Sans l’intention aucune de vouloir faire procès au professeur Guillou ou
à bon nombre de nos amis qui défendent la Francophonie, mettons
courtoisement le fer au feu…
Se réjouir quant la Francophonie est inscrite dans la constitution ?
Soit ! Bravo !
Mais tant et tant de bonnes intentions figurent en lettres d’or dans la
constitution... Une constitution qui dans bien des domaines n’est plus
qu’un tissu d’oripeaux !
Que retiennent les pays francophones ? Cette petite gâterie
constitutionnelle ou les propos du chef de l’Etat ? N’entendent-ils pas
aussi les propos de nos ministres ? N’ apprécient-ils pas les virages
de notre politique étrangère ?
En toute courtoisie.
La Francophonie est-elle à bout de souffle ? Beaucoup le pensent. Les
appels en faveur d’un nouveau départ se multiplient à la veille du 12e
Sommet de la Francophonie qui s’ouvrira à Québec le 17 octobre prochain.
Elle a besoin d’ambitions affichées, d’innovations annoncées. La
décision soudaine du Canada, pays hôte, d’organiser, le mardi précédant
le Sommet, ses élections fédérales, ajoute au désenchantement.
Situation paradoxale car sous l’impulsion de son Secrétaire général, le
Président Abdou Diouf , l’institutionnel francophone a fait des progrès
considérables. L’Organisation internationale de la Francophonie et ses
opérateurs sont en état de marche et un débat d’idées s’est amorcé sur
le rôle et l’utilité de la Francophonie. Son cœur de métier a été
précisé, des pistes tracées, des chantiers prioritaires identifiés.
Il a été montré que cette Francophonie, la troisième après les
francophonies coloniale et post-coloniale, s’inscrit dans les défis de
la mondialisation ; qu’elle constitue un pôle privilégié de dialogue
interculturel pour la paix. Ses valeurs, son engagement pour la
diversité et la solidarité qu’elle sait tisser, montrent la voie pour
bâtir une mondialisation maîtrisée construite autour d’une synthèse des
différences et non autour d’un modèle unique et dominant.
Il a été montré aussi que le temps n’est pas venu d’une langue unique.
Le 21e siècle sera plurilingue. Dans la mondialisation, de
nouvelles langues « monde » émergent. La force de l’espagnol,
l’importance de l’arabe, ainsi que la rapide montée en puissance des
langues des futurs géants économiques, ne peuvent plus être niées.
Ainsi, dès 2010, le chinois sera enseigné dans plus de mille instituts
« Confucius » répartis dans le monde entier. Le multilinguisme est à
l’ordre du jour. C’est le combat de la Francophonie.
Alors pourquoi la Francophonie est-elle en panne ? Pour deux raisons
majeures :
* la rémanence des Francophonies d’hier. Les regards restent
fixés sur le rétroviseur. Le passé colonial occupe encore les têtes.
* la pensée dominante qui la « ringardise » et présente la
mondialisation non comme une chance mais, au contraire, comme un
obstacle à son développement.
Il n’est pas certain que les États
et gouvernements veuillent aller plus loin. Souvent, leurs élites ne
perçoivent ni l’intérêt de la Francophonie comme pôle géopolitique dans
la mondialisation, ni celui du multilinguisme comme antidote au repli
identitaire. On est abasourdi par le déficit de visibilité de la
troisième Francophonie ; l’ignorance est générale, abyssale. Cette
méconnaissance a pour conséquence sa marginalisation par les décideurs.
Faute d’être perçue comme une force, elle se trouve en position de
faiblesse.
Il est certain que les peuples et leurs dirigeants ne peuvent avoir
envie de Francophonie que s’ils en partagent le concept. Il faut lancer
à grande échelle un plan « marketing » et de formation pour mettre en
pleine lumière sa modernité et sa pertinence.
La France, pour sa part, vient d’inscrire la Francophonie dans sa
Constitution. Ce faisant, elle a retrouvé ses deux jambes : l’Europe et
la Francophonie ; elle a réaffirmé sa double ouverture inscrite dans son
histoire, vers le continent et vers le Grand large. C’est une formidable
avancée. Par ailleurs, le Président Sarkozy a affirmé avec force le 20
mars dernier lors de la Journée internationale de la Francophonie à la
Cité universitaire de Paris, que la Francophonie était une priorité de
la diplomatie française et s’est ouvertement engagé en faveur d’une
Francophonie innovante, vivante et populaire.
On pourrait se réjouir si ce n’était l’entêtement des élites françaises
à faire tout le contraire. Pas un mot dans la presse de la Francophonie
introduite dans la Constitution et, de même, pas un mot de la place
redonnée à la langue française aux côtés de l’anglais et du mandarin aux
Jeux olympiques de Pékin. Ces élites se trompent de route, elles ne
veulent rien entendre, elles persistent dans l’erreur allant même, dans
certains cas, jusqu’à refuser d’utiliser la langue française, la
sacrifiant sur l’autel de l’anglais.
Est-il de l’intérêt de la France de faire en sorte que demain, par sa
propre faute, le français cesse d’être une langue monde ?
On ne peut qu’être atterré du souhait exprimé récemment par le Ministre
français de l’Éducation nationale,
de voir tous les diplômés des lycées, bilingues français anglais alors
que se profile un environnement international multilingue où le français
a toute sa place.
Mais les obstacles ne viennent pas uniquement de la France. Que veulent
les autres
États et gouvernements
participants ? Ceux d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes et de l’Océan
Indien, d’Europe, du Monde Arabe, d’Amérique ? Que veut le Canada ? La
nécessité de réaffirmer une ambition collective forte est évidente.
Partout, les questions du rôle de la Francophonie dans la mondialisation
et de son utilité pour les populations, se posent. Certes, l’engagement
pour la diversité est essentiel mais il ne suffit pas. Le refus de la
Francophonie de prendre en compte l’économie comme demandé, dès 1997,
par le Vietnam au Sommet d’Hanoi, pèse lourd. Il est extrêmement
pénalisant. Dans ce domaine un changement s’impose.
La Francophonie est au pied du mur. Il lui faut soit choisir de dépérir
sans gloire, soit franchir le Rubicon.
À Québec, il est vital que des voix
s’élèvent pour afficher l’ambition et tracer les chemins d’une
Francophonie offensive.
Chacun s’accorde sur l’importance de nouveaux chantiers : l’éducation,
l’économie, les industries culturelles, le numérique, mais pour agir il
faut s’en donner les outils.
Chacun sait que la langue française est la grande oubliée, qu’il faut
d’urgence s’attacher à renforcer son usage et son apprentissage ; chacun
sait aussi qu’il est grand temps de renforcer, chez les jeunes en
particulier, le sentiment d’appartenance à l’ensemble francophone.
Encore faudrait-il pour le faire une réelle volonté politique.
Ne remettons pas à demain le combat pour le renouveau car il est déjà
bien tard ; la mondialisation n’attend pas.
Lyon le 20/ 09/2008
Professeur Michel Guillou,
Ancien Recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie,
Directeur de la Chaires Senghor de la Francophonie de Lyon
Michel
Guillou :
Docteur ès
Sciences
Physiques,
Faculté des
Sciences de
Paris, Docteur
Honoris Causa de
l’Université de
Moncton au
Canada et de
l’Université de
Sofia en
Bulgarie.
Directeur de
l’Institut pour
l’Étude de la
Francophonie et
de la
Mondialisation (IFRAMOND,
Université Jean
Moulin Lyon 3),
Titulaire de la
Chaire Senghor
de la
Francophonie de
Lyon.
La
Mondialisation,
une chance POUR
LA Francophonie
Intervention du
Professeur
Michel GUILLOU
au colloque
international «
La Francophonie,
aujourd’hui et
demain », les 25
et 26 mai 2006 à
l’Université
Saint-Joseph à
Beyrouth
http://iframond.univ-lyon3.fr/pages/reflexion/2006mondialisation_beyrouth.htm