Le nationalisme flamand, faux problème ?

Non, M. Di Rupo.

 

Paul-Henry Gendebien

Président du Rassemblement Wallonie-France

 

Ceux qui sont inquiets aujourd’hui ont toutes les raisons de l’être. Un typhon venu du pays flamand menace la survie du gouvernement Verhofstadt Il. Il est né du conflit de moins en moins contrôlable entre deux logiques contradictoires, entre d’une part une légitimité nationale flamande en pleine ascension, portée par un Parlement régional dominé par les forces séparatistes majoritaires, et d’autre part une légitimité pseudo-nationale belge en déliquescence soutenue par des partis francophones dépourvus de stratégie et minoritaires.
La Flandre s’est donné des objectifs et pratique la guerre de mouvement. La Wallonie et Bruxelles s’abritent derrière une ligne Maginot en carton-pâte. Elles n’ont pas de projet hormis celui de la perpétuation défensive et obsessionnelle du statu quo dans un État belge où leur poids économique, culturel et politique est de plus en plus léger.
La classe politique francophone a peur. Rentière de l’État belge, elle redoute le naufrage d’un régime qui la nourrit encore. Elle ne veut pas passer pour complice de la disparition d’un État. Par-dessus tout, elle craint la déception sinon la révolte d’un électorat fidèle qu’elle a flatté et trompé depuis une décennie en le berçant de douces illusions néo-belgicistes et monarchistes. En se refusant à faire connaître à notre peuple la vraie ambition du mouvement flamand (transformer la nation en État et conquérir Bruxelles), nos partis officiels ont pris un double risque : soit s’engluer dans un mensonge d’État sans issue, soit se contraindre un jour à se rendre publique la grande et douloureuse vérité, celle de l’échec historique du fédéralisme belge. Ce dilemme dramatique explique le malaise poignant qui semble paralyser les dirigeants francophones.
Mais aujourd’hui, et il en va de leur crédibilité, ils ne peuvent plus rester suspendus à ce scénario improbable d’une prétendue pacification institutionnelle et d’une « re-Belgique» (!) que Louis Michel vantait il n’y a guère, contre toute évidence. Il y a longtemps que cette posture ne tient plus la route. Le volcan de la sécession flamande ne s’est jamais éteint. Il est désormais en phase d’éruption active et vigoureuse. Et ce n’est pas l’indigna­tion moralisatrice des derniers ayatollahs de l’intégrisme belgicain, tel M. le sénateur Delpérée, qui l’éteindra. Pas plus que les velléités de M. Di Rupo d’inventer une nation francophone belge qui n’existe pas, car ce discours-là ressemble par trop au classique «retenez-moi ou je commets un malheur... »

 

Rentière de l’État beige, la classe politique francophone redoute le naufrage d’un régime qui la nourrit encore

Je n’ose pas imaginer que M. Di Rupo essayerait par là de mettre en boîte l’opinion wallonne et bruxelloise à laquelle il pourrait dire dans quelque mois       «Nous avons dû céder parce qu’il y avait grand péril en la demeure belge.»   D’ailleurs, il s’est déjà ressaisi : « ... Je n’ai jamais parlé de nation», ose-t-il déclarer sans rougir dans ce journal, le 13 septembre. Ce qui est vraiment inquiétant, c’est la déclaration en forme d’antique refrain «Basta le communautaire! Occupons-nous des vrais problèmes !» Ma parole ! Trente ans après, c’est le retour de Paul Vanden Boeynants, c’est un clonage d’Edmond Leburton ! À qui donc, et pourquoi, le président du PS veut-il faire plaisir en tenant ce langage désuet en vertu duquel les faux problèmes «linguistiques» auraient été créés de toutes pièces par un quarteron d’excités... Certes M. Di Rupo, député du Borinage, n’aurait pas tort si par vrai problème, il entendait que la Wallonie est une des lanternes rouges de l’Europe et qu’elle compte autant de chômeurs qu’en Pologne (19 %) et davantage qu’en Slovaquie (16 %).
Le temps n’est plus au trompe-l’oeil. L’opinion wallonne et bruxelloise, lentement,  mais sûrement, commence à reprendre conscience et à s’éveiller. Elle est de moins en moins, disposée à digérer de nouvelles capitulations. Les partis francophones ont le devoir de dire enfin la vérité les concessions n’arrêteront pas le processus de séparation. En 1938, Churchill ne disait-il pas que les reculades face à un adversaire déterminé reviennent à nourrir le crocodile avec l’espoir d’être mangé le dernier... Proclamer «Basta le communautaire», c’est vraiment la fausse bonne réponse. Car enfin, ne voit-on pas que c’est justement au nom des «vrais problèmes économiques, sociaux et fiscaux» que la Flandre exige de nouvelles avancées institutionnelles ? Et que c’est au nom de la cohérence gestionnaire qu’elle veut ou prétend vouloir davantage de cohérence institutionnelle ? Quarante années d’expériences devraient avoir été suffisantes pour instruire tout un chacun les francophones n’ont ni la volonté ni la force de s’opposer au nationalisme flamand. Vouloir rester Belges tout seuls, c’est comme vouloir congeler le cours d’un fleuve puissant alors que la grande débâcle printanière a déjà commencé.
Mesdames et Messieurs les responsables de nos partis officiels, soyez les acteurs de notre Histoire et non ses objets passifs et résignés. Cessez d’être les spectateurs désolés mais impuissants de la fin d’une Belgique que nous aurions pu aimer,  mais dont il faut bien reconnaître qu’elle a déjà un pied dans la tombe. Ayez l’extrême courage de la lucidité. Plutôt que de vous faire jeter à la porte ou d’être contraints de faire vos valises dans la précipitation, choisissez dès aujourd’hui la dignité. Préparez un autre avenir pour la jeunesse de Wallonie et de Bruxelles. Édifiez dès à présent le socle politique et technique de la seule négociation encore possible avec la Flandre, celle qui nous conduira à signer très sereinement un ultime acte notarié, celui de la succession d’État.

 

L’opinion wallonne et bruxelloise est de moins en moins disposée à digérer de nouvelles capitulations


 Étudiez les procédures et les modalités d’un arrangement avec la France. Faites savoir qu’il faudra fixer par voie démocratique (référendums dans les communes contestées) les frontières qui délimiteront à l’avenir les territoires respectifs des deux États héritiers de l’ancienne Belgique, à savoir la Flandre et la France. Indiquez aussi à l’Europe que la volonté des Wallons et des Bruxellois est de collaborer, demain, en bons voisins, avec la Républi­que flamande, et d’accueillir encore mieux les institutions européennes.
Ainsi et à ces conditions, vous ne serez pas les jouets des événements, vous aurez donné une solution pacifique et raisonnable à la crise belge, et surtout vous aurez réussi à vous tenir debout.

 

 

Paul Henry Gendebien

 

Source : Le Soir, journal du mercredi 15 septembre 2004