Dufferin et sa femme ont repassé la mer.

L'ennui de les avoir perdus n'est pas amer.

Ils ont des successeurs illustres,

Issus d'un marquisat et d'une royauté.

Moi je suis de parents pauvres et presque rustres

Qui m'ont dit de prétendre à la principauté

Des bons principes ; et que c'est rendre service

De résister aux grands qui font mal. C'est pourquoi

Je haïs en politique autant qu'ailleurs le vice,

Quand même c'est le vice-roi.

L'homme injuste est en paix dans sa maison d'argile.

Mais elle tombera,car sa base est fragile.

 

Le travail d'un solide et courageux esprit

Doit valoir les combats d'un Guillaume d'Orange.

Notre peuple est bon, c'est malaisé qu'on le range.

Voyez ce que je fais en n'étant qu'un proscrit.

On peut gagner beaucoup par un seul bon écrit.

Les Ontariens ont pour eux les grosses bourses

Mais moi j'ai dans l'esprit mes plans et mes ressources.

Messieurs, vous nous paierez l'affaire de Guibord,

Et vos jugements creux à propos des écoles

Du Nouveau-Brunswick. Plus vous nous avez fait tort,

Moins nous vous serons bénévoles.

Si vos décisions sont celles du plus fort,

Elles n'en sont pas moins tyranniques et folles.

Sachez que Washington est plus proche de nous

Que Londres. Vos voisins sont plus nobles que vous.

Si Dieu nous a jadis séparés de la France

Malgré les beaux élans de notre affection,

Souvenez-vous un peu qu'aussi bien sa Puissance

Peut briser d'un clin d'œil le sceptre d'Albion.

 

 

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Prenez garde. Je puis sans gêne vous le dire.

Pour ma part, je vous veille. Et je suis décidé

Depuis longtemps. Tout votre Empire

Craque ; il a trop joué ses vilains coups de dés.

Les enfants dispersés de la Nouvelle-France

Ont, sous le joug anglais, trop connu la souffrance

Pour ne pas en vouloir au peuple décrépit

Qui les a gouvernés avec tant de dépit.

Les nombreux rejetons de l'Irlande indomptable

Ne sont pas, sans dessein, dans les États-Unis.

Le jour qu'ils se mettront sous un chef acceptable

Et qu'ils voudront marcher dans des chemins bénis,

Les Canadiens français et les Métis sincères

Marcheront avec eux comme avec de bons frères :

Et sans aucun embarras

Ils leur ouvriront les bras.

Et nous verrons si la matière

Et le commerce anglais ont d'aussi forts enjeux

Que la justice et la lumière

Dont le propre est de rendre heureux.

Un peuple a beau porter une puissante armure,

S'il fait une injustice il n'est pas bien gardé.

Aussitôt que d'un mal la conséquence est mûre

Elle éclate, et malheur quand elle a retardé.

Si vous ne voulez pas que notre fière race

Se détache sitôt de vous,

Traitez-la comme il faut, puisqu'elle est à sa place.

Ne vous en montrez pas intensément jaloux.

 

 

 

Louis « David » Riel.

(Daté à Saint-Joseph, Dakota, août 1879.)