Enseigner en anglais à
l’université : une politique contre-productive socialement et
raciste
LE CERCLE. Enseigner en
anglais à l'université est présenté comme une adaptation nécessaire
à la mondialisation. Dans les faits, c'est une politique inefficace
sur le plan social, créant une éducation à deux vitesses, et raciste
sur le plan culturel, puisqu'elle repose sur le présupposé que la
francophonie, langue de la communication en Afrique, n'a pas
d'avenir.
Geneviève Fioraso défendant son projet scélérat au
Parlement
(Maxppp)
Depuis quelques semaines, l’élément phare du projet de loi sur
l’enseignement supérieur et la recherche du gouvernement de
Jean-Marc Ayrault, l’enseignement en anglais à l’université, fait
l’objet de nombreux débats, aussi bien chez les principaux
intéressés, les universitaires, que dans le reste de la société, la
langue étant un élément indissociable de l’identité nationale
française.
Le camp du refus est présenté par les défenseurs du projet comme le
parti de la réaction, du repli sur soi, du manque d’ouverture,
symbole du mal hexagonal. Il témoignerait, une fois de plus, de
l’incapacité de nos compatriotes de s’adapter au monde moderne et de
profiter de la mondialisation. Cependant, il est légitime
d’interroger cette représentation aux étranges airs de « déjà vu »
(pensons au référendum sur la constitution européenne de 2005), avec
une microélite mondialisée (américanisée ?) imposant ses vues au
reste de la nation, invitée à suivre la direction qu’on lui indique.
En effet, le développement de l’enseignement en anglais à
l’université, outre les arguments traditionnels déjà avancés par ses
opposants, apparaît fortement critiquable pour une raison sociale.
Plusieurs études ont montré que les jeunes issus des catégories
sociales défavorisées ont énormément de mal à apprendre l’anglais,
ayant déjà des difficultés à manier leur langue maternelle, pour
différentes raisons : ils effectuent peu de voyages à l’étranger, ne
côtoient pas d’anglophones dans leur vie quotidienne, ont un
désintérêt total pour la question, voire ressentent l’impression
d’un déni de leur identité…
En conséquence, le projet du gouvernement risque d’instaurer un
système universitaire à deux vitesses, avec d’un côté les enfants
des milieux sociaux favorisés capables de suivre les cours en
anglais, et de l’autre, les étudiants moins argentés qui suivront
des cours uniquement en français. La première voie mènera aux
emplois les plus qualifiés, la seconde s’apparentant à une voie de
garage. On voit bien se dessiner le même écueil que pour les options
dans l’enseignement secondaire, qui permettent aux catégories
favorisées d’éviter d’envoyer leurs enfants dans les mêmes classes
que les plus pauvres.
Seconde critique importante, la volonté d’enseigner en anglais
repose aussi sur un fondement profondément raciste, caractéristique
de l’élite française. Toutes les projections démographiques montrent
que le nombre de francophones sur la planète va progresser
considérablement dans les décennies à venir, du fait de la très
forte croissance démographique des anciennes colonies africaines. Si
les projections chiffrées varient en fonction du pourcentage de
personnes dans les pays concernés qui arriveront à avoir une
capacité suffisamment importante à parler un français
compréhensible, cette évolution ne fait l’ombre d’un doute.
En 2050, plusieurs centaines de millions de personnes (300, 500, 700
?) dans le monde s’exprimeront dans la langue de Molière ! Pourtant,
les dirigeants français ne semblent pas prendre conscience de
l’ampleur du phénomène du fait d’un présupposé raciste : ils
considèrent que les populations africaines resteront éternellement
sous-développées et que l’avenir de la langue française ne peut
venir de ces pays jugés « barbares » et inaptes à la mondialisation.
Ce positionnement idéologique constitue une erreur majeure à
l’origine de cette inflation vers l’enseignement de la langue
anglaise, qui apparaît pour ses promoteurs plus « noble » et aurait
le mérite de permettre de dialoguer avec les autres pays « civilisés
».
Cette situation est plus que regrettable et nous appelons de nos
vœux une mobilisation de la francophonie, mais aussi des Français
d’origine africaine résidents dans notre pays, qui seront les
premières victimes de cette décision élitiste, pour que
l’enseignement en anglais dans nos universités s’effectue uniquement
de manière dérogatoire. L’avenir de la France et de sa langue se
joue désormais en Afrique et avec les Africains. Si cela ne plaît
pas à certains membres de l’élite autoproclamée de notre pays, rien
ne les empêche de faire leurs valises pour pouvoir s’exprimer en
toute liberté dans la langue de Shakespeare. Une langue se défend !
Laurent Chalard
Source : lecercle.lesechos.fr, le 26 mai 2013
Possibilité de réagie sur :
http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/societe/education/221173153/enseigner-anglais-a-universite-politique-contre-product