Ryanair
à la Région : "Ecrivez en anglais"
Monsieur le ministre,
veuillez vous exprimer anglais. C’est, en substance, la réponse qu’a
donnée Ryanair au ministre wallon des
Transports, André Antoine (CdH).
Celui-ci s’était fendu d’une lettre de 18 pages, indiquant à la
compagnie à bas tarifs irlandaise pourquoi elle devait rembourser à la
Région la rondelette somme de 4 millions d’euros. Par retour de
courrier et en quelques mots, Ryanair a demandé à la Région une
traduction officielle de la lettre en anglais,
« pour éviter tout
malentendu ou ambiguïté ». Le ministre Antoine se voit ainsi traité comme un passager
introduisant une réclamation. La compagnie s’est, en effet, fait une
spécialité de n’accepter
que les réclamations dans la langue de Shakespeare. Sur le fond, il
semble que les dirigeants irlandais tentent, par tous les moyens, de
retarder la date du paiement.
Il est vrai que la lettre du ministre a de quoi inquiéter. Elle
réclame non seulement 4 millions d’euros à Ryanair, mais demande
aussi à la compagnie des précisions complémentaires quant à certains subsides qui lui ont été octroyés par la Région et l’aéroport.
Sur base des réponses que fournira Ryanair (on ignore dans quelle
langue...), la facture de la compagnie irlandaise pourrait s’alourdir
et dépasser les 4 millions d’euros.
Mais pourquoi diable appartient-il à la Région de demander des
remboursements et précisions à Ryanair ? Parce que la Commission
européenne, qui a déclaré certaines aides illégales en février
dernier, a décidé de ne pas en évaluer elle-même le montant et de
laisser ce soin à la Région. En d’autres termes, elle a ordonné
à la Région d’appliquer elle-même la décision d’interdiction
et de remboursement des aides.
C’est pour cela qu’André Antoine a envoyé ce courrier en Irlande. La Région doit donc jouer le rôle ingrat du gendarme.
Que se passera-t-il quand la Région aura fait traduire la lettre ? La
compagnie ne sera pas tenue de délier immédiatement les cordons de
la bourse. Elle pourra contester les montants et, le cas échéant,
entamer une négociation avec l’aéroport pour les revoir à la
baisse.
Après cette négociation, viendra le moment du paiement. Le patron de Ryanair a déjà
annoncé la
couleur, indiquant qu’il ne payerait rien.
Si Ryanair persiste dans cet entêtement, il appartiendra à la Région d’assigner la compagnie
devant un tribunal, probablement
irlandais, pour obtenir le paiement. Sinon ? La Commission attaquera
la Belgique et pourra la condamner pour violation des règles
européennes. Nul doute que le gouvernement wallon, et le ministre
Antoine en particulier, ne voudront pas en arriver à cette extrémité, déshonorante pour un
État membre..
Bernard
Demonty
Source :
Le Soir, journal du 15 septembre 2004
(Suite
de l'affaire)
Michael O’Leary dispose enfin d’une copie, en anglais cette fois, de la lettre que lui a envoyée André Antoine, lui
réclamant 3,9 millions €. C’est que le patron de Ryanair refusait
de répondre à la première missive du ministre wallon rédigée dans
la langue de Voltaire. Le cabinet Antoine s’est donc plié à la
traduction.., bien que le document en français reste “ le texte
officiel, comme le permet la Commission européenne.
Dans la rhétorique, le
niveau ne dépasse guère celui d’une cour de récréation. Du célèbre “
Va te faire f ...", d’O’Leary au “ Je n’accepterai pas qu’on
vienne insulter les Wallons ”, d’André Antoine, en passant donc
aujourd’hui par les aventures d’une lettre, on n’est bien loin du
fond du dossier. Mais remettons, svp, les choses à leur place. Ce “ fuck
off ” n’aura été qu’une réponse d’un patron, tendance mégalo,
à un journaliste et non une réponse officielle à un ministre. Pas de
quoi déjà en faire une névrose.
L'essentiel est ailleurs. D’une part, dans les risques que
courent les... Wallons, en terme d’emploi et d’offre de voyage à
(très) bas prix, et, d’autre
part, dans les risques que court la Région de se faire taper sur les
doigts par l’Union européenne si elle n’attaque pas Ryanair, en cas
de refus de paiement, devant la justice irlandaise.
Heureusement, les apparences sont trompeuses. Dans les faits, toutes les parties
ont jusqu’ici adopté les attitudes qui laissent toujours envisager
une collaboration tripartite à long terme. Entre Ryanair et l’aéroport
BSCA, l’entente est toujours au beau fixe*. André Antoine a déjà assuré
BSCA qu’à l’avenir, il n’interviendra pas pour négocier des
accords commerciaux. Et puis surtout, si elle doit aller devant un
tribunal de Dublin pour récupérer ses aides, la Région aura rempli le
travail** confié par la commission européenne. Elle prendra note du verdict,
mais O’Leary, quel que soit ce verdict, restera le bienvenu dans nos
contrées.
*
Note de l'A.FR.AV, "job" dans le texte original
**
Note de l'A.FR.AV, " au top" dans le texte original
Sébastien
Ponciau
Source
: La Meuse, journal du 16 septembre 2004