Le français, arme de contestation politique ?

 

Le français serait-il en passe de supplanter l'anglais dans les pays arabes ? Face à  l'engouement actuel qu'il connaît dans ces États, le scénario paraît envisageable. L'enthousiasme à l'égard de la langue de Molière est illustré par le nombre grandissant d'élèves désireux de se familiariser avec sa pratique ainsi que par l'ouverture de départements universitaires spécialisés.

Selon le ministère français des affaires étrangères, l'institut culturel Voltaire, au Koweït, a vu ses inscriptions augmenter de 30 % entre 2001 et 2002. Le centre culturel français de Riyad, en Arabie saoudite, a fait  doubler  sa capacité d'accueil pour répondre à  la forte demande. La même tendance s'observe au Qatar, à  Oman et à  Bahreïn, où le français va être introduit à  la rentrée 2003 comme matière obligatoire dans les sections littéraires de l'enseignement public. À Abou Dhabi (Émirats Arabes Unis), le français, supprimé de l'enseignement public en 1998, vient d'être rétabli comme matière obligatoire dans deux écoles pilotes, et cette démarche sera élargie à  une trentaine d'établissements à  la rentrée 2003.

« Il y a dans ce mouvement une signification politique évidente », déclare-t-on à  la direction de la communication et de l'information (DCI) du Quai d'Orsay. Les étudiants ne se rendent plus aux États-Unis, non seulement parce que l'obtention des visas est devenue un véritable parcours du combattant, mais aussi parce que cela leur permet manifester leur désapprobation de la politique américaine. Le Royaume-Uni, qu'ils jugent trop semblable aux États-Unis, étant également rejeté, il se tournent vers la France.

Ainsi, au Liban, les chiites, à  commencer par leur organisation la plus fondamentaliste, le Hezbollah, sont conscients de la nécessité de pratiquer une langue de communication internationale, mais refusent de recourir à  la langue du « Grand Satan » et systématisent l'enseignement du français dans leurs écoles communautaires.

Selon Katia Haddad, auteur de La Francophonie et le Monde arabe : état des lieux, l'introduction du français dans les cursus scolaires de Jordanie, pays de tradition anglophone, semble liée à  la position de la France dans le conflit israélo-palestinien ; en effet, la communauté palestinienne est francophone, et les rares écoles francophones en Jordanie ont été créées par des Palestiniens réfugiés en 1948, lors de la création d'Israël. Dans l'ensemble du monde arabe,  « le refus d'un modèle uniforme de bilinguisme », qui occulterait la présence ancienne et continue de la France dans cette région, a provoqué ce mouvement de retour vers la francophonie.

Le réchauffement des relations entre la France et l'Algérie, symbolisé par la présence remarquée et inédite du président Abdelaziz Bouteflika au sommet de la francophonie, le triomphe de Jacques Chirac lors de sa visite dans cet ancien territoire français, tout comme son positionnement face à  une éventuelle guerre en Irak, pourraient également avoir un impact positif sur l'enseignement du français dans les pays arabes. La position affichée de la France devrait lui faire remporter des victoires sur d'autres fronts.

Éloïse Cohen

 

Source : le Monde, le 7 mars 2003