De :

CFTC Axa Assistance 
22, rue du Gouverneur Général Éboué
92130 Issy-les-Moulineaux

 

 

   Au :  FIGARO – Rubrique "Débat et Opinion

               M. Baudoin Bollaert
                                                

 

 

Paris, le 30/07/04

 

 

Objet : francophonie, notre réaction de syndicalistes polyglottes

 

 

 

Monsieur,

 

 

 

La francophonie fait l’objet d’un dossier dans le Figaro de ce jour (p.8). Nous saluons cet avènement et louons le Congrès de la Fédération Internationale des professeurs de français, qui vient de se tenir à Atlanta. Ce combat des militants enseignants est un relais indispensable à la préservation de l’espace francophone.

Il rejoint notre action syndicale en faveur de l’emploi du français au travail, citée dans le Figaro du 19 Juin 2004 (p. 34) : « Maurice Druon félicite la CFTC ».

Il n’est pas surprenant de voir que les fervents défenseurs de la langue française soient des enseignants dont la langue maternelle n’est pas le français.

L’idée même de « francophonie » n’est pas française, elle est née au Sénégal en 1976. Son fondateur, Léopold Sedar Senghor, voulait rassembler les pays qui avaient le français en partage .

Valéry Giscard d’Estaing ne voudra pas y donner suite. Il faudra attendre 1986 pour qu’elle prenne corps à Versailles.

Il est surprenant que la notion de disparition de l’emploi du français en France redevienne si brutalement d’actualité.

Rappelons que depuis 1992, année du Traité de Maastricht, l’article 2 de la Constitution dispose que le français est la langue de la République.

La même année il est question dans votre quotidien de l’avènement du Traité de Maastricht, en tant qu’atteinte à la Francophonie.

Aujourd’hui votre dossier parle du français en tant que langue étrangère en danger. 

Nous syndicalistes polyglottes, nous parlons du français menacé sur son propre territoire, en France, dans le monde du travail, l’entreprise, qu’elle soit privée ou nationale.

Mais menacé par qui ? Par ceux qui ne le défendent pas. Ceux qui ne le défendent pas contribuent à sa propre destruction.

Cette passivité les rend complices de la destruction du support d’une pensée et d’une civilisation.

Nous ne pouvons que réagir à l’affirmation du chef de projet à l’agence universitaire de la Francophonie dans l’article de ce jour (p.8) , nous le citons :

 « les régions où le français est la langue maternelle ne connaissent évidemment pas de difficultés particulières ». C’est tout sauf « évident » : les critères qui autrefois garantissaient la pratique de la langue ne sont plus la notion de langue maternelle, ni le territoire national.

En France dans le monde du travail nous constatons l’érosion continue de l’emploi du français, l’émergence de la fracture linguistique, la préférence donnée - à compétence égale - à celui dont la langue maternelle est l’anglais.

Aujourd’hui nous luttons en entreprise contre l’incapacité de nommer dans notre propre langue et contre la volonté consciente chez certains de ne pas utiliser le terme français.

Considérons le terme « Manager » : il vient du provençal « manade », le « manadier », le « manège ».

C’est le traité d’équitation de Lord Cavendish qui l’introduit dans la langue anglaise. Manager = Horsemanship.

Il sera repris dans la culture de l’entreprise américaine, mais associé à la conquête de l’Ouest : arriver le premier pour avoir les meilleures terres.

 Pour être et rester premier il faut savoir mener les chevaux.

Ce mot revient en France sous une forme anglicisée après la première Guerre mondiale ; puis dans les années Schreiber, il est transposé au monde de l’entreprise, de la concurrence :

 pour conquérir et être premier sur le marché, il faut savoir mener son personnel comme un écuyer doit rester maître de son cheval.

Le terme « Coach » fait maintenant son apparition. Ce dernier vient du français, « cocher ».

Ces exemples démontrent bien que la Langue, quelle qu’elle soit, véhicule un modèle économique et culturel. Accepter un terme sans savoir ce qu’il signifie, c’est consentir à ses implications.

Dans le même esprit, accuser l’emploi d’une langue comme cause de la disparition d’une autre est tout sauf un combat en faveur de la survie - en l’occurrence ici - du français.

La construction européenne ne tient pas compte de la diversité linguistique. Les Nations ne sont plus les garants de leur langue.

Nous sommes confrontés à une mutation. Nous devons trouver un autre espace.

 Il nous semble que c’est la francophonie qui est la réponse à cette mutation. Indissociable du respect de la diversité linguistique, elle n’entre pas en opposition avec les autres langues.

 Elle implique un autre modèle de développement économique et social, celui du respect des personnes, des peuples, de l’environnement et de la finalité du travail.

 

 

 

Jean-Loup Cuisiniez, Délégué Syndical (français, anglais, allemand, espagnol, portugais,  notions de russe et de japonais) 

Mathilde Fischer, Déléguée du Personnel (français, allemand, anglais, grec moderne)

 CFTC Axa Assistance

Lauréats du Prix québécois Lyse Daniels 2004