8e  SOMMET  DE  LA FRANCOPHONIE

(À Moncton au Nouveau-Brunswick)

 

 

(Photos, AFP :  MM. Chirac et son homologue canadien Jean Chrétien, puis M.Chirac avec des enfants d'Acadie)

 

8e SOMMET DE LA FRANCOPHONIE À MONCTON 

LES  3, 4  ET 5  SEPTEMBRE  1999

 

 

Sommet de Moncton, dans le Nouveau-Brunswick

 

La francophonie en Acadie

 

Une vision plus politique de l’action francophone se heurte aux problèmes des droits de l'Homme

 

Moncton, au Nouveau-Brunswick dans l’est du Canada, sera l’hôte du 3 au 5 septembre du 8e sommet des 52 chefs d’État et de gouvernements de la Francophonie. C’est la plus petite ville qui a accueillir l’événement. C’est aussi l’une des plus engagées.

Aujourd’hui, un tiers de la population du Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue du Canada (anglais-français), est de descendance acadienne (premiers colons français venus surtout du Poitou) et de langue française.

La province est d’ailleurs généralement considérée comme le principal centre de vie acadien dans le monde, même si la Louisiane et le Québec comptent un plus grand nombre de descendants acadiens.
Sur les côtes du nord-est de la province, où ils sont largement majoritaires, le sentiment national est très vivace.

Le drapeau acadien (bleu-blanc-rouge avec une étoile jaune dans le bleu) flotte devant nombre de maisons, et des poteaux téléphoniques ou des bancs publics sont peints aux couleurs tricolores.

Les Acadiens ont leur hymne, transcription libre en français du très catholique « Ave Maris Stella », et toute la région célèbre à tout va la fête nationale des Acadiens, le 15 août, avec force chansons, danses et ripailles. Pourtant, leur combat continue : ils réclament du gouvernement de leur province une loi garantissant leur droit d’obtenir des services publics en français. « Le gouvernement du Nouveau-Brunswick se vante à l’étranger de représenter la seule province officiellement bilingue au Canada, laissant entendre que tout est rose pour les francophones. Ce n’est pas vrai, il y a encore beaucoup de chemin à faire », insiste Ghislaine Foulem la présidente de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick.

C’est dans cet état d’esprit que s’ouvre le sommet. Il servira comme à l’habitude de plate-forme de défense de la langue française face à l’anglais. Mais ce sommet s’emploiera surtout à renforcer la dimension politique de la francophonie, dans l’espoir d’en faire un acteur clé sur la scène mondiale.

Il devra se donner les moyens de peser d’avantage dans le règlement des conflits qui opposent plusieurs des pays membres de ce rassemblement biannuel de 52 pays, notamment sur le continent africain, dont 28 pays font partie de l’organisation. C’est en tout cas ce qu’espère son secrétaire général l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali. Cette question est d’autant plus importante que l’Afrique « est le berceau de la francophonie et son avenira», explique ce dernier.

Par ailleurs, M. Boutros-Ghali s’est déclaré favorable à ce que la francophonie évolue vers une organisation du type du Commonwealth même s’il sait qu’il faudra du temps avant que l’organisation ne joue un rôle à l’échelle planétaire. Son approche pragmatique le pousse d’ailleurs à refuser d’intervenir dans les affaires des pays membres. Une non-ingérence regrettable lorsqu’on sait que 15 des 52 pays membres ne respectent pas la liberté de la presse par exemple. Ces régimes ont aussi en commun de bafouer un idéal francophone : celui de la liberté et des droits de l’homme..

 

M.A.

Source : Midi Libre, journal du mercredi 1er septembre 1999

 

 



Chirac au sommet de la francophonie

 


En marge du sommet, le Président se félicite des bonnes relations qu’entretiennent la France et le Québec

 

Jacques Chirac est arrivé hier au Canada où il doit participer au sommet de la Francophonie. Tout au long de son périple, le président français visitera Ottawa, Québec et le Nunavut, nouveau territoire inuit du Grand Nord canadien. Première étape de ce voyage de près d’une semaine, Ottawa, la capitale fédérale, permettra à Jacques Chirac de poursuivre avec le Premier ministre Jean Chrétien le dialogue politique régulier entre deux pays qui ont « des relations étroites et confiantes ».

À Québec, le Président fera valoir que la « Belle Province » demeure « un partenaire de premier plan pour La France », qui s’en tient à sa position traditionnelle de « non-ingérence, non-indifférence ».

Car au-delà des liens culturels forts tissés par l’histoire, Québec est aussi un partenaire économique non négligeable pour Paris qui y réalise la moitié de ses échanges avec le Canada. Ceux-ci ont progressé de manière spectaculaire, en faisant en cinq ans un bond de 70%.

Devant ses partenaires francophones, réunis à Moncton, au Nouveau-Brunswick, de vendredi à dimanche, le président français plaidera pour que la francophonie poursuive le développement de sa dimension politique. Face aux critiques sur la violation de l’État de droit chez certains des membres de la francophonie, en particulier africains, la France, comme le Canada, prônera la pédagogie plutôt que l’interventionnisme. 

 

  Source : Midi Libre, journal du jeudi 2 septembre  1999 

 


LUCIEN BOUCHARD,

PREMIER MINISTRE 

QUÉBÉCOIS

(indépendantiste)

 

(photo, Reuters)

 

Trois jours de sommet international à Moncton

 

Chirac veut avancer sur « l'exception culturelle »

 

La jeunesse et les droits de l’homme, priorités au menu des chefs d’État

 

  Au deuxième jour de sa visite au Canada, Jacques Chirac est arrivé hier à Québec, respectant ainsi une règle non écrite d’équilibre entre anglophones et francophones canadiens. Non seulement pour parler de «l’exception culturelle » française face aux États-Unis, mais aussi pour présider le sommet de la Francophonie.

Le chef de l’État français a affirmé à Ottawa la détermination de la France à ne faire aucune concession sur « l’exception culturelle » lors des négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), en novembre à Seattle. La France et le Canada s’opposent, dans les négociations commerciales, aux États-Unis qui veulent traiter les biens culturels, comme le cinéma et les programmes de télévision, comme des marchandises ordinaires.

En compagnie du Premier ministre canadien Jean Chrétien, M. Chirac a déclaré que la France n’accepterait « pas de concession sur le problème de l’exception culturelle ». Paris et Ottawa sont, selon M. Chrétien, d’accord sur l’objectif, mais divergent encore sur la procédure à suivre. Le Canada est disposé, comme les États-Unis, à débattre des questions culturelles au sein de 1’OMC, alors que la France souhaite s’en remettre à l’Unesco.

« La diversité culturelle est un problème pour nous au Canada, comme c’est un problème pour la France et pour d’autres pays », a déclaré Jean Chrétien. « C’est une question de mécanisme. On n’est pas d’accord sur le processus, mais on est d’accord sur l’objectif », a-t-il ajouté.

Après avoir participé aux cérémonies du 20e anniversaire de l’Association des maires francophones (AIMF) dont il est l’un des fondateurs et reste le président d’honneur, Jacques Chirac aura des entretiens dans la capitale de la « Belle province » avec le Premier ministre indépendantiste Lucien Bouchard.

Mais cette exception culturelle n’est pas la seule raison du voyage de Jacques Chirac au Canada. Les chefs d’État ou de gouvernements des pays membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie (0IF) se réunissent à partir d’aujourd’hui à Moncton (Nouveau-Brunswick) sur le thème général de la jeunesse, mais les droits de l’Homme devraient apparaître en filigrane de cette réunion biennale.

La jeunesse sera au centre du sommet. Les jeunes s’exprimeront devant les chefs d’État ou de gouvernements et rencontreront plusieurs dirigeants lors de petits déjeuners-causeries. Ils seront de toutes les cérémonies et nombre d’activités annexes leur sont consacrés, comme la radio officielle du sommet qu’ils gèrent eux-mêmes ou les Olympiades universitaires de la Francophonie.

Le secrétaire général de la Francophonie, Pierre Boutros Boutros-Ghali, fournira aux chefs d’État ou de gouvernement un bilan de son action depuis près de 2 ans, déjà présenté aux ministres qui l'ont, paraît-il, vigoureusement applaudi. Il insistera sur la reconnaissance de l'OIF sur la scène internationale et sur les liens créés avec plusieurs organisations comme l'ONU ou le Commonwealth. 

La défense des droits de l’homme sera évoquée dans la déclaration finale du sommet, ainsi que dans le plan d’action. qui détermine les projets à suivre pour les 2 ans à venir. Les réunions préparatoires ont permis de « muscler » les textes, pour faire avancer la ratification de la Cour pénale internationale et protéger les enfants-soldats.

« Ne vous attendez pas qu’en moins de deux ans, la Francophonie puisse jouer un rôle à l’échelle planétaire », disait Pierre Boutros Boutros-Ghali. « Et puis, remarquait un haut fonctionnaire, si l’on s’en prend à un membre, que ce soit le Rwanda ou le Burundi, il réagira en nous en montrant un certain nombre d’autres du doigt ».

Tous les pays membres devraient s’accorder sans problème sur la défense active de l’exception culturelle dans les  grands forums économiques internationaux, un sujet sur lequel le ministre français Charles Josselin a demandé mercredi le soutien de la Francophonie. Enfin, un sommet parallèle se tient au même endroit à l’initiative d’ONG et de syndicats, pour parler de développement «différent », de droits de l’Homme et de mondialisation. Une pétition devrait être remise  par les organisateurs à Boutros-Ghali.

 

 

Source : Midi Libre, journal du vendredi 3 septembre 1999

 

 

 

L’ Acadie : l’étape du cœur pour Jacques Chirac

 

Ovationné, décoré, le Président a voulu « retrouver les enfants des enfants de la France »

 

Il y a trente-deux ans, le général de Gaulle, passant par Montréal, avait été solennel et polémique. Hier, Jacques Chirac a été champêtre et ému. Question d’époque, de personnalité, de lieu aussi... Car loin des byzantins débats du sommet de la Francophonie, c’est au cœur de l’Acadie que le président de la République avait choisi d’aller prendre l’air. Et quel air... Car si l’Acadie, administrativement n’existe pas, si elle vit sa vie canadienne sous le nom de Nouveau-Brunswick, elle garde pour beaucoup de francophones des parfums de paradis perdu.

Ils sont ainsi 240 000 -- un tiers de la population -- à se serrer les coudes autour du français. 240 000 à s’appeler Cormier, Leblanc, Arseneau ou Légère. Et à se souvenir pieusement du Grand  Dérangement, cette déportation massive que les Anglais, maîtres de la colonie, organisèrent en 1755 pour se débarrasser de ces enfants du Poitou ou de la Saintonge qui n’en avaient que pour le roi de France. Mauvais calcul quelques-uns se résignèrent bien à la Louisiane ou à la Nouvelle-Angleterre, mais la plupart revinrent en tapinois. Avec, souvent, l’aide d’Indiens qui s’appelaient Mics-Macs et qui aimaient les Français ingratitude de la langue... Les Mics-Macs ne sont plus, mais les Acadiens demeurent. Et avec eux, l’Acadien, sorte de pays rêvé qui, peuplé de fils du Grand Dérangement, compterait aujourd’hui à travers le monde deux à trois millions d’Acadiens. Aujourd’hui encore, ceux de la terre originelle aiment tellement la France qu’ils ont choisi nos trois couleurs pour emblème, y ajoutant y ajoutant l’étoile de l’Assomption. « C’est mon grand oncle qui l’a choisi, ce drapeau, raconte, fier, Alonzo Leblanc, rencontré par hasard. Et pourtant, il était très religieux et les couleurs de la République l’embêtaient. Alors il a décrété que le rouge serait pour le sang de nos martyrs, le blanc pour la pureté de notre langue, le bleu pour la mer qui nous a nourris. Et on continue à se dire Français d’Acadie ».                

C’est assez dire si la venue de Jacques et Bernadette Chirac à Memram-cook, là où les Acadiens décidèrent de redevenir eux-mêmes, était attendue avec quelque chose qui ressemblait à de la ferveur. Tous les babillards ( les panneaux autrement dit), matent en tricolore l’ampleur de l’événement. Toutes les fenêtres s’ornaient de « fêtons » radieux. Car si François Mitterrand, s’échappant lui aussi d’un sommet francophone tenu à Québec, était venu en Acadie, il s’était cantonné à Moncton, ville certes acadienne, mais entachée d’un péché originel: elle porte le nom du général anglais qui organisa le Grand Dérangement.

Là, on était dans le cœur, le berceau, sous les marronniers et le soleil. Et le président de la République y fut ovationné, décoré, nommé docteur honoris causa en sciences politiques... Jacques Chirac, du coup, y retrouva et l’émotion qui manque tant aux salles de congrès sous bulle sécuritaire et son goût pour les bains de foule.

Simple étape du cœur dans ce voyage très diplomatique ? Pas seulement. René Légère, secrétaire général de la Société Nationale de l’Acadie, rappelait que depuis trente ans, depuis que le général, toujours lui, reçut au grand dam d’Ottawa, quatre Acadiens à l’Elysée, l’aide de la France peut s’évaluer à 75 millions de francs environ. Sous forme de bourses, d’échanges universitaires, de livres. Jacques Chirac a promis hier de faire plus au nom « d’une France qui se souvient des enfants de ses enfants, par-delà un trop long oubli ».
Dans la foule, on vit alors deux vieilles dames qui sortaient leurs mouchoirs....

À Moncton, J. VILACÈQUE

 

 

Source : Midi Libre, journal du dimanche 5 septembre 1999

 

 

 

Fin de la rencontre des cinquante-deux chefs d'États

 

Francophonie : « force tranquille » ou « machin » ?

 

Difficile de concilier exigences sur les droits de l'Homme et susceptibilités

 

Pour ce qui est des déclarations d’intention, rien à dire il ne manque pas un bouton de guêtre à ce que les participants au sommet de la francophonie appellent, avec un inimitable zeste bureaucratique, le Projet de Plan d’Action. Appui à la démocratie, défense des droits de la personne, soutien aux populations civiles dans les conflits, attachement à l’État de droit : trois pages de ces louables résolutions n’omettent rien sans jamais citer personne. Pour ce qui est du concret en revanche, il faut sans doute avoir le sens diplomatique singulièrement aiguisé pour trouver là beaucoup de grain à moudre.

Et lors de la brève conférence de presse qui a clos, hier, le huitième sommet de la francophonie de Moncton, les représentants du millier de journalistes venus du monde entier, ne se sont pas fait faute de le relever. Quoi, rien sur d’éventuelles sanctions ? De possibles exclusions ? Laurent-Désiré Kabila peut venir s’asseoir à une table de conférence et n’être, ni mieux ni plus mal traité que le prince Albert de Monaco? Pour Jean Chrétien, Premier ministre du Canada, qui, la veille, avait expliqué un peu gêné que « oui, il avait serré la main de Kabila, mais lui avait seulement dit bonjour », pour Jean Chrétien donc, c’est déjà beaucoup qu’on parle de droits de l’homme.

« Avant le sommet de Hanoï en 97, la francophonie n’était qu’une organisation culturelle. C’est un grand progrès. »

Et le président Jacques Chirac de renchérir. Ne craignant pas la parabole mitterrandienne, il voit dans la francophonie  « une force tranquille ». « Ne cherchons pas le spectaculaire, mais la cohérence, dans la volonté de cinquante-deux États. » Et pour couper court — momentanément au moins — aux questions critiques des journalistes, le président français a insisté sur la prochaine création de l’Observatoire de la démocratie qui, dit-il, donnera un diagnostic sur l’état réel des pays.

On notera l’utilisation présidentielle du mot diagnostic avec tout ce qu’il implique de rigueur médicale. Car c’est peu de dire que les divers rapports sur l’état des droits de l’homme en Afrique — et notamment ceux d’Amnesty International — rencontrent, au sein de la délégation française, un scepticisme agacé. Le député-maire de Millau et ancien secrétaire d’État à la Coopération, Jacques Godfrain, qui était du voyage, dit même que tout ce qu’écrit Amnesty International sur le Togo, par exemple, est faux et qu’il en a assez de ce procès permanent fait à l’Afrique.

Il est certes difficile de démêler dans ce discours la part de vérité et ce qui relève de la volonté de la France de préserver son pré carré africain, en évitant de se brouiller avec des chefs d’État dont certains — Togo, Gabon — sont tout de même en place depuis trente-deux ans... Toujours est-il que la création de cet Observatoire de la démocratie semble être le plus petit dénominateur commun entre les Canadiens et leurs exigences sur les droits de la personne, les Français et leurs intérêts africains, et les Africains eux-mêmes qui ne pouvaient pas faire moins.

Du reste, pour ce qui a filtré des réunions à huis clos, il ne semble pas que la question des droits de l’homme y ait suscité des débats passionnés. Un observateur disait même en confidence que ce sommet semblait n’avoir jamais vraiment démarré et qu’il s’agissait plus de juxtapositions d’intervention que de dialogues réels. Les seuls échanges passionnés semblent n’avoir concerné que la situation dans l’ex-Zaïre, toujours en proie à une guerre civile où Rwandais et Burundais ne se privent pas d’intervenir. « Ils sucent nos cœurs comme des cornets de glace », aurait même lancé le ministre des Affaires étrangères de Kabila qui aurait aimé que le sommet prît position. Lequel s’en est bien gardé. Alors, la francophonie, un ‘machin’ de plus, comme disait le général en parlant de l’Onu ? Politiquement, il faudra attendre le sommet de Beyrouth en 2001 pour le savoir. Culturellement, en revanche, on sera vit fixé : les négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce ont lieu en novembre à Seattle et Français et Canadiens ont bien fait savoir aux Américains qu’il était hors de question d’y assimiler films, livres ou tout autre bien culturel à des marchandises ordinaires. La francophonie n’est plus seulement la France face à Hollywood ? On dirait bien « wait and see » si, en l’occurrence, ce n’était si mal venu....


À Moncton, J. VILACÈQUE

 

 

Source : Midi Libre, journal du lundi 6 septembre 1999

 

 

 

En marge du Sommet de la Francophonie de Moncton

 

Le français au Canada : survie, sursis ou sursaut ?

 

Les statistiques le disent menacé hors du Québec. Et pourtant de l'Acadie au Yukon ...

 

« Ave Maria Stella », chantait la petite foule sous sa houle de drapeaux tricolores frappés d’une étoile d’or. « Acadie ma patrie, ma terre, mon défia», lançait-elle vers le ciel de grand azur... C’était un jour lumineux de septembre, c’était poignant et beau et l’Acadie, drapée dans son hymne et ses trois couleurs empruntées à la vieille patrie, fêtait autant le président de la République française venu lui rendre hommage qu’elle se fêtait elle-même.

Elle y a quelque droit : descendants des premiers colons français, fils des 15 000 déportés que les Anglais mirent dans des bateaux et qui revinrent, obstinément, à pied, en charrette, à la rame, les 300 000 Acadiens d’aujourd’hui sont les Canadiens qui entretiennent avec le français sinon avec la France les rapports les plus passionnels.

Antonine Maillet, prix Goncourt 79 pour Pélagie la charrette, chancelier de l’université francophone de Moncton, vieille dame d’Acadie qui n’a pas sa langue (française) dans sa poche, me le résumait d’une seule anecdote. « Un jour, le Premier ministre du Canada me dit : “Le bilinguisme nous coûte cher”. Je lui réponds : “C’est vrai. Alors supprimez l’anglais”. Il n’a pas voulu ». Rire. Oeil bleu à malice. Délice de l’accent qui roule ses petits galets comme la rivière Peticodiac toute proche...

C’est que dans ce Nouveau-Brunswick, seul état officiellement bilingue de la fédération canadienne — un tiers de francophones, deux tiers d’anglophones — on est sur ce que les croisés de la langue appellent « la ligne de feu ». Un feu plus dangereux que l’Anglais en habit rouge d’autrefois : l’anglais en habits de tous les jours, ceux des échanges commerciaux et d’Internet. Encore les Acadiens peuvent-ils s’arcbouter sur plusieurs institutions — dont un réseau scolaire francophone couronné par l’université de Moncton et ses 4 600 étudiants — et quelques symboles : le gouverneur général du Canada, Roméo LeBlanc, représentant de la reine d’Angleterre, chef d’État constitutionnel, est ainsi, paradoxe, un Acadien. Et puis de l’aveu même des anglophones, les Acadiens, trempés par les épreuves de l’Histoire, sont des résistants dans l’âme. Et des « fêteux » en plus, qui ne manquent pas une occasion de chanter français, rire français, danser acadien. Pas d’erreur, il y a bien de l’Astérix chez ces cousins des provinces atlantiques. Et tant pis si la poutine râpée, une boule mi-pomme de terre mi-viande hachée à étouffer tous les Anglais, remplace le sanglier.
Mais les autres, tous les autres? Ce million de Canadiens parlant français et qui vit hors du havre québécois et de ses 6 millions de francophones? Ce millier clairsemé, là-haut dans l’immense Yukon ? Ces 180 exilés de l’extrême qui vivent leur francophonie chez les Inuits par moins 40° et qui peuvent, quand même, envoyer leurs enfants dans une maternelle francophone? Leur situation, disent les statistiques, est alarmante : ils représentaient 7,3 % de la population totale du Canada anglais il y a quarante ans; ils ne sont plus que 4,5 % aujourd’hui. Et le Premier ministre fédéral, Jean Chrétien, lui-même bilingue, reconnaissait avant le sommet de la francophonie, que « vivre en français en Amérique n’est pas évident ». Ah, il est bien loin le temps où les plus optimistes rêvaient, devant la natalité plus forte des familles francophones, d’« une revanche des berceaux »...

Espèce en voie de disparition, alors, ces francophones non québécois ? Condamnés à l’extinction pour cause d’anglais triomphant et d’États-Unis trop proches ? Antonine Maillet n’y croit pas : « Je n’aurais jamais cru que la jeunesse se reconnaîtrait avec une telle fierté dans cette langue ». Jeunesse acadienne, sous-entend-elle. Mais au delà, peut-être aussi. On était ainsi frappé en arpentant le Village de la Francophonie qui avait planté ses tentes en marge du sommet de Moncton par l’extraordinaire diversité et, apparemment, vitalité des initiatives francophones. Dans le Manitoba, depuis 25 ans, le Cercle Molière joue les classiques français et les jeunes auteurs canadiens ; à Toronto, on tient salon du livre et on fait une franco-fête ; l’association des parents canadiens pour le français organise même, curieuse survivance du XIXe, un concours d’art déclamatoire...

Et puis parfois il y a des miracles. Ce jour-là, sous le caniculaire soleil de Moncton, quarante personnes chantaient en chœur l’hymne à l’amour d’Édith Piaf. Sur scène la chanteuse, d’émotion, en bégayait ses paroles. Silhouette noire, cheveux ras, 30 ans à peine, Pandora Topp sait tout de Piaf, sa vie, ses chansons, ses amours. « La plus grande », dit-elle avant d’enchaîner Sous les ponts de Paris devant un auditoire chaviré. « Topp, drôle de nom pour une canadienne francophone ? ». « Ah, mais non, moi je suis de l’Ontario, anglophone de naissance, mais quand j’ai rencontré Piaf je me suis mis au français tout de suite. Vous ne pouvez pas savoir le succès que nous avons avec mon groupe dans tout le Canada... »

Allons, il y a encore de l’espoir pour la greffe française d’outre-Atlantique...

 

J. VILACÉQUE

 

Source : Midi Libre, journal du 13 septembre 1999

 

 

 

FRANCOPHONIE


Front uni face aux Américains sur le thème de  « l’exception culturelle »
  Réunis en sommet à Moncton, sur la côte est du Canada, les chefs d’État et de gouvernement ont repris, hier, à huis clos, leurs travaux pour la deuxième journée. Avec comme thèmes principaux la diversité culturelle et la coopération économique.

Les dirigeants francophones souhaitent en effet présenter un front uni face aux États-Unis sur le thème de «l’exception culturelle» dans les échanges commerciaux, avant une réunion cruciale sur ce sujet fin novembre.

La veille, ils avaient adopté un « projet de plan d’action » et un « projet de déclaration» qui serviront de trame aux textes finaux du sommet. Ces deux projets consacrent une place importante à « la promotion de la diversité linguistique et culturelle ».

Dans le projet de déclaration, les 49 participants, « convaincus que les biens culturels ne sont en aucune façon réductibles à leur seule dimension économique », affirment leur droit à « définir librement leur politique culturelle et les instruments d’intervention qui y concourent ».

Dans le projet de plan d’action, les dirigeants francophones des cinq continents soulignent que « le contexte actuel de mondialisation rend plus que jamais indispensable la contribution de la Francophonie à la promotion de la diversité culturelle et de sa reconnaissance par tous les acteurs de la scène internationale ».

Interrogé sur les propositions canadiennes de sanctionner les pays ne respectant pas les droits de l’Homme, Jacques Chirac a par ailleurs souligné le rôle de l’« Observatoire de la Démocratie » qui doit être institué sur sa proposition.

Et le président français a comparé la Francophonie à un « club » dont les règles doivent être « acceptées et respectées ». Sous peine , a-t-il dit, de ne plus pouvoir y appartenir.

 

 

Source : Midi Libre, journal du dimanche 5 septembre 1999

 

 

Le Devoir (journal québécois) :

 

la Franco... quoi ?

 


  Sous un titre volontairement provocateur, le quotidien québécois s’interroge sur le sommet de la Francophonie à Moncton et envoie une volée de bois vert à la France.

« Indifférence en ce qui concerne les déclarations de Jacques Chirac sur le caractère plus ou moins ésotérique des polémiques canadiennes sur le peuple québécois et la capitale nationale. Personne en France n'a rapporté ces échanges à usage local, qui n’échappent pas seulement au commun des mortels, mais à la majorité du personnel politique hexagonal (...). C’est un secret de Polichinelle pour la plupart des observateurs français, la Francophonie a un sérieux problème d’image (...). Il n’est pas sûr que la majorité des Français soit derrière son Président lorsque celui-ci s’oppose à toute sanction à l’égard des dictatures qui participent au sommet. Le sentiment populaire est probablement plus proche des positions québécoise et canadienne sur le sujet (...). On s’est aussi étonné que personne n’ait pensé depuis dix ans à réunir les ministres de la Culture.

La France n’a d’ailleurs rien fait en ce sens puisqu’elle s’oppose à une revendication des pays africains et du Québec, qui demandent le droit à la libre circulation des artistes et des biens culturels... Bref, les observateurs français sont nombreux à croire que le ménage n’est pas terminé dans la Francophonie et que, plutôt que de jouer à l'Onu, celle-ci aurait tout intérêt à recentrer ses actions sur la langue et la culture, ses véritables raisons d’être ».

(Ch. Rioux, 4 sept. ; sélection : Ph.D.)

 

 

Source : Midi Libre, journal du 5 septembre 1999

 

 


Cinquante-deux chefs d'État francophones réunis en Acadie

 

Canada, Québec, France : la route épineuse de Chirac

 

 Trente-deux ans après, personne n'a vraiment oublié ici le cri du Général

 

  Jusqu' ici, tout n’avait été qu’affaire de politique(s) intérieure(s). Française pour commencer. Car Jacques Chirac, depuis qu’il a mis le pied sur le sol canadien, n’a cessé de croiser ses compagnons d’armes du RPR. Ici, Alain Juppé venu jumeler  Bordeaux à Québec ; là, Jean Tiberi, président disert de la réunion internationale des maires francophones  ; ici encore, Xavière Tiberi, discrète et comme sourde aux cruelles railleries montant de certains rangs français pour rappeler que, oui, depuis son infortuné et célèbre rapport, la francophonie, bien sûr, c’est sa chose.

Il n’était pas jusqu’à Philippe Séguin, invisible en chair et en os, mais très présent à la télévision québécoise qui, depuis sa nouvelle chaire de l’université de Montréal où il enseignera la stratégie, n’adressait quelque message boudeur à ses « amis » : non, non, il n’était pas mort à la politique  et le RPR allait devoir compter avec sa vigilance affectueuse. Ah! On ne se débarrasse pas facilement, même à dix mille kilomètres de distance, des délices empoisonnées des salons parisiens...

Plus épineuse encore était pour le président de la République la navigation entre les écueils de la politique intérieur canadienne. Car, dans un pays où sur les rayons des libraires s'affiche un livre intitulé « 30 ans d'attaques gaulliste sur le Canada »,  dans un état fédéral où, il y a trois ans, une province de 7 millions d'habitants, le Québec naturellement, n'a dit non à son indépendance qu'à une marge de 50 000 voix, le moindre mot est pesé à la balance d'horloger.  

Oh certes, il n’est plus question comme le Général en 67, de descendre le Saint-Laurent à bord d'une canonnière, le croiseur Colbert en l'occurrence, et de lancer « Vive le Québec libre » au balcon. Mais enfin, les souverainistes québécois ne font mystère qu'ils attendent de la France plus que de la sympathie : du soutien. Et le gouvernement fédéral ne cache pas, lui, que toute initiative en ce sens l’irriterait fort. Car si Jean Chrétien, premier ministre fédéral aime à rappeler  ces aïeules, « filles du Roy »  ces filles trop pauvres pour se marier en France et qui partaient chercher fortune chez les colons canadiens --, il ne badine pas avec l’unité du pays. Pressé de questions par les journalistes, sommé de dire si la France serait la première à reconnaître un Québec indépendant, Jacques Chirac finit par dire que tout cela lui paraissait « ésotérique ». Et que cet ésotérisme le rendait « prudent ».

La presse québécoise titrait joliment le lendemain: « Chirac évite la pelure de (banane NDLR) du Québec ».

Aussi, n’est-ce pas sans un certain soulagement sans doute, que le Président est passé hier matin au deuxième volet de son voyage canadien : le huitième sommet  tenu à Moncton, en pleine Acadie, là où au début du XVIIe débarquaient les premiers colons français. Ce n’est pas que, là encore, ce sommet ne fut que pétales de roses : un dessin paru dans le très influent Globe and mail montrait un général chamarré assis sur un monceau de crânes et deux délégués détournant pudiquement les yeux en disant « Oui, mais son accent français est parfait ».

En un mot, le Canada ne se faisait pas qu’une fête de recevoir sur son sol, sous couvert de francophonie, quelques-uns des tyrans les plus spectaculaires de la planète. Selon les journaux canadiens, quelques-uns parmi ces derniers étaient même atteints du syndrome Pinochet et il a fallu, pour les décider à venir, que le gouvernement s’engage discrètement à n’arrêter personne sur son sol. Il est vrai qu’on peut voir là un signe que la dimension politique, voulue au sommet de Hanoï en 97, est un succès et que l’Organisation internationale de la francophonie n’est plus seulement un aimable club où l’on cause.

On n’en est certes pas encore à parler d’exclusion pour un quelconque des trente-deux pays qui, sur cinquante-deux membres, a une conception élastique des droits de la personne : Jacques Chirac a éludé la question. Mais les mots « droits de l’homme » sont revenus, hier matin, plus que de coutume, dans les discours d’inauguration. Et si personne n’a rechigné à serrer la main à Laurent-Désiré Kabila, aux présidents du Rwanda et du Burundi, accueillis par un petit groupe d’Africains au cri d’assassins, il est vrai, disait-on dans les délégations, que, après Moncton, les choses pourraient bien n’être plus tout à fait comme avant. Vœu pieux ?

 

À Moncton, J. VILACÈQUE

 


Source : Midi Libre, journal du samedi 4 septembre 1999

 

 

 

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