Un collectif contre la colonisation de la langue "corporate"

« Dans mon bureau openspace, mon manager m'a demandé de préparer as soon as possible un reporting en one-to-one, avec une shortlist sur un benchmarking de produits. Ouf, demain, je suis en day-off. »

Vous n'avez pas tout compris ? Muriel Tardito doit faire un effort, car c'est son quotidien de salariée d'Europ Assistance. De l'anglais distillé dans les relations de travail en France et dans une entreprise française. Membre du collectif pour le droit de travailler en français, cette syndiquée à la CFTC n'est pas la seule, jeudi 8 février, dans une salle de l'Assemblée nationale, à dénoncer cette colonisation linguistique dans les grandes entreprises.

« La messagerie sur Intranet, l'assistance technique, même les réunions avec le personnel sont souvent en anglais. On nous répond que c'est la langue "corporate", mais certains responsables ne connaissent même pas la signification des termes qu'ils emploient », ironise Martine Lamonnier de la CGT, employée chez Alcatel-Lucent.

Derrière les mots, des maux. « De plus en plus de salariés se disent mal à l'aise avec cet anglais, mais cela ne doit pas être une tare ! », s'insurge Jean-Loup Cuisinez (CFTC), fondateur en juillet 2006 de ce collectif composé de syndicats et d'associations et invité à s'exprimer au Palais-Bourbon par le député Jacques Myard (UMP, Yvelines). Certes, les formations d'anglais existent, mais « c'est souvent au bon vouloir du patron ». Le collectif craint des discriminations pour les évolutions de carrière. « Un plan social est prévu chez Alcatel, cela sera peut-être un critère de licenciement », estime Mme Lamonnier.

Pourtant, la loi Toubon datant de 1994 impose aux entreprises des obligations pour rédiger leurs documents en langue française. Certains ont choisi de saisir la justice pour faire enfin appliquer les textes. « En juin dernier, Europ Assistance a imposé à ses salariés un logiciel comptable et une base de données internationales commerciale en anglais, explique l'avocat Philippe Lapille. Nous avons assigné l'entreprise devant le tribunal de grande instance de Nanterre. Seul problème, en France, le code du travail impose des preuves exclusivement en langue française... »

Sébastien Hervieu

 

Source : Le Monde, édition du 10 février 2007

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3234,36-865605@51-865717,0.html

 


 

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