Chronique de la médiatrice

So long..., par Véronique Maurus

 

Qui s'en souvient ? Le lancement, le 8 avril 2002, d'un supplément en v.o. offrant, chaque samedi, aux lecteurs du Monde une sélection d'articles du New York Times en langue anglaise, avait fait scandale. À Londres, le Daily Telegraph avait salué ironiquement cette initiative : « Le Monde, écrivait-il, n'est pas seulement un journal. C'est le salon de l'intellectualisme français. À cet égard, sa décision est aussi choquante que l'apparition d'un McDo sur les Champs-Élysées. » Et de conclure, avec malice : « La France capitule devant l'anglais. »

De ce côté-ci de la Manche, les réactions ne démentaient pas les perfidies britanniques. « C'est essentiellement un courrier protestataire qui arrive depuis une semaine, notait sobrement Robert Solé, le précédent médiateur, dans sa chronique du 15 avril 2002. Les extraits cités donnaient le ton :  « Les lecteurs qui ne parlent pas l'anglais passeront pour des tocards n'ayant pas leur place dans la société d'aujourd'hui », s'indignait l'un. « Votre attitude me fait penser à ces intégristes islamiques qui affirment que le Coran est intraduisible et qu'il faut le lire dans le texte arabe », renchérissait l'autre. Le président du Forum francophone international s'étranglait : « C'est de la fausse ouverture, de l'autovassalisation, de la participation à l'américanisation de la France », tandis qu'un lecteur lyonnais parlait de « dérive technocratico-atlantico-marchande »...

Sept années ont passé, le pli a été pris, le supplément New York Times est peu à peu entré dans le paysage éditorial. Au fil des années, il s'est banalisé, normalisé, il a mué ; la sélection, originellement négociée chaque semaine entre les deux rédactions, a été reprise en main par les Américains, qui livrent désormais un produit « clés en main » ; la pagination a été réduite de 12 à 8 pages hebdomadaires.

Bref, l'innovation est devenue une habitude. Non sans susciter, de loin en loin, des aigreurs persistantes. « Je me pose depuis le départ la question de l'intérêt de votre supplément du samedi The New York Times-Le Monde. Franchement, on pourrait faire là une économie de papier et d'encre... Pour ce qui me concerne, il va directement à la corbeille avec un soupir d'irritation », écrivait encore Bernard Laplagne (Guebwiller, Haut-Rhin), le 14 mars. « Je n'ai rien contre votre sélection hebdomadaire, faisait également observer Frédéric Bourquin (Nîmes), le 28 mars, mais à quand une sélection Die Welt, La Stampa ou El Pais ? L'information en provenance des États-Unis est-elle seule digne d'intérêt ? »

Paradoxe : il a fallu que, dans le numéro du 7 novembre, un encadré annonce la fin de ce supplément pour qu'aussitôt le tollé reprenne, mais dans l'autre sens. Oubliées les critiques, les remarques acides, la défense de la francophonie en péril ! Lettres et courriels déplorent unanimement la disparition de ces pages en version originale.

« La sélection hebdomadaire procurait, avec un utile exercice d'anglais, une vue très différente et très instructive du monde (sans jeu de mots) », regrette Danièle Bernard (Chatou, Yvelines). « C'était un moment spécial, le samedi, de pouvoir lire des extraits de ce quotidien américain de qualité », ajoute Monique Blanc (Paris). Étudiante en hypokhâgne, Julie Quatrehomme (Saint-Chamand, Loire) s'avoue consternée : « Je ne comprends pas cette décision et j'en suis fort atteinte : l'extrait du NYT était plus facile à lire qu'un journal anglo-saxon en entier ! Par quoi cela va-t-il être remplacé ? J'espère que la rédaction du Monde se montrera à la hauteur de mes espérances - et des exigences de la prépa ! »

La contradiction n'est qu'apparente : le malheur des uns fait le bonheur des autres, mais ce sont surtout les premiers qui écrivent. Quand même, leur nombre surprend. Il est vrai que Le Monde, fidèle à sa discrétion coutumière, s'est contenté de signaler cet arrêt, sans plus d'explication.

Un peu court pour nombre de lecteurs qui se sont sentis offensés. « Je suis consterné et furieux de l'arrêt de cette publication, souligne Raymond Macouin (Nantes). Consterné, car il s'agissait d'un éclairage particulièrement riche dans de nombreux domaines. Furieux, car j'aimerais bien en connaître la raison. S'agit-il de la disparition de cette sélection ou de la rupture de la collaboration avec Le Monde ? » «aLe lecteur régulier de cette sélection souhaiterait en savoir un peu plus, ajoute, entre autres, Alain Fargues (Paris). Cet arrêt est-il à l'initiative du Monde ou du New York Times ? Les raisons sont-elles financières ? L'arrêt provient-il d'une enquête qui a montré le manque d'intérêt des lecteurs ? etc. »

L'explication est simple, même si elle n'est pas de celles qu'on claironne volontiers. Elle tient en un mot : la crise. La crise qui touche la presse écrite des deux côtés de l'Atlantique, la crise qui a laminé les recettes publicitaires et ainsi compromis l'équilibre économique déjà précaire de ce supplément. Le pari, au départ, visait non seulement à élargir le lectorat mais aussi à conquérir un marché publicitaire européen, sachant que la sélection était publiée par d'autres journaux comme El Pais (Espagne), la Repubblica (Italie), etc. Il a fait long feu. Les recettes de la publicité ne couvraient pas, tant s'en faut, les coûts de fabrication (papier, impression).

Longtemps, Le Monde et le New York Times ont partagé les frais. La crise qui a fragilisé le premier dès 2007, avant de toucher le second, cette année, n'a pas permis de trouver un accord pérenne. La sélection continuera peut-être, mais ailleurs. So long...

« L'offre du New York Times était une vraie innovation en 2002. Ce fut une belle aventure éditoriale pendant sept ans, mais nous devons tenir compte de l'équation économique, explique Eric Fottorino, directeur du Monde. Or elle n'était pas satisfaisante : le supplément de lecteurs qu'était censée nous apporter cette édition était loin de couvrir les coûts. Nous réfléchissons à une nouvelle offre éditoriale pour le week-end qui proposera, elle aussi, une ouverture sur le monde, plus complète et plus diversifiée. »

Nécessité fait loi. En ces mois difficiles, un journal sans appui industriel ou politique puissant se doit d'équilibrer ses comptes. Tel est le prix de l'indépendance.

 

Véronique Maurus

Courriel : mediateur@lemonde.fr.

 

 

 

Source : lemonde.fr, le 20 novembre 2009

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/20/so-long-par-veronique-maurus_1269879_3232.html

 

 

 

Envoyez un courriel de remerciement pour cet abandon :

mediateur@lemonde.fr,

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fottorino@lemonde.fr,

greilsamer@lemonde.fr

 

 

 Réaction de M. De Poli

 

 

Objet : Enfin le supplément en anglais disparaît !
 

 

Madame,

 

Je me permets de vous écrire, car c'est véritablement avec grand plaisir que j'ai appris la disparition prochaine du supplément en anglais :
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/20/so-long-par-veronique-maurus_1269879_3232.html

Cela dit, je n'ai pas été surpris, car il était évident dès le départ que ce supplément en langue étrangère était une ânerie économique et qu'il ne serait, bien sûr, jamais rentable. Les gens achètent Le Monde pour lire en français et non dans une langue étrangère.

Vous êtes-vous déjà  demandé combien de dizaines de milliers de suppléments en anglais finissent à  la poubelle sans avoir été lus ?

Vous rendez-vous compte du gaspillage énorme de papier que cela représente ? Il est bien sûr évident que seule une très faible minorité de lecteurs lisait ce supplément et l'arrêt de ce dernier est donc une très bonne nouvelle, tant pour le journal que pour la francophonie en général.

Cela dit, je suis abasourdi par le fait qu'un projet aussi stupide de supplément en langue étrangère ait pu avoir les faveurs de la direction du journal. Quasiment aucun journal au monde ne fait cela, et surtout pas les journaux anglo-saxons (le New York Times a toujours refusé de publier un supplément en français).

Pour conclure, le bon sens a finalement triomphé et je m'en réjouis. Mais il a quand même fallu attendre sept ans pour voir disparaître ce supplément inutile et le gaspillage éhonté de papier qu'il représentait.

Bien à  vous

 

Daniel DE POLI

(67) ILLKIRCH

 

 

 

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