les langues) de leur « communauté linguistique » ; les Anatoliens, les Est-Asiatiques, les Africains noirs, qui suivent dans la liste,  n’ont pas le français comme langue ; quant aux 3% d’ « Autres », ils parlent des langues « diverses ». Les citoyens français non classés comme « Français » dans ce tableau en deux parties apprécieront, tout comme ceux censés être moins chez eux en France que d’autres.

 L’écriture d’enfant de l’artiste Ben ne laisse pas transparaître la cruauté dans la ségrégation qu’implique son classement en « minorités territoriales » et « minorités non territoriales ». Il ne s’agit pas, écrit-il, « de voir dans cette distinction un refus de reconnaître le droit des minorités non territoriales de ne pas être chez elles sur le territoire de l’État analysé, mais comme une indication montrant que ces communautés possèdent ou devraient posséder (ex : pour les Gitans) un territoire mère en dehors du territoire de l’État en question ». Les droits à leur culture, leur langue, leur religion des « communautés étrangères vivant sur le territoire d’une autre ethnie » existent « sous forme de chartes de droits pour les minorités », telles que les ont rédigées « le Conseil de l’Europe et les Nations Unies ». Voilà bien l’esprit de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, contraire au principe de l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion !

 Lors du débat à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Warsmann a déclaré que la mention des langues régionales dans la Constitution « ne serait pas créatrice de droits nouveaux, en particulier celui d’exiger la traduction des documents administratifs », et qu’ « elle ne vise pas à permettre à des groupes ou à des particuliers de poser une quelconque revendication ». C’était une façon de rappeler la séance du 7 mai ; le ministre de la culture et de la communication avait alors affirmé que dans le domaine des médias, de l’enseignement, des activités culturelles, des autorités administratives, des services publics, « la France va en fait bien au-delà des objectifs de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires », et que « le gouvernement ne souhaite pas s’engager dans un processus de révision constitutionnelle pour ratifier (cette) charte ». 

 Certains, toutefois, ne l’entendent pas de cette oreille. Le député Jean-Jacques Urvoas a dit que l’amendement sur les langues régionales s’impose, car « à défaut la loi annoncée par Madame Albanel rencontrerait des obstacles », et il a reconnu que « grâce à cet amendement, nous levons un obstacle à l’épanouissement des langues régionales » ; mais il a ajouté que « la loi prévue ne suffira pourtant pas à l’assurer », ce qui sonne comme une invitation à ratifier la charte des langues. Claude Goasguen a certes rappelé que l’amendement sur les langues régionales « n’a rien à voir avec la Charte, dont la ratification suppose un acte indépendant de toute stipulation constitutionnelle » ; cela n’a pas empêché Françoise Olivier-Coupeau, député du Morbihan, présidente du groupe d’étude sur les langues régionales au Parlement, de saluer aussitôt son adoption, et de le présenter comme  « un premier pas, qui autorisera juridiquement la ratification par la France de la charte européenne des langues régionales ».

 

La FUEV/UFCE applaudit

 Le même 22 mai s’est ouvert à Pecs (Hongrie), pour trois jours, le 53ème Congrès  des Nationalités de la FUEV/UFCE (Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen/Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes). Les participants ont salué les bonnes nouvelles en provenance de Paris, cette décision par laquelle la France venait de « poser un jalon sur le chemin considéré comme difficile vers la définition de droits collectifs pour les minorités dans l’UE » (Frankfurter Allgemeine Zeitung du 28 mai 2008). La FUEV/UFCE, qui a son siège dans le Schleswig-Holstein, est l’un des maîtres d’œuvre de la charte des langues. Lors de ce congrès, elle a fait savoir qu’elle avait obtenu le statut d'observateur au sein du Comité d’experts sur les questions relatives à la protection des minorités nationales (DH-MIN) du Conseil de l’Europe ; la présidente de ce comité d’experts, Judit Solymosi, était d’ailleurs présente à Pecs, où elle a tenu un discours de bienvenue.

 Au congrès de la FUEV/UFCE, il y avait aussi parmi les intervenants le socialiste hongrois Csaba Tabaidi, président de l’Intergroupe Minorités nationales traditionnelles, régions constitutionnelles et langues régionales du Parlement européen. Le 18 mai 2006, lors d'une réunion avec les représentants de la commission langues et cultures régionales de l'Association des régions de France et du Comité français du bureau européen des langues moins répandues (EBLUL-France), il avait souhaité, dans une déclaration, que la France « ratifie la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signe et ratifie la Convention cadre européenne sur les minorités nationales, ratifie le Protocole 12 à la Convention européenne des droits de l'homme, lève ses réserves sur l'article 27 du Pacte des droits civils et politiques et l'article 30 de la Convention des droits de l'enfant », et qu’elle « reconnaisse pleinement le droit à l'existence des citoyens et peuples qui la composent dans leur spécificité, notamment à travers un système d'éducation, des médias et un espace public permettant l'expression normale de leurs langues, l'enseignement de leurs cultures et de leurs histoires » ; il avait également interpellé  « les Etats, et l'Union européenne sur l'urgence des mesures à prendre et sur leur devoir d'ingérence » en la matière.

 Dans un discours rapporté par une cyberlettre de la FUEV/UFCE, qu’il a prononcé lors de la présentation en juin 2007, au Parlement européen, d'un ouvrage sur les « Sources internationales des droits des minorités nationales et ethniques », Hans-Gert Pöttering a dit vouloir mettre l'accent tout particulièrement, durant son mandat de président de cette institution européenne, « sur les droits des minorités et le dialogue interculturel » ; il a renvoyé au travail de l'Intergroupe présidé par Csaba Tabaidi, et en cautionne donc aussi les conclusions relatives à la France. L’ouvrage en question a été présenté avec le parrainage de la présidente du Parlement hongrois, Katlin Szili, qui a rencontré lors d’une réception, le 23 mai, les participants du congrès de Pecs.

 Mais pour l’actuel président du Parlement européen, ce n’est là qu’une étape dans la mise en œuvre d’un projet plus vaste. La revue Europa Ethnica, dont le titre est un programme en soi, et qui est étroitement liée à la FUEV/UFCE, a publié en 1989 la proposition de résolution « sur un droit européen des Volksgruppen » présentée en juillet 1984 par quarante-deux eurodéputés. Sous leur plume, le Parlement européen s’y déclarait entre autres « partisan du droit à l’autodétermination des peuples », en l’occurrence des « peuples » à caractère ethnique, et « demandait à la Communauté européenne de faire le nécessaire pour que tous les Européens puissent l’exercer ». Parmi les signataires, il y avait Hans-Gert Pöttering, député au Parlement européen depuis 1979, et son président depuis le 16 janvier 2007 ; il ne semble pas avoir renoncé aux convictions qui étaient les siennes en 1984. La France doit se garder de tels « protecteurs ».

 

Couleurs

 Par un curieux hasard, les quais de la station de métro Assemblée nationale sont l’ « écho visuel » de ce qui s’est déroulé dans l’institution dont elle porte le nom : leurs murs sont couverts ces jours-ci d’affiches jaune-rouge-noir. La station étant placée sous le signe de la politique, le regard qui l’embrasse se met au diapason, et on peut donc y voir aussi bien les couleurs de l’Allemagne que celles de la Belgique. Dans l’un et l’autre cas, ça tombe juste : l’Allemagne, par charte des langues interposée, était bien présente souterrainement lors du débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale ; pour casser des pays concurrents, elle se sert aujourd’hui de l’arme des langues régionales, et du soutien à de prétendues minorités ; avec l’aide consciente ou involontaire de nos députés, elle risque de parvenir à ses fins chez nous. Quant à la Belgique, ce champ clos où s’affrontent les langues, elle préfigure le sort qui attend la France si nous laissons le processus entamé aller jusqu’à son terme.

 L’effet d’écho voulu pour cette installation artistique n’a jamais dû coïncider à ce point, depuis qu’elle existe, avec les questions en débat à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une œuvre de l’artiste Jean-Charles Blais, qui a été chargé en 1991 d’aménager cette station pendant dix ans, puis à nouveau pour dix ans à partir de 2003. Au début, il a, selon ses propres termes, conçu ce projet comme « un programme de milliers d’affiches imprimées en sérigraphie qui constitueraient une frise d’une extrémité à l’autre de la station. Ce serait une machine à composer des images qui, sur des fonds passant du rouge au vert, du jaune au bleu, au noir, s’additionneraient, et par l’ordonnancement d’un réaffichage périodique produirait un espace en perpétuelle transformation ».

 Dans cet « environnement qui se métamorphose », le décor change tous les 15 du mois. La totalité des affiches ont été imprimées en une fois et stockées chez l’afficheur de la RATP au début de chacune des deux périodes de dix ans ; l’ensemble que donnent en ce moment le jaune, le rouge et le noir n’a donc pu être conçu pour aller avec une actualité parlementaire précise. Mais l’artiste, lui, est considéré comme à l’unisson avec le « mouvement breton ». Il figure dans l’ouvrage des éditions ArMen « 111 Bretons des temps modernes », dont la couverture rappelle le drapeau breton : sur fond noir, le « 111 » apparaît sous la forme de trois bandes gris foncé et de trois bandes blanches ; « à défaut de Bretagne », l’auteur de sa préface évoque l’endroit où se cacherait ce « pays » : « les limbes d’un ‘inconscient collectif breton’ ». Les limbes ont parfois l’allure d’une station de métro.

 Interrogé dans la revue « Arearevue)s( » de mars 2007, à propos de cette œuvre, sur « la stratégie du souple », qui fait son chemin « face à la stratégie du stable, du solide », Jean-Charles Blais a répondu qu’ « un dispositif souple marche mieux qu’un environnement rigide, karcherisable, anti-effraction ». C’est tout en souplesse, sans panzers, sans troupes d’occupation, en se servant des langues régionales, que l’ordre ethnique cherche cette fois à s’introduire et à se répandre en France. Il est encore temps d’empêcher cela.

 

Yvonne Bollmann

 Auteur de « La Bataille des langues en Europe » (Bartillat, 2001)

 

 

 

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