L'anglais grignote le français en France

Les préoccupations du Parti québécois, qui évoque la nécessité de réviser la loi 101 pour mieux protéger le français, trouvent écho en France. Désormais, dans l'Hexagone, des producteurs de vin scandent « It's Beaujolais nouveau time ! » pour faire mousser leurs ventes.

 

Des groupes de défense de la langue française ont dénoncé l'usage en France,

par les producteurs de vins du Beaujolais, du slogan « It's Beaujolais nouveau time ».
Photo AP
 

 

Et des employés doivent s'adresser aux tribunaux pour obtenir des logiciels en français. Résultat : plusieurs s'inquiètent des risques de «acolonisation » linguistique du pays par l'anglais.

Même si elle se voit comme le point d'ancrage du monde francophone, la France n'échappe pas aux inquiétudes linguistiques.

Le fait est éloquemment mis en relief par la polémique actuelle entourant l'Eurovision 2008, compétition artistique paneuropéenne dans laquelle le pays sera représenté par Sébastien Tellier, un musicien chantant... en anglais.

Le choix de la chaîne publique France 3, qui a sollicité M. Tellier, a été vivement dénoncé par des politiciens outrés de cet « affront » à la langue nationale.

L'instigateur du mouvement de protestation, le député François-Michel Gonnot, affirme avoir reçu des milliers de courriels et de lettres de soutien.

« Je pense qu'il y a, en France et à l'étranger, une très forte sensibilité à la question de la défense et de la promotion de la langue française », déclare en entrevue M. Gonnot, qui ne s'attendait pas à déclencher une telle tempête.

Bien qu'il juge que l'Eurovision soit un « concours ringard » sans grand intérêt culturel, il ne peut accepter l'idée que l'artiste représentant l'Hexagone ne s'exprime pas en français.

« Il est essentiel que l'image de la France reste française. Sinon, la France n'est plus la France », déclare l'élu, qui s'agace au passage du fait que le courant de musique électronique auquel est rattaché l'artiste soit désigné comme la « French touch ».

Bonne baguette

Sébastien Tellier a finalement accepté d'intégrer quelques phrases en français dans sa performance pour apaiser les esprits, tout en minimisant l'importance de l'affaire. « Ce n'est pas parce que je chante en anglais à l'Eurovision que demain matin la baguette sera moins bonne », a-t-il déclaré aux médias.

L'incident n'en demeure pas moins symptomatique de la place croissante qu'occupe l'anglais dans la société française, martèlent des organisations de défense de la langue de Molière.

Pour dénoncer le phénomène, un groupe d'associations a créé « l'Académie de la carpette anglaise ». Ses dirigeants remettent chaque année un prix parodique au membre des élites françaises qui s'est « distingué par son acharnement à promouvoir la domination de l'anglais en France ».

La plus récente lauréate de cette distinction est la ministre de l'Économie, Christine Lagarde, fustigée parce qu'elle utilise parfois l'anglais pour échanger avec ses collaborateurs. Le journal satirique Le Canard enchaîné affirme que cette habitude lui a valu le surnom de « Christine The Guard ».

L'association Francophonie Avenir, qui regroupe quelques centaines de membres, fustige aussi régulièrement sur son site Internet le recours à l'anglais dans divers domaines.

Le porte-parole de l'association, Régis Ravat, qui vit dans le sud de la France, estime qu'il est urgent que ses compatriotes prennent conscience de la « colonisation sournoise » en cours.

Le franglais séduit les jeunes

Le fait que des chanteurs français passent sans sourciller à l'anglais illustre l'acceptation sans cesse plus grande de cette langue dans le pays, souligne l'homme de 45 ans, qui affirme avoir été sensibilisé à l'importance de la défense du français lors d'un séjour au Québec.

Des dérives linguistiques sont notamment manifestes dans le secteur de la publicité, souligne le porte-parole, qui dénonce l'usage, par les producteurs de vins du Beaujolais, du slogan « It's Beaujolais nouveau time ».

L'attachée de presse de l'Union interprofessionnelle des vins du Beaujolais, Anne Masson, souligne que l'organisation cherchait à cibler les jeunes. « Chez les gens de moins de 35 ans, l'usage de l'anglais ou du franglais est assez répandu », souligne-t-elle.

La prochaine campagne sera menée en français, notamment parce que des producteurs de vin se sont plaints de l'approche linguistique retenue. «aOn a eu droit à des réactions un peu franchouillardes de gens qui nous demandaient pourquoi on utilisait l'anglais », dit Mme Masson.

M. Ravat juge qu'il n'y a rien de réactionnaire au fait de vouloir défendre le français. « Si ça continue, le fait de demander que l'on parle sa langue va être considéré comme une dérive nationaliste », dit-il.

 

Marc Thibodeau

La Presse (Paris)

marc.thibodeau@lapresse.ca

 

Source : Cyberpresse.ce, le 1er mai 2008

http://www.cyberpresse.ca/article/20080501/CPMONDE/805010743/7067/CPMONDE

 

 

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Vers une crise linguistique en France ?

 

C'est ce que laisse entendre l'article de Marc Thibodeau, correspondant du journal La Presse à Paris.  

En lisant son article intitulé "L'anglais grignote le français en France", on dirait que des tas d'employés français sont obligés d'avoir recours aux tribunaux pour obtenir des logiciels en français, que tous les slogans publicitaires sont en anglais, que tous les chanteurs français utilisent des mots anglais dans leur chanson et que tous les jeunes français parlent franglais.  

Pour illustrer ses propos, M. Thibodeau relate ce qu'il faut désormais appeler l'"affaire" Sébastien Tellier. Personnellement, en ce qui concerne la représentation de la France à l'Eurovision, je ne sais pas laquelle des deux situations suivantes est la plus étrange : un Français qui chante en anglais ou une Canadienne (Natasha St-Pier en 2001) qui chante en français.  

En écoutant la radio ou en regardant la télévision au Québec, il arrive souvent d'entendre une personne se moquer ouvertement de l'usage de l'anglais par les Français. Il est vrai que nous utilisons de nombreux mots anglais ("week-end" pour "fin de semaine", "parking" pour "stationnement", "email" au lieu de "courriel", etc.). Par contre, ces mêmes gens qui critiquent notre utilisation parfois abusive de l'anglais trouveront que si les Québécois disent "Oh my god ! Check ça ! Mes wipers sont tout fuckés" ("Oh mon dieu ! Regarde ça ! Mes essuie-glaces sont foutus") c'est parce qu'il s'agit d'un particularisme régional.  

Il faut également souligner une certaine tendance chez les intellectuels et les pseudo intellectuels à vouloir critiquer le bon peuple, que ce soit en France ou en Québec, pour leur façon de s'exprimer. Le recours à l'anglais est dénoncé depuis des années comme une menace plus sérieuse encore que le réchauffement climatique, et pourtant aujourd'hui chaque pays conserve encore sa langue d'origine. 

Notons aussi que ce phénomène de l'utilisation de l'anglais se fait dans beaucoup de pays, et je pense notamment au Japon. Beaucoup de chanteurs japonais utilisent des bouts de phrases en anglais dans leurs chansons, qui portent parfois aussi des titres anglais (pour référence voir "Addicted to you" de la chanteuse Utada Hikaru - j'en profite pour vous la recommander, c'est une chanteuse très talentueuse que j'adore). Beaucoup de nouveaux mots sont empruntés à l'anglais en japonais et l'usage des katakana (caractères servant à transcrire les mots d'origine étrangère) est très répandu dans les publicités.  

Bref, le français et le québécois ne sont pas les seules langues à subir l'influence de l'anglais. Et toutes ces langues qui ingèrent des mots anglais ne sont pas encore mortes, loin de là. Mon objectif n'est pas de dire que l'"anglicisation" des langues n'est pas dramatique, il faut rester vigilant mais dramatiser n'est pas la solution.
 

Paméla

http://www.lepost.fr/perso/pamela-f/
 

 

 

Source : LePost.fr, le 2 mai 2008

http://www.lepost.fr/article/2008/05/02/1188291_vers-une-crise-linguistique-en-france.html