Les fautes d'orthographe deviennent un handicap pour faire carrière.

 

Commettre des fautes d'orthographe, de syntaxe ou de grammaire n'est plus une erreur innocente dans les entreprises. D'une remarque acerbe ou d'un sourire narquois intercepté lors d'une réunion, la faute peut être pointée par un chef tyrannique ou des rivaux ambitieux, jusqu'à provoquer un malaise, voire un état de blocage, chez le fautif.

"J'ai l'impression que l'ambiance dans les entreprises s'est détériorée au point de faire des fautes orthographiques une arme redoutable de plus en plus utilisée pour déstabiliser les personnes", affirme Bernard Fripiat, auteur en 1999 d'un manuel pratique intitulé Se réconcilier avec l'orthographe (éd. Demos). M. Fripiat, qui exerce en tant que "coach en orthographe", cite le cas de ce PDG polytechnicien qui, après avoir surpris les rires moqueurs de deux de ses directeurs en comité de direction alors qu'il effectuait une présentation au tableau, s'est enfermé dans le plus grand secret avec lui pendant deux jours pour réviser son orthographe.

Les fautes aperçues lors de présentations PowerPoint (qui consistent à projeter sur écran devant un auditoire des textes composés sur son propre ordinateur personnel) ou dans des documents de travail seraient de plus en plus fréquentes. Le plus souvent, il s'agit de fautes d'inattention qu'explique en partie le nombre croissant de notes, mémos, documents de synthèse, présentations et autres courriers électroniques que les salariés sont amenés à rédiger très rapidement, dans des quantités importantes et quotidiennement.

Pressés par le temps, les plus précautionneux s'en remettent à ce qu'ils pensent être une planche de salut : le correcteur orthographique couplé aux logiciels de traitement de texte. Cependant, cette "béquille" ne suffit pas. "Les gens ont l'habitude que leurs erreurs soient corrigées automatiquement par l'ordinateur, mais lorsque la personne écrit le verbe être au futur en tapant, sans le faire exprès, deux fois un "r", le correcteur orthographique ne voit pas "serra". Pour lui, il s'agit du passé simple du verbe serrer", explique Bernard Fripiat.

Or les fautes se révèlent de plus en plus difficiles à assumer. Les sessions de rattrapage en orthographe sont directement réclamées par le salarié ou par son supérieur hiérarchique direct dans le cadre d'une courte formation présentée sous un vocable psychologiquement indolore. "Remise à niveau des techniques usuelles de communication", par exemple. Il s'agit, dans les faits, de corriger les fautes les plus courantes, à commencer par l'accord du participe passé, très souvent ignoré. Mis en exergue par le linguiste et professeur au Collège de France Claude Hagège, ce "relâchement de l'accord" est monnaie courante. Comme dans "la robe qu'elle a mis" au lieu de "la robe qu'elle a mise".

Il faut également compter avec les fautes de conjugaison (le futur étant fréquemment confondu avec le conditionnel) ou l'usage de "un" à la place de "une" ("un espèce de document" pour "une espèce de document"). Sans oublier les fautes liées à des expressions orales désormais écrites (mauvais usage de "dont" ou de "que").

Les entreprises soucieuses de leur image tentent de lutter contre ce nouveau fléau qu'elles jugent trop visible. Une annonce publiée par l'enseigne informatique Surcouf précise, par exemple, que son futur chargé de clientèle devra disposer d'une "orthographe correcte". À croire que cette qualité ne serait pas si courante, chez les jeunes recrues notamment.

Une fois dans l'entreprise, elles continuent de pianoter à la vitesse de l'éclair des dizaines de courriels en langage "texto", une écriture phonétique ("c ki ?" au lieu de "c'est qui ?") héritée des usages du téléphone portable et abondamment rodée sur les messageries Internet.

Étudiante, formée en classes préparatoires littéraires ayant ensuite intégré une école de commerce à la suite d'un concours, Marion, 21 ans, avoue ses défaillances orthographiques : "En général, j'utilise le langage texto quand je communique avec les copains et j'essaie d'écrire correctement pour l'administration ou quand il s'agit de courriers. Mais je me rends compte que même si je fais clairement la distinction dans ma tête, dans mon courrier je fais parfois des fautes énormes !"

Quant à la pratique quotidienne de l'anglais, elle n'est sans doute pas sans conséquences. Une étude de Global Reach, organisme de marketing* sur le Web, estime qu'au plan mondial le nombre de messages électroniques rédigés en anglais régresse pour ne représenter que la moitié d'entre eux depuis le début des années 2000 alors qu'ils étaient très largement majoritaires dans les années 1990. Mais dans les entreprises, la langue anglaise continue de dominer les échanges. L'anglais, langue maternelle d'à peine 7 % de la population de la planète, est désormais utilisé comme langue unique dans la majorité des documents financiers et juridiques rédigés pour le compte des grandes entreprises par les banquiers d'affaires et juristes... américains le plus souvent.

 

Florence Amalou

 

 

* Note de l'A.FR.AV : mercatique en français

 

 

Source : Le Monde, le vendredi 05 mai 2006