De :

  M. Adam Valency
  multilinguisme@gmx.net

 

objet : anglofolie

AU : writeto@writeyourmap.com                                           

         rguilbert@humantohuman.fr

                                                 Le 13 mars 2005

 

 

   Madame, Monsieur,

 

 

 

 

J'ai l'habitude de visiter des sites qui écorchent particulièrement la langue de Molière, mais je dois vous avouer que le vôtre
(http://www.writeyourmap.com/) décroche réellement le pompon ! 

Toutes mes félicitations! Encore qu'il reste quelques mots de français inutiles. Moi, j'aurais rédigé tout le site en anglais. Parce que là, cet entre-deux bâtard est à mourir de rire.

Extraits choisis :


"Writing Battle, le writing au grand jour"
"Le deal ? Les writers vainqueurs devront réaliser leur sketch à grande échelle"
"Write your map : le respect, ça marche dans les deux sens..."

Et le respect de soi-même, c'est pas de commencer par parler français ?

Pour vous aider dans votre apprentissage de votre propre langue maternelle (encore que... j'ai des doutes, là), voici la présentation de votre concours réécrite en français. Vous allez voir, c'est beaucoup plus clair :

Le writing, puisque vous voulez utilisez un barbarisme plus positif et plus large que "tag", ce pourrait être le "graphe". Quitte à utiliser des
néologismes, autant en créer en français et faire preuve de la vivacité de notre langue plutôt que de reprendre bêtement des termes étrangers lorsque ce n'est pas indispensable. Un sketch, c'est une esquisse, un projet ou une oeuvre selon le contexte dans lequel il est utilisé. De la richesse du français... Le nom de Write Your Map aurait pu avoir un nom français, soit celui de "Illustre ton plan" utilisé dans les couloirs du métro, soit des choses plus dynamiques comme "Métro-grapheurs" ou "Graphez le réseau!" ou "Graphes en stock !"

"La Bataille du Graphe, le graphe au grand jour. Il faut changer la règle. Le graphe est un art urbain à part entière et mérite de sortir de l´interdit et de l´anonymat.

Du 1er au 31 mars 2005, la RATP organise la première Bataille du Graphe.
Vous êtes le meilleur grapheur de la place ? Réalisez une esquisse sur le thème "le mouvement dans la ville" et mesurez-vous à tous les grapheurs de la capitale, de ses banlieues et de la France entière.

L'équipe de Graph en Stock présélectionnera 100 projets parmi ceux publiés dans la galerie du site. Un jury sans pitié, composé de grapheurs, de journalistes, de personnalités du monde du Hip-Hop et de représentants de la RATP, ne retiendra que les 10 meilleurs.

Les termes du marché ? Les grapheurs vainqueurs devront réaliser leur oeuvre à grande échelle, et le résultat final sera reproduit sur l´un des plans de réseaux de la RATP (Métro, Bus, RER, Tram). Les grapheurs vainqueurs recevront une rémunération de 1 500 euros.
(soit 500 € TTC pour la reproduction de leur oeuvre sur toile et sa mise à disposition de la RATP et 1 000 € TTC pour la cession des droits d'exploitation pour 1 an).

Graphe en stock : le respect, ça marche dans les deux sens.

Que les choses soient claires. La RATP organise cette première Bataille du Graphe pour donner une chance à tous les grapheurs d´exposer leur travail au grand jour. Mais la RATP ne cautionnera jamais le graffiti sauvage dans les stations, les dépôts et les matériels roulants. Le nettoyage de ces dégradations coûte chaque année plus de 25 millions d´euros, réduisant d´autant le budget alloué à l´amélioration du confort et pénalisant ainsi des millions de voyageurs franciliens. La RATP n´aura donc de cesse de poursuivre les auteurs de ces dégradations. La RATP respecte le graphe. Aux grapheurs de respecter la RATP et ses clients."

 

Voilà. C'était tellement difficile d'écrire correctement ? Mais bon, le responsable de cette campagne scandaleuse, Monsieur Rémi Guilbert, est un employé de la compagnie "française" "Human to Human" (profession: "planner stratégique", ne me demandez pas ce que ça signifie ; je n'en sais rien : la langue anglaise est souvent bien pratique pour occulter la vacuité du message à transmettre). Quand on travaille pour une entreprise qui choisit un nom anglais rien que pour faire chic, y a-t-il le moindre espoir à avoir ?

 


Adam Valency

 

 

 

 

Pour lire un certain nombre de réactions à cette campagne lamentable :
http://correcteurs.blog.lemonde.fr/correcteurs/2005/03/les_writers_du_.html#comments

 

 

 

RÉPONSE  DE  M.  RÉMI  GUILBERT

 

 

De :

  M. Rémi Guilbert
  rguilbert@humantohuman.fr
   

 

 

À : M. Adam Valency                         

        multilinguisma@gmx.net

                                                 Le 14 mars 2005

Cher Monsieur,

 

 


Les correcteurs de ce noble journal qu'est Le Monde - d'autres ardents défenseurs de notre belle langue - m'ont adressé les mêmes reproches. Aussi, à l'exception de quelques éléments relatifs à vos commentaires d'ordre personnel, je vous livre peu ou prou la même réponse :

Pourquoi avons-nous choisi d'utiliser les termes anglais « writing » et « writers » en lieu et place des vocables « tag » et « tagueur » qui ont
désormais les honneurs du « Larousse » ? Tout simplement parce qu'au regard des publics concernés, ces derniers auraient été tout simplement inappropriés. En effet, un graffiti est un dessin et un tag est sa signature, laquelle est progressivement devenue un mode d'expression graphique à part entière. Le « writing », pour sa part, englobe ce mouvement culurel à travers ses différents courants - et le concours « Write Your Map » s'adresse à tous ses représentants, lesquels sont également très sensibles à tous les sujets liés aux dérives de langage... J'attire aussi votre attention sur le fait que l'emploi du mot sketch, est autorisé par le « Larousse » qui traduit ce mot par               « esquisse », lequel est donc employé à bon escient dans le cadre de concours ou un avant-projet succin est demandé aux participants.

Par ailleurs, concernant votre suggestion de créer le néologisme "graphe", je me permets de vous rappeler que le terme graffiti est au dictionnaire... L'ensemble de vos propositions associant ce néologisme - outre le fait qu'elles susciteraient la risée des destinataires du message - feraient également sourciller les linguistes érudits dont, semble-t-il, vous ne faites pas partie. Pour mon "apprentissage de la langue française", je m'adresserais donc à une personne plus qualifiée. En outre, les termes anglo-saxons employés dans le cadre de ce concours ne le sont - sans renvoi à une traduction - que sur le site Internet dédié aux quelques centaines de participants. Sur les affichettes présentes dans le métro, et par conséquent visibles par le « grand public », le nom de l'opération «Write your map » est traduit par « Illustre ton plan » (conformément à la réglementation et par ailleurs à votre suggestion), et celui de « writers » par « calligraphes urbains ». Auriez-vous trouvé mieux ?

Comme je le conseillais à vos camarades du blog des correcteurs du Monde - auprès desquels j'ai exposé mon point de vue sans obtenir en retour la moindre réponse convaincante ( à croire qu'on ne peut pas à la fois corriger les textes d'autrui et émettre par écrit des idées pertinentes ?) - pourquoi fustiger ces libertés de langage visibles sur un site Internet réservé à une communauté utilisant un langage propre, à l'instar des "louchebem" d'hier ou des publicitaires d'aujourd'hui ? Et pourquoi, à l'inverse, ne pas attaquer de front les plus puissants des médias qui quotidiennement assènent vocables anglais et anglicismes en toute "impunité" ? Écrivez donc à Patrick Lelay, cher Monsieur, et demandez-lui que TF1 change l'appellation des émissions "Fear Factor" et "Star Academy", pour ne citer que celles-ci. Profitez-en aussi pour lui demander de faire cesser l'emploi du terme "casting", employé à tout bout de champ sur le petit écran et dans nos grands et nobles
quotidiens. Votre croisade aurait peut-être alors un semblant d'utilité.

Enfin, concernant le nom de mon entreprise - Human to Human - sachez qu'il est celui d'une entreprise européenne de veille Internet, pratiquant ce métier sur le réseau francophone et anglophone. Pour la petite histoire, apprenez aussi que le choix de ce nom est précisément un pied de nez au jargon publicitaire anglo-saxon et notamment au regard de termes tels que "business to business" ou "business to consumers" que nous refusons d'employer, préférant une approche plus individuelle et plus "humaine" de la communication (comme vous la constaterez à travers ces lignes).

Concernant ma profession de "planner stratégique", vous trouverez ici une définition qui vous permettra de découvrir qu'il n'y aucune raison
d'occulter derrière ce terme "la vacuité du message à transmettre", contrairement à vos suppositions :
http://www.studyrama.com/article.php3?id_article=1281

À ce sujet, les termes de "coach", de "perchman", de "profiler" ou de "serial killer" - pour ne citer que les vocables corporatistes qui me
passent par la tête écran - sont employés quotidiennement et sans les guillemets d'usage par des journalistes dont l'intégrité éditoriale est par
ailleurs au dessus de tout soupçon. Prenez-vous alors la peine d'écrire à chacun d'entre eux pour - de manière aussi approximative que vous l'avez fait en m'adressant ce courriel - déverser vos vagues connaissances linguistiques assorties de commentaires désobligeants concernant leurs personnes, leurs entreprises ou leurs métiers ? Si c'est le cas, Cher Monsieur, vous auriez toute mon estime pour la pugnacité avec laquelle vous vous adonnez à cette respectable tâche. Mais dans le cas contraire, vous ne seriez qu'un râleur aigri et stérile comme il y en a tant sur le web, pardon sur le réseau. Attendu que je vous soupçonne fort d'appartenir à cette dernière catégorie, je n'ai qu'un conseil à vous donner : la prochaine fois que vous déverserez votre fiel aux effluves de papier jauni et de France rance et bien pensante, arrangez-vous pour viser mieux. Mon français semble meilleur que le votre, et pour ma part, je ne donne ni leçons de morale, ni cours de langue, aux inconnus. Je me méfie bien trop du "syndrome de l'arroseur arrosé".

À bon entendeur...



Rémi Guilbert