Les vertus du pinaillage.

« Gesse paire queue vous lierez mas laie te re j'eusse qu'aux boues est que je n'est pat fée trot deux faux te dent ses presse queue Troyes pas Je ».

Relisez bien, vous y arriverez ... Ce florilège de bévues langagières, c'est G.P., un ex-enseignant habitant Pézenas, qui m'en gratifie, en conclusion d'une longue lettre consacrée à la « maltraitance de la langue » dont se rendraient coupables, selon lui, les... enseignants, les politiques, les publicitaires et les journalistes.

Florilège soigneusement absurde et amoureusement cultivé, précise-t-il, sous le contrôle serré du correcteur orthographique de son ordinateur. Qui n'a rien vu là que de très acceptable.

Allez savoir pourquoi, plusieurs autres lecteurs m'ont interpellé récemment sur ce thème très récurrent : nos articles seraient truffés de fautes, travers attestant à la fois de nos lacunes et de notre incapacité à assumer correctement notre rôle de vecteurs culturels. Pas tout-à­fait faux.

Accords sujet­verbe ou nom-adjectif calamiteux, oublis de mots, élisions fantaisistes, contresens infatués, l'examen à la loupe de l'édition de Midi Libre du 3 mars a permis à . G.P. d'amasser un joli butin qui lui « donne des boutons », quitte à passer, comme il l'écrit au début de sa lettre, « pour un vieux con ».

Des exemples ? « Hormis son essai, X a fait une rentrée positive », lit-on dans un « papier » de sport. Négatif, donc, l'essai en question ?

« Ce n'est pas la peine de s'être moqué de Virenque dopé  à l'insu de son plein gré pour infliger parfois autant de blessures à la francophonie » assène G.P. qui nous voit en fréquents « donneurs de leçons », même si nous appartenons à une profession qu'il « estime beaucoup ».
 « Après tout, un journaliste exerce un métier de plume, insiste R.L., un autre lecteur, gardois en l'occurrence, et il est normal qu'il maîtrise son matériau, la langue française ! »

 Il s'irrite, quant à lui, d'une manifeste double faute d'accord relevée dans l'entretien avec un directeur  de troupe de théâtre, rubrique Midi Plus, édition du mardi 13 mars : « C'est une jeune femme qui s'est faite remarquée » écrivions-nous en citant le directeur en question. Double énormité, selon R.L., qui nous renvoie à nos lointaines études : « Il suffit pourtant de se rappeler que « faire » est invariable devant un infinitif », énonce-t-il, sévère. Car c'était bien « remarquer », infinitif, qu'il aurait fallu employer, plutôt que l'incongru participe passé « remarquée ».

Pour la bonne bouché, une autre perle, relevée par G.P., dans le courrier des lecteurs du 10 mars, à côté de la chronique que j'avais titrée « Le mot juste » (!) : un habitué de la rubrique s'y inquiétait des « problèmes qui assaillissent la France » (« assaillent » est plus présentable). « Ce qui, je suppose, est très grave pour ceux qui veulent la défendrisser », remarque, . perfide, notre Piscénois ... Pinaillage ? À n'en pas douter, certains journalistes et quelques lecteurs peuvent pencher pour cette interprétation. Pas sûr qu'elle soit la bonne.

Que le français, langue difficile, puisse et doive être bousculé, c'est dans la logique de l'Histoire. Que craque son vernis élitiste, c'est explicable. Qu'il soit constamment travaillé par des tendances antagonistes, yin et yang, folie et raison, approximation et rigueur, c'est inscrit dans son essence humaine.

Mais si les négligences des médias devaient se multiplier, c'est à un risque d'effondrement qu'on exposerait cet irremplaçable ciment social.  

 

Olivier Clerc

 

Source : Midi Libre, journal du samedi 31 mars 2007

 

 

 

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