McGill français, il y a 40 ans -

L'impossible union de causes qui s'opposent

 

10 000 personnes ont marché sur l'université anglophone, des nationalistes et des socialistes.

Les années 1960 ont été riches en événements qui ont acquis avec le temps un statut presque mythique. La marmite sociale et nationaliste bout, alors qu'une génération fort nombreuse émerge à l'âge adulte. Avec les grèves étudiantes de 1968 et la grande mobilisation pour la fréquentation obligatoire des écoles françaises à l'automne 1969 (Bill 63), la manifestation opération McGill, rebaptisée depuis McGill français, est gravée dans l'esprit collectif.

Le 28 mars 1969, quelque 10 000 jeunes marchent vers l'ouest sur la rue Sherbrooke, à l'assaut du « monstre sacré » de l'élite anglo-saxonne qu'est l'Université McGill. Il y a de ces événements qui marquent tant l'imaginaire que 40 ans plus tard, on a l'impression que toute une génération y était.

« Rendu devant McGill, je me suis dit que jamais je n'avais participé à une manifestation aussi grosse, si tendue, électrisée. La tension venait de la peur, on redoutait des affrontements violents. On voyait des centaines de policiers en rangs serrés devant McGill. Très peu de gens voulaient de la casse, mais nous avions tous les poches pleines de mouchoirs pour se protéger au cas où les policiers lâcheraient des gaz lacrymogènes», se rappelle Mark Wilson, qui était à l'époque étudiant à McGill et rédacteur en chef du McGill Daily.

Son journal avait appuyé la manifestation. Une partie de la gauche de McGill voulait s'allier avec les classes populaires, ouvrières et donc francophones, explique M. Wilson.

L'opération McGill, qui sera rebaptisée par après McGill français, en référence à un des slogans, avait été préparée pendant environ trois mois par une large coalition regroupant à la fois des groupes d'étudiants, des organisations nationalistes (dont le Mouvement pour l'intégration scolaire de Saint-Léonard) et des groupes du mouvement ouvrier. Le Conseil central de Montréal, et plus spécifiquement son président Michel Chartrand, avait appuyé l'événement, faisant imprimer 100 000 exemplaires d'un journal intitulé Bienvenue à McGill.

Les efforts avaient porté fruit. « Nous jubilions. Nous avions peur d'être réduits à quelques centaines pendant les trois mois de mobilisation et finalement nous étions des milliers », raconte Mark Wilson, qui croyait auparavant que l'aura de violence entourant l'événement en aurait découragé plusieurs.

Une convergence

Le succès de cette manifestation réside dans son ambiguïté, croit pour sa part Carman Miller, professeur d'histoire d'origine néo-écossaise qui venait tout juste d'échoir à McGill en 1969. « Le génie dans cette manifestation, c'est d'être arrivé à jumeler des objectifs irréconciliables, soit le nationalisme et le socialisme », note M. Miller, qui était invité cette semaine, comme M. Wilson, par le comité des affaires francophones de l'association étudiante de McGill à partager ses souvenirs dans le cadre d'un modeste 5 à 7.

Le professeur de sociologie Jean-Philippe Warren, titulaire de la chaire de recherche sur le Québec à l'Université Concordia, abonde dans le même sens, lui qui a fait paraître l'an dernier l'ouvrage Une douce anarchie: les années 68 au Québec. Pour M. Warren, trois vecteurs idéologiques se sont croisés pour faire de la mobilisation un succès.

Le mouvement nationaliste estime qu'il est temps de décoloniser le Québec. « McGill est un bastion anglo-saxon dont il faut s'emparer pour faire progresser le Québec vers son indépendance », résume le professeur de sociologie. La mouvance socialiste, ouvrière, en a contre l'institution « élitiste et bourgeoise, qui est une chasse gardée des fils de notaires et de médecins ».

À l'axe gauche nationaliste s'ajoute un troisième vecteur de mobilisation: la jeunesse. Au cours des mois précédant la manifestation, lors du congrès de la faculté de l'éducation de l'Université Laval, on laisse entendre qu'en raison de la présence d'une seule université francophone à Montréal, il faudra refuser jusqu'à 40 % des jeunes issus de la première cohorte des cégeps lorsqu'ils cogneront aux portes de l'université. « Ils sont nombreux, inquiets de leur avenir, à se sentir condamnés à devenir des chômeurs instruits », poursuit le sociologue.

« Les nationalistes sont là parce que McGill est anglophone, les ouvriers parce qu'elle est élitiste et les jeunes parce qu'ils ont peur de ne pas avoir de place à l'université. Tout cela va se mélanger en une mayonnaise extraordinaire», résume M. Warren.

Par la suite, on tentera plusieurs fois de rééditer l'exploit de l'opération McGill, sans grand succès. Ainsi, seulement une vingtaine de personnes avaient répondu à l'appel l'année suivante pour l'opération Bishop, dans la région de Sherbrooke.

Perçue comme le début d'une révolution, l'opération McGill sera finalement un succès isolé, les tentatives de la rééditer ayant échoué, poursuit M. Warren.

L'Université du Québec à Montréal ouvre ses portes l'année suivante, le mouvement nationaliste canalise de plus en plus ses énergies dans le Parti québécois et les ouvriers chemineront vers le Front commun de 1972 ou se regrouperont dans les groupes marxistes-léninistes, trotskystes et autres maoïstes qui foisonneront.

Depuis, plus de 60 000 personnes ont manifesté à la fin des années 1980 contre l'affaiblissement de la loi 101. Plus récemment, quelque 200 000 Québécois ont manifesté contre la guerre en Irak en plein hiver 2003. S'en souviendra-t-on ?

 

Clairandrée Cauchy

 

 

Source : ledevoir.com, le 28 mars 2009

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