Monsieur le
Directeur,
J'ai
bien reçu votre lettre du 15 octobre faisant réponse à la mienne du 26
juillet et je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu
m'apporter.
Toutefois,
je demeure assez dubitatif quant à l'argument que vous avancez, à savoir
que vous avez employé des anglicismes exprès pour mieux dénoncer la prédominance
du monde des affaires sur la Culture. Nous à l'A.FR.AV,
qui avons lu en long et en large votre publicité sur le Festival des
Inattendus, n'avons nullement ressenti un quelque effet que ce soit. Notre
impression a été au contraire, que, loin de dénoncer le “tout économique”
en employant des mots anglais, vous faisiez plutôt la promotion de cette
langue. Et permettez que je vous dise que jouer avec l'anglais en ces temps
de forte anglicisation, c'est comme jouer avec le feu : il vaut mieux l’éviter,
cela n'est guère prudent, cela n'est guère responsable.
De
plus, pour quelle raison la langue des Anglo-Américains serait-elle la
seule et unique langue des affaires ? Le français notre langue, votre
langue, est aussi une langue des affaires, et, quoi qu'il en soit, il n'est
pas du rôle d'un Français d'affirmer, même si cela était vrai, que
l'anglo-américain est la langue des affaires. Le rôle et le devoir d'un
Français est de travailler, toujours et partout, pour faire en sorte que la
langue française ne soit exclue d'aucun secteur de la vie. Bien évidemment,
eu égard à ce principe élémentaire, je ne vois pas pourquoi notre langue
serait évincée du monde des affaires, et, s'il est de l'intérêt des
Anglo-Américains que seul l'anglais règne en maître absolu sur le monde,
il n'est pas du nôtre d'appuyer ce diktat. Votre allusion à l'anglais est
donc assassine.
Plus
loin dans votre lettre vous m'apportez un éclaircissement sur l'origine du
nom du château de Malbrouck en me disant que ce nom vient de l'anglais
Marlborough qui était un duc anglais du XVIIIe siècle et que par conséquent
l'expression anglaise “Malbrouck Business Center” n'était qu'un simple
retour des choses. Soit, mais au petit jeu du juste retour des choses, je ne
suis pas si sûr que les Francophones y perdent. Demandez donc, sur ce même
principe, à nos amis anglais qu'ils refrancisent le Canada, à nos amis États-Uniens
qu'ils refrancisent la Louisiane, la vallée du Mississipi et la région des
Grands Lacs, à nos amis Australiens qu'ils laissent en paix les
Francophones du Vanuatu, etc.
Enfin,
je constate que le mot anglo-américain “e-mail” figure dans votre
lettre, alors que le mot officiel, que tout Français respectueux de sa
langue devrait employer est “courriel”. Est-ce que vous allez me dire, là
encore, que votre emploi de “e-mail” est un fait exprès pour dénoncer
la prédominance de l'anglais dans notre vocabulaire ?
En
souhaitant que vous comprendrez, avant qu'il ne soit trop tard, que la méthode
consistant à parler anglais pour dénoncer la colonisation de l'anglais,
est nulle, je vous prie, Monsieur le Directeur, d'accepter mes salutations
les meilleures, et en français.
Jean-Pierre
Colinaro
Pour
l'A.FR.AV.
Suite
à la lettre que nous avons