L’avenir de la France (et de sa culture) passe par... Kinshasa

Avec probablement neuf millions d’habitants a minima en 2011, Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo, est en passe de devenir la ville la plus peuplée du monde francophone, devant Paris. De ce fait, l’avenir de la France et de sa culture devrait se jouer dans cette ville.

Face à la mondialisation à dominante anglo-saxonne, reposant sur la diffusion massive de la langue anglaise et de la culture standardisée qu’elle véhicule, la culture française, apparaît menacée dans son existence même, étant donné l’affaiblissement démographique et économique de la France dans le monde, situation qui ne devrait pas évoluer favorablement dans les décennies futures.

Certains acteurs nationaux ne misent d’ailleurs pas beaucoup sur la pérennité de notre culture, comme en témoignent ces entreprises où la pratique de la langue française est interdite entre citoyens… de langue française. La défense de la francophonie et de l’exception culturelle française apparaît pour beaucoup comme un combat d’arrière-garde, condamné à l’échec. L’anglais semble s’imposer petit à petit partout, la publicité en étant un de ses principaux vecteurs, et les produits culturels "Made in America" ont plus de succès que les produits français, dans un contexte de plus en plus multiculturel.

La culture française est-elle donc définitivement condamnée à disparaître ? Contrairement à une opinion largement répandue, les jeux sont loin d’être faits et les évolutions démographiques actuelles de la planète ne sont pas spécifiquement défavorables aux pays de langue française (et donc indirectement de culture française), puisque figure un bon nombre de pays francophones d’Afrique subsaharienne parmi ceux affichant les plus forts taux de croissance démographique de la planète. Si la pratique de la langue française dans ces pays demeure limitée, il est évident que le développement de l’urbanisation et de l’alphabétisation en fera à long terme la langue majoritaire dans la plupart d’entre eux.

Parmi ces pays, le plus peuplé de tous est la République Démocratique du Congo (RDC), qui compte 67,8 millions d’habitants en 2010 selon le "Population Reference Bureau", soit plus que le France, et dont la capitale Kinshasa, est devenue la deuxième ville la plus peuplée du monde francophone, avec une population estimée à plus de 9 millions d’habitants en 2011, ayant largement dépassé Montréal (3,5 millions d’habitants), et se classant autour de la trentième place au niveau mondial. Figurant parmi les grandes métropoles mondiales à la plus forte croissance démographique, Kinshasa devrait devenir assez rapidement (d’ici 2015) la première agglomération du monde francophone, devant Paris.

En effet, le décalage de progression de la population entre la France et la République Démocratique du Congo est considérable. On peut donc en déduire que cette ville constitue aujourd’hui la tête du nouveau monde francophone émergent, avec une jeunesse pléthorique. C’est donc logiquement là que devrait se jouer l’avenir de la culture et de l’économie française. Si Kinshasa émerge comme la seconde mégapole francophone de rayonnement international, la culture française pourrait reprendre de sa splendeur.

Cependant, cette évolution est-elle vraisemblable ? Dans le contexte actuel, il est légitime d’en douter. En effet, du côté français, les dirigeants ne font rien pour, se désintéressant totalement de Kinshasa et de la RDC, car c’est une ancienne colonie belge. Les relations avec ce pays constituent un domaine très marginal de la politique étrangère de la France, qui ne mène pas de politiques sérieuses visant à améliorer sa situation économique, et les coopérations demeurent bien limitées.

Du côté congolais, Kinshasa est une ville très pauvre à la population sous-éduquée, capitale d’un pays meurtri par les nombreux conflits. Tout est à construire. La « débrouille » règne. Les infrastructures sont limitées, l’urbanisation anarchique. L’habitat de type « bidonville » est la norme. Au niveau de la langue, si près de 90 % de la population résidente est en mesure de s’exprimer plus ou moins bien en français, la langue parlée à la maison demeure le lingala dans les classes populaires, c’est-à-dire la majorité de la population.

Ce constat effectué, que faire donc pour que Kinshasa devienne la capitale du monde francophone, c'est-à-dire une métropole moderne, véritable vitrine du savoir-faire des africains francophones, avec un niveau de vie croissant, la disponibilité de services rares, une production culturelle de renommée internationale, des universités réputées… ? L’objectif sur le long terme serait de faire de Kinshasa un relais de Paris, fier de son héritage culturel français, tout en apportant l’innovation de sa jeunesse africaine, avec un rayonnement s’exerçant sur l’ensemble de l’Afrique francophone, grâce à sa situation de capitale d’un pays richissime en ressources énergétiques.

Pour que ce scénario devienne réalité, il faut d’abord que la France considère Kinshasa comme un enjeu majeur de sa politique étrangère. La France doit être capable (dans les faits et pas seulement dans les discours) de dépasser les relations verticales avec la RDC, typiques de ses rapports avec ses anciennes colonies, au profit de relations horizontales, d’égal à égal, les seules permettant de renforcer sur le long terme la culture française. Pour que les congolais souhaitent conserver la culture française et commercer de manière privilégiée avec la France, il faut qu’ils en aient une bonne image !

Donc, la politique de « prédation » des matières premières doit être remplacée par une politique de véritable développement économique et d’éducation, qui bénéficiera beaucoup plus à la France et à ses entreprises sur le moyen terme, même si elle apparaît moins rentable sur le court terme (qui, soit dit en passant, ne rapporte de l’argent qu’à une petite minorité d’hommes d’affaires peu scrupuleux). Sinon, les intérêts français seront balayés comme ailleurs par le modèle uniformisateur anglo-saxon, voire la Chine.

Concrètement, en France, il s’agit de faire comprendre au citoyen français, dont la grande majorité ne sait pas où se situe cette ville, voire ignore même jusqu’à son existence, que c’est la deuxième ville du monde francophone (chose qui devrait être apprise dans toutes les écoles, faire l’objet de reportages dans les journaux télévisés…) et que l’avenir de notre pays s’y joue. Dans l’optique d’un premier pas, la mairie de Paris pourrait prendre l’initiative d’un jumelage avec Kinshasa, ce qui constituerait un premier pas symbolique. De même, il faudrait envisager la création d’un service chargé uniquement de la RDC au sein du Ministère des Affaires étrangères.

À Kinshasa, il s’agit d’orienter les actions autour de trois principales thématiques majeures : l’urbanisme, la culture et l’économie. Sur le plan urbanistique, le premier défi concerne les infrastructures, qui sont sous-dimensionnées. La ville a besoin de routes, d’autoroutes, d’égouts, de réseaux d’approvisionnement en eau, en électricité… La France doit s’engager à réaliser les grands projets nécessaires, mais aussi les projets de moindre ampleur permettant d’améliorer la situation des quartiers pauvres. Le second défi, concerne la création d’un centre-ville « vitrine ». Il est nécessaire d’ouvrir la ville sur le fleuve Congo, de mettre en valeur le patrimoine, et que les kinois se réapproprient la ville coloniale. Sur le plan culturel, il faudrait renforcer la présence culturelle française à Kinshasa, à travers des expositions, des prêts aux musées, des voyages scolaires, des incitations aux intellectuels français à s’y rendre.

Par exemple, pourquoi ne pas envisager la construction d’un musée mondial de la francophonie, dont la localisation à Kinshasa serait la plus judicieuse, ou une petite annexe du musée du Louvre (plus justifiée qu’à Abu Dhabi !) ? Il s’agit aussi de faire émerger une scène culturelle congolaise. Enfin, sur le plan économique, la France doit favoriser les investissements de ses entreprises à Kinshasa. Du fait de la présence d’une main d’œuvre nombreuse et à bas coût, le climat est propice à l’implantation d’usines textiles, ce qui pourrait constituer une première phase de développement, aboutissant ensuite à une diversification du tissu économique, comme ce fut le cas dans les pays d’Asie orientale. La création d’usines permettant de transformer sur place les matières premières venant de l’est du pays est une autre piste à étudier. Cela passe, bien évidemment, par la formation d’une police locale assurant une sécurité satisfaisante.

En définitive, c’est donc un véritable défi que la France doit relever, dont le jeu en vaut la chandelle, car c’est seulement par l’Afrique francophone, que notre pays peut encore espérer voir sa culture prospérer dans le futur, et se régénérer. Kinshasa ne pourra devenir la véritable seconde mégapole du monde francophone, que si la France en a la volonté.

Laurent Chalard

(courriel : Globelaurent(chez)aol.com)

 

 

 

Source : lecercle.lesechos.fr, le 3 décembre 2011

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