La langue, l'État et la loi

Ainsi, l'Académie française vient-elle d'entrer à son tour dans la bataille de la révision constitutionnelle, en demandant le retrait de l'amendement sur les langues régionales que l'Assemblée nationale a introduit dans notre Charte fondamentale. Le sentiment d'accablement suscité par cet amendement, commenté dans Le Figaro Magazine du 14 juin, est assez grand pour qu'on y revienne. Et l'intervention de l'Académie dans le débat politique est assez rare pour qu'on lui prête attention.

Car enfin, à moins que notre pays veuille ressembler à la Belgique ou à l'Espagne, l'affaire ne souffre aucune discussion. Il est indiscutable que, comme l'écrit l'Académie, « depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France ». En une phrase, l'essentiel est dit. Car s'il est vrai que l'État a donné son unité à la nation, la langue s'est imposée à l'État, plus que l'État à la langue. C'était l'esprit de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui se bornait à fixer la langue des actes officiels. La République a prolongé cette politique au moyen de l'école publique.

Loin de pâtir de cette œuvre d'éducation, menée par des instituteurs laïques, les langues régionales y ont puisé un second souffle. Elle n'ont jamais autant inspiré la littérature et l'université que dans les premières décennies de la IIIe République. Aujourd'hui encore, en Bretagne, les écoles Diwan, de statut privé, prospèrent avec le soutien public. Que ces langues fassent partie du patrimoine de la nation, comme le formule l'amendement parlementaire, c'est l'évidence. Mais elles n'ont pas fait la France, et si elles tendent à décliner, c'est moins par la volonté de l'État que sous le choc de la modernité. Les inscrire dans la Constitution, de surcroît dans son premier article, celui-là même qui proclame la République « indivisible, laïque, démocratique et sociale », serait aussi absurde que de faire couler un paquebot pour renflouer ses canots. Cela reviendrait au surplus, de la part de l'État, à reprendre à son compte un procès injuste et faux.

Ce serait faire droit à des revendications extrémistes, qui éprouvent une fois de plus l'efficacité des procès de mémoire et du chantage à la repentance, en invoquant contre la République le mythe d'un « génocide culturel » que son histoire dément. Le plus grave est que le processus en cours s'inscrit dans un mouvement de ressac de l'universalisme devant une poussée de replis identitaires, qui, sous le masque de la « diversité culturelle », touche l'ensemble de l'Europe.

La Charte européenne des langues régionales et minoritaires oblige à reconnaître un « droit imprescriptible » de pratiquer « une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique ». Le danger de ce texte réside dans les deux derniers mots, qui étendent l'exercice de ce droit à l'administration et à la justice. Le 7 mai 1999, le gouvernement Jospin l'a signé. Il ne reste plus qu'à le ratifier.

 

ALAIN-GÉRARD SLAMA

 

 

 

Source : Lefigaro.fr, le 27 juin 2008

http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2008/06/21/01006-20080621ARTFIG00485-la-langue-l-etat-et-la-loi.php

 

 

 

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