Les sénateurs viennent de repousser l'amendement voté le
22 mai à la quasi-unanimité à l'Assemblée nationale qui
inscrit dans l'article Ier de la Constitution la protection
des langues régionales au titre de patrimoine national. Ce
rejet suscite l'ire des partisans de cet amendement, qui
dénoncent le « jacobinisme » de la Haute Assemblée et son
mépris pour la « diversité culturelle » de notre pays.
Quels sont les véritables enjeux de cet amendement ?
S'agit-il, comme on veut nous le faire croire, de défendre
un patrimoine culturel menacé ? Certainement pas.
Dans la filiation d'un arrêté vichyste du 12 décembre 1941,
qui autorisait l'enseignement facultatif des « parlers
locaux » dans les écoles primaires, puis de la loi Deixonne
du 11 janvier 1951, de la circulaire Savary du 21 juin 1982
et de la loi du 10 juillet 1989, mise en œuvre par Lionel
Jospin, une circulaire du ministre de l'Éducation nationale,
François Bayrou, en date du 7 avril 1995, inscrit la
généralisation de la découverte de la langue et de la
culture régionale au programme d'enseignement de chaque
classe.
Depuis cette directive, l'occitan-langue d'oc, le breton, le
basque, le créole, le catalan, le corse, le gallo, les
langues régionales d'Alsace, les langues régionales des pays
mosellans, les langues mélanésiennes (drehu, nengone, païci,
aïje) et le tahitien bénéficient, dans la zone où ces
langues sont ou ont été en usage, de la possibilité d'être
enseignées à l'école, au collège et au lycée, dans le cadre
des enseignements facultatifs ou obligatoires.
Au cours de l'année scolaire 2001-2002, 252 858 élèves, tous
niveaux confondus, ont suivi un enseignement de ce type. Ils
étaient 404 351 en 2007-2008, soit une hausse de 60 %.
Ainsi, non seulement ces langues ne paraissent pas menacées,
mais encore, contrairement à ce qu'on veut faire croire, la
République a mis en place un dispositif d'enseignement leur
donnant une vigueur nouvelle.
S'il faut s'inquiéter pour l'avenir des langues en péril,
constitutives de notre patrimoine national, c'est bien
l'enseignement du grec ancien et du latin qui devrait
retenir l'attention des députés et des pouvoirs publics !
seulement 35 464 élèves (moins de 2 %) apprennent le grec et
83 530 le latin, et ces chiffres ne cessent, d'une année sur
l'autre, de baisser. Qui pourrait, cependant, contester que
ces deux langues et ces deux cultures constituent des socles
historiques et patrimoniaux de notre identité nationale ?
L'autre langue, aujourd'hui menacée, c'est le français. Pas
seulement dans le monde du fait de la prépondérance de
l'anglo-américain. Mais en France même, où l'analphabétisme
et l'illettrisme gagnent chaque jour du terrain. Comment
lutter contre ces fléaux, facteur essentiel d'exclusion
sociale, sans rendre au français une part prépondérante dans
l'enseignement primaire et secondaire. Les réformes engagées
par le ministre de l'Éducation nationale, Xavier Darcos,
vont dans ce sens. Mais il faut aller plus vite et plus
loin : en 1976, un élève qui sortait du collège avait
bénéficié, depuis sa rentrée au cours préparatoire, de
2 800 heures d'enseignement du français. En 2004, avec
seulement 2 000 heures, il entrait au lycée avec la
formation d'un élève de cinquième. Si la disparition des
langues régionales n'est pas à l'ordre du jour, et personne
ne le souhaite, pourquoi certains tiennent-ils tant à les
inscrire dans l'article Ier de la Constitution ?
En réalité, derrière cet amendement, présenté de manière
anodine, se cache un autre projet. C'est d'ailleurs ce que
confirment certains parlementaires, favorables à
l'amendement. Ainsi, pour Victorin Lunel, secrétaire
national à l'outre-mer du PS, « après la reconnaissance des
langues régionales dans le marbre de la loi fondamentale, le
prochain combat doit être celui conduisant à une véritable
politique de valorisation de celles-ci ». Pour François
Bayrou, cette inscription constitue un «pas en avant
important ».
Vers quoi ? La réponse est évidente : vers la ratification
par la France de la charte européenne des langues régionales
et minoritaires adoptée par le Conseil de l'Europe en 1992
et signée par le gouvernement Jospin, le 7 mai 1999. Or
cette charte, au nom de la protection des langues, est
porteuse d'une véritable contre-révolution : elle tend, ni
plus ni moins, à réduire les citoyens, jusque-là individus
libres et égaux, en éléments de groupes ethniques au sein
d'une Europe des régions. Ce qui est en jeu, c'est donc,
au-delà de l'alibi culturel évoqué, le maintien ou la
disparition, à terme, de l'État-nation, incarnation de notre
identité nationale.