Le Portugal face à un projet de réforme de sa langue

 

Alors que le Brésil prend de plus en plus d'importance sur la scène internationale et que le Portugal, son ancien colonisateur, enregistre un relatif déclin, un projet d'uniformisation de la langue portugaise préconise un changement dans l'orthographe de centaines de mots qui devraient prendre la graphie brésilienne.

Le gouvernement portugais approuve cette réforme, sur laquelle le Parlement doit se prononcer le 15 mai. Mais certains se sentent humiliés. Il est vrai que pour une ancienne grande puissance dont la langue est parlée par 230 millions de personnes dans le monde, le coup est rude.

"On ne doit pas s'effacer derrière le Brésil", proteste Vasco Graca Moura, un poète estimé dans le pays, à la tête de la résistance au changement.

Les partisans de la réforme soulignent ses avantages, parmi lesquels la simplification des recherches sur Internet en portugais et un jargon juridique uniformisé pour les contrats internationaux.

Les autorités portugaises y voient un argument supplémentaire en faveur de leur vieille ambition de faire adopter le portugais comme langue officielle aux Nations unies, qui en comptent actuellement six (anglais, espagnol, français, chinois, arabe, russe).

Le gouvernement portugais a demandé au Parlement de ratifier un accord avec les sept autres pays ayant le portugais comme langue officielle : le Brésil, l'Angola, le Mozambique, le Cap Vert, la Guinée-Bissau, le Timor oriental et Sao Tomé-et-Principe.

Les changements rendraient l'orthographe plus proche de la façon dont les mots sont prononcés en supprimant les consonnes silencieuses, comme le font les Brésiliens. Ainsi "optimo" (génial) deviendrait "otimo" et "accao" (action) deviendrait "acao".

L'alphabet comporterait 26 lettres grâce à l'ajout du k, du w et du y, pour accueillir des mots comme "kilometro" et "kwanza", la monnaie angolaise.

Seuls 2 000 des quelque 110 000 mots que comprend le vocabulaire portugais sont concernés et les modifications doivent être adoptées par les sept pays. Mais les trois-quarts des changements devront être faits par le Portugal.

Au Brésil, pays indépendant du Portugal depuis 1822, certains se réjouissent de la fierté blessée de la mère patrie.

"C'est normal qu'il y ait de la résistance", observe Ottaviano de Fiore, conseiller au Musée de la langue portugaise à Sao Paulo. "Nous étions une colonie et tout d'un coup nous devenons des colonisateurs..."

En fait, la réalité parle d'elle-même: le Brésil a 190 millions d'habitants qui parlent portugais et une économie assez puissante pour que l'Union européenne lui propose une alliance politique et économique, ce qui lui conférerait le même statut que la Chine, l'Inde et la Russie.

Le Portugal est quant à lui l'un des pays les moins influents des 27 membres de l'Union européenne. Sa population n'est que de 10,6 millions d'habitants et il ne représente qu'1% du PIB de l'UE.

Le pays est de surcroît imprégné de culture brésilienne. Les Portugais ont adopté les restaurants brésiliens et la fameuse "caipirinha", cocktail à base de sucre de canne.

Sur Internet, les blogueurs s'emportent sur ce phénomène que les Portugais appellent "brasileirizacao" ou "brésilification". Pour l'un d'entre eux, il s'agit d'une "décision dictatoriale". Un autre estime au contraire qu'en faisant preuve d'autant de réticence au changement, "nous en serions encore au latin!"

"Nous devons nous débarrasser de l'idée que nous possédons la langue", rectifie l'unique prix Nobel de littérature portugais, José Saragamo. "La langue appartient à ceux qui la parlent, pour le meilleur et pour le pire ".

AP

 

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