Faut-il rendre l'apprentissage de l'anglais obligatoire dès le CE2A?

 

Le rapport Thélot, constatant la dégradation du niveau des jeunes Français, proposait d'apprendre à tous les élèves un « anglais de communication internationale ». La proposition, soutenue par le Premier ministre, heurte les défenseurs de la francophonie, les syndicats et même les anglicistes.

Rendre l'anglais obligatoire à l'école, au même titre que le français ou les mathématiques,  Jean-Pierre Raffarin y est favorable. Le Premier ministre l'a clairement dit : c'est l'une des propositions de la commission du débat national sur l'avenir de l'école présidée par Claude Thélot (Le Monde du 14 octobre) qu'il compte reprendre. Celle-ci considère que tous les Français devraient maîtriser, au terme de leur scolarité, ce qu'elle appelle « l'anglais de communication internationale ».

Dès lors, elle propose qu'il leur soit enseigné dès le CE2, l'élève pouvant ensuite choisir sa seconde langue vivante en 5e. À écouter Matignon, donc, cette réforme a de fortes chances de figurer dans la prochaine loi d'orientation sur l'école, annoncée pour la fin de l'année. Et les arguments ne manquent pas. Non seulement, aujourd'hui, 97 % des élèves ont appris volontairement l'anglais pendant leur scolarité. Mais en plus, ils l'apprennent mal : leur niveau est médiocre et ne cesse de se dégrader.

Dans les faits, l'affaire est loin d'être conclue. Les déclarations de Jacques Chirac à Hanoï, le 7 octobre, auraient pu inciter M. Raffarin à plus de prudence : « Rien ne serait pire pour l'humanité que de progresser vers une situation où l'on ne parlerait qu'une seule langue », a déclaré le chef de l'État, qui a toujours défendu « la diversité culturelle et la richesse des langues ». « Il n'est pas exclu que cette question soit un point d'arbitrage. Il faut entendre les points de vue », commente-t-on à l'Élysée. Car une telle mesure rencontrerait de fortes résistances aussi bien du côté de la francophonie la plus traditionnelle, qui a des relais importants au sein du Parlement - notamment chez les souverainistes, mais pas seulement - que d'une partie du monde enseignant.

« C'est une faute stratégique. L'anglais est aujourd'hui la langue la plus parlée, mais ça ne va pas durer. Le poids de l'espagnol va encore monter aux États-Unis. Celui du chinois et du japonais aussi », estime Jacques Myard, député UMP des Yvelines. Qui ajoute : « S'il faut rendre une langue obligatoire, que ce soit l'arabe. En 1914, les officiers français apprenaient l'allemand, ils avaient raison ».

Moins provocateur, Bruno Bourg-Broc, député UMP de la Marne et président délégué de la section française de l'Assemblée parlementaire de la francophonie (APF), qui rassemble 60 sénateurs et 90 députés, n'en est pas moins opposé à la proposition Thélot : « Le gouvernement ne peut pas parler de diversité culturelle et imposer l'anglais à l'école. Quand Claude Thélot affirme que ne pas être capable de parler anglais est un handicap majeur dans le cadre de la construction européenne, il commet un véritable contresens ».

La position est en tout cas difficile à défendre à la veille du conseil des ministres franco-allemand qui doit se tenir à Berlin, le 26 octobre. François Fillon, également favorable à la proposition Thélot, y présentera un plan pluriannuel pour la remontée de l'apprentissage de l'allemand en France. Aujourd'hui, seuls 7,9 % des collégiens choisissent l'allemand en première langue, et 13,5 % en seconde langue, à partir de la 4e. Et même si le Land de Bavière a fait de l'anglais une matière obligatoire, le premier partenaire commercial de la France aura du mal à voir une cohérence entre le plan du ministre de l'éducation et son souhait de voir tous les petits Français apprendre l'anglais.

Les régions frontalières avec l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne ne devraient pas non plus apprécier. Aujourd'hui, tous cycles confondus, 43,8 % des élèves alsaciens apprennent l'allemand, et 50,2 % l'anglais. « Et que vont devenir les langues régionales, comme le corse ou le breton ? », s'interroge Jacques Legendre, sénateur UMP du Nord. Auteur d'un rapport en 2003 sur « L'enseignement des langues étrangères », ce proche du chef de l'État, dont il était un collaborateur à la Mairie de Paris, estime qu'« il est légitime d'inclure une langue étrangère dans le socle commun de compétences. Mais pas l'anglais. Idéalement, il faudrait d'ailleurs mieux commencer par apprendre une autre langue, car toute une série de facteurs poussent de toute façon à l'apprentissage de l'anglais ». Claude Hagège, professeur au Collège de France aurait ainsi souhaité une loi pour interdire l'apprentissage de l'anglais en primaire.

 

« OBJET NON IDENTIFIÉ »

Les syndicats d'enseignants se soucient également de la diversification des langues. Le SNES, majoritaire dans le second degré, est, pour cela, fermement opposé à la proposition. Le Snuipp, majoritaire dans le premier degré, est plus ouvert : « L'anglais obligatoire, ça s'impose. Mais doit-il l'être dès le primaire ? En première langue vivante ? »

Dans l'entourage de François Fillon, on anticipe les crispations : « Les exclus vont râler. Des professeurs de français qui trouvent qu'il n'y a pas assez d'heures pour leur matière, des professeurs d'allemand qui ont de moins en moins d'élèves... » Sans parler des anglicistes « qui ne veulent pas d'un anglais d'aéroport », y poursuit-on.

À l'inspection générale des langues vivantes, effectivement, on s'offusque de l'opposition implicite que fait Claude Thélot entre « l'anglais de communication internationale » et l'anglais littéraire ou culturel. « Il y a une déterritorialisation de l'anglais que l'école ne peut plus ignorer. Mais l'anglais de communication internationale de M. Thélot est un objet non identifié. S'agit-il de l'anglais parlé par un Slovène à un Espagnol ? C'est absurde. On a tout ce qu'il faut dans les programmes actuels pour répondre à la demande de l'anglais », s'insurge un inspecteur général, qui ne veut pas admettre que l'enseignement d'anglais, tel qu'il est délivré aujourd'hui, n'est pas efficace.

« En choisissant le terme d'« anglais de communication internationale », nous avons voulu rompre avec ce qui existe et qui ne marche pas », explique un membre de la commission, qui parle notamment de l'échec de l'apprentissage des langues vivantes au primaire. « Concrètement, l'anglais de communication internationale n'est pas défini, c'est un anglais flottant », poursuit-il. Un anglais à inventer.

 

 

Virginie Malingre

 

Source : Le Monde, édition du 22 octobre 2004