"Entirely taught in English"
(« entièrement enseigné en anglais ») :
les cursus de ce type se multiplient dans
les écoles et universités françaises même
si ces dernières réclament toujours plus
de facilités pour en ouvrir. Le sujet sera
abordé ce jeudi lors d'un colloque de la
Conférence des grandes écoles axé sur
l'internationalisation de l'enseignement
supérieur.
Depuis six mois, Pierre Tapie, le
directeur général de
l'Essec, réclame un aménagement de la
loi Toubon. Cette dernière laisse peu de
marges de manœuvre, juge aussi Jean-Pierre
Gesson, membre de la Conférence des
présidents d'université. La langue de
l'enseignement ainsi que des thèses est le
français, selon la loi, sauf exceptions :
les établissements dispensant un
enseignement « à caractère international »
ne sont pas soumis à cette obligation,
ainsi que celles accueillant un minimum
d'étudiants ou professeurs étrangers.
Environ 30% des cursus en écoles
d'ingénieurs sont aujourd'hui en anglais,
80 % dans les écoles de commerce. Une
proportion comparable à l'université dans
les masters en sciences « dures », en
économie ou sciences de l'ingénieur.
Selon une enquête de l'Ined menée en 2008
auprès de 2 000 directeurs de laboratoire
de recherche, la suprématie de l'anglais
est écrasante en sciences exactes, plus
nuancée dans les lettres et sciences
humaines. Pourtant des écoles se font
régulièrement retoquer par la commission
d'évaluation d'accréditation nationale des
diplômes: «Dès qu'un intitulé est en
anglais, ça ne passe pas. Alors que sur la
scène internationale, tout le monde
comprend. Nous sommes en permanence
obligés de bricoler pour satisfaire aux
exigences de la loi», raconte Pierre
Tapie. La question de l'apprentissage en
anglais a commencé à se poser il y a
quinze ans et s'est accélérée il y a sept
ou huit ans.
« Un sujet délicat »
Signe des temps, au Québec, traditionnel
bastion de défense de la langue française,
les diplômes des universités francophones
basculent aussi en partie vers l'anglais.
«C'est un sujet délicat , reconnaît Pierre
Tapie, mais si nous ne nous mettons pas
plus à l'anglais, nous allons perdre 95%
des meilleurs étrangers. Ce n'est pas la
peine d'attendre alors que les étudiants
indiens et chinois se multiplient et sont
demandeurs. » Même son de cloche d'Yves
Poilane, directeur de l'école d'ingénieurs
Telecom-Paris-Tech: «Mieux vaut attirer
des étudiants avec l'anglais et leur
donner quelques cours en français par
ailleurs », juge-t-il. Reste que ses
enseignants, s'ils parlent anglais ne se
sentent pas tous capables d'enseigner dans
cette langue. « Certains ont peur
d'appauvrir leur discours », reconnaît-il.
Alors que l'un des masters de cette école
devait basculer en anglais, une
demi-douzaine d'enseignants ont été
envoyés à Bath, en Angleterre, l'été
dernier, pour un séjour en «immersion».
Parallèlement, un enseignant de français
langue étrangère (FLE) a été engagé par
l'école pour transmettre un bagage minimal
aux étrangers.
À l'université Toulouse-I, la messe est
dite. «La moitié de nos enseignants ne
parlent pas français, du coup nos cursus
en économie et en droit se passent en
anglais», explique Bruno Sire, le
président de cette université qui
accueille des doctorants de Harvard.
«C'est gentil, la loi Toubon mais la
langue de la science, c'est l'anglais. Au
XVIIIe siècle, notre langue permettait
d'attirer les meilleurs cerveaux. Nous
avons perdu cet avantage », dit-il.
Certains, pourtant, résistent: quatre
mille chercheurs français ont signé l'an
dernier une pétition pour défendre l'usage
du français dans les publications de
recherche. Cet été, les participants aux
dixièmes entretiens de la francophonie, à
Lyon, se sont aussi émus de cette
«promotion du tout anglais » qui paraît
inexorable.
Des travaux de recherche à l'entrée des
grandes écoles
Comme réponse au manque de diversité
sociale dans les grandes écoles, débat
polémique du début de l'année, Pierre
Tapie, le directeur de l'Essec, prône une
nouvelle épreuve aux concours des grandes
écoles littéraires et économiques, les
«travaux d'initiative personnelle et
encadrée» (Tipe). Les Tipe sont une
épreuve récente des concours d'entrée aux
écoles scientifiques qui visent à faire
découvrir les problèmes posés par la
recherche documentaire. Cette recherche
doit être exposée à l'oral. Selon Pierre
Tapie, Valérie Pécresse a la volonté de
faire évoluer certaines épreuves jugées
trop discriminantes socialement: «Les Tipe
permettent déjà de tester une forme de
travail plus collective. Il serait
intéressant d'étendre ces épreuves aux
concours littéraires et économiques ».
Quant aux boursiers, s'ils réussissent
moins bien que les non-boursiers aux
concours, c'est parce que les inégalités
se sont creusées « dès le secondaire »,
affirme-t-il, s'appuyant sur une enquête
menée par la CGE.