Intéressant, comme cet article présente la situation linguistique en Allemagne en regardant le verre à moitié plein (Deutsche Bahn, Guido Westerwelle, AG de Siemens, c'est bien ...), alors que si on considère le 2ème paragraphe, la situation n'est pas flamboyante, avec l'acceptation de l'anglais comme langue juridique !

Sans parler du buzz autour du commissaire Oettinger, qui n'a aucune raison d'être raillé.

AK


 

Activisme linguistique en Allemagne

Longtemps résignés à voir l'influence de leur langue décliner en Europe et le « denglish » envahir les campagnes de publicité dans leur pays, les Allemands font preuve, ces derniers temps, d'un nouvel activisme linguistique. Un journal bavarois invite ses lecteurs à trouver « 1000 raisons d'aimer la langue allemande ». Lors de l'assemblée du géant Siemens, un actionnaire s'est fait applaudir en priant la direction de germaniser sa communication financière. La Deutsche Bahn a, quant à elle, cédé aux critiques d'usagers et de députés conservateurs ulcérés, en promettant d'abandonner le sabir qui avait fini par coloniser ses prospectus, des « hot lines » aux « flyers » en passant par les « counters ». Berlin s'active en coulisse pour faire reconnaître l'allemand comme langue de travail au sein du futur service européen pour l'action extérieure, en cours de constitution pour soutenir le travail de la baronne Ashton. Guido Westerwelle, à peine nommé ministre fédéral des Affaires étrangères, refusait même de répondre en anglais à un journaliste de la BBC lors de sa première conférence de presse. Le chef de file des libéraux, qui maîtrise pourtant la langue de Shakespeare, s'est depuis justifié : « Le ministère ne dépense pas 300 millions d'euros par an pour soutenir la langue allemande dans le monde pour qu'au final j'y renonce moi-même en Allemagne ! »

Dans ce concert à l'unisson, la démarche des tribunaux de Cologne et Bonn, qui acceptent désormais l'anglais dans leurs prétoires, contraste. Une démarche expérimentale destinée à prévenir la fuite d'un courant de litiges transnationaux vers des juridictions anglo-saxonnes. Les Länder de Rhénanie-du-Nord et de Hambourg veulent aller plus loin et ont déposé une proposition de loi pour permettre l'usage de l'anglais dans la rédaction des arrêts et autres actes de procédure. Les juristes tiquent, c'est un euphémisme. Au moins, cela supposerait de toutes les parties concernées, y compris des tiers, une parfaite maîtrise de l'anglais. Or même le haut niveau peine en Allemagne à montrer l'exemple. Le nouveau commissaire européen, Günther Oettinger, filmé l'an dernier lors d'un symposium, s'est distingué par une prononciation pour le moins défaillante. La vidéo a fait un grand « buzz » sur Internet. Un allemand limpide est somme toute préférable à un « denglish » de cuisine.

 

NCFORT), LKARL DE MEYER (À BERLIN) ET JEAN-PHILIPPE LACOUR
(À FRANCFORT, Les Échos)

 

 

Source : lesechos.fr, le 23 février 2010

Possibilité de réagir à cet article sur le site Les Échos, après inscription sur leur site :

http://www.lesechos.fr/journal20100223/lec1_derniere/020380170178.htm

 

 

 

Réaction de M. Charles Durand :

Les deux grands vaincus de la guerre, l’Allemagne et le Japon, qui restèrent plusieurs années sous la juridiction de l’armée, virent leurs systèmes de communication et d’éducation entièrement refaçonnés par l’occupant et cela jusqu’en 1949 pour la RFA, jusqu’en 1950 pour l’Autriche et jusqu’en 1952 pour le Japon.

La transformation de ces nations ennemies en suiveurs dociles de la politique étrangère étasunienne, leur alignement systématique sur les intérêts étasuniens même encore aujourd’hui, non seulement dans le domaine militaire mais aussi dans le domaine monétaire (taux d’intérêt, modifications des masses monétaires, rachat massif de dollars ou de bons du trésor, financement de guerres extérieures, comme la première guerre du Golfe, par exemple), mise à l’écart ou marginalisation des pays concurrents des États-Unis, prouvent bien que les effets des actions entreprises ont été durables[1].

Le Japon garde toujours une attitude incroyablement servile à l'égard des desiderata étatsuniens[2]. C’est la raison pour laquelle les grandes compagnies de transport aérien japonaises ont presque toujours choisi Boeing au détriment d’Airbus, dont les avions utilisent pourtant des techniques plus pointues et entraînant des coûts d’exploitation moindres. C’est bien sûr aussi le cas avec les marchés de matériels militaires où les États-Unis se taillent la part du lion au sein de l’OTAN. Cependant, il est important de se rendre compte qu’il ne s’agit pas, en général, de pressions grossières appliquées en dernière minute pour infléchir les choix des clients, mais que ces derniers ont été véritablement conditionnés pour donner la préséance aux Étatsuniens qu’ils considèrent nécessairement à un niveau supérieur de civilisation et de progrès en matière scientifico-technique.

On trouve pourtant encore des journalistes qui font semblant d’ignorer totalement le bras de fer politique appliqué par les États-Unis, et qui, dans leurs articles, s’interrogent sur les raisons des échecs commerciaux du Rafale de Dassault à l’international, jusqu’au récent contrat conclu avec le Brésil !

Charles Durand
 

[1] Le refaçonnage prévu à l’origine pour le Japon était de bien plus grande ampleur dans ses objectifs. Il y eut par exemple une tentative de réforme du système d’écriture, sous égide étasunienne, qui échoua. L’envoi de milliers de missionnaires chrétiens pour convertir massivement la population échoua également. Aujourd’hui, la proportion de chrétiens au Japon, contrairement à celui de la Corée du sud, demeure toujours négligeable.

[2] Cette volonté de suivisme semble enfin commencer à se fissurer avec Yukio Hatoyama à propos des troupes étasuniennes stationnées à Okinawa, mais il s’agit là d’un phénomène très récent.


 

Réaction de M. P. :

J'ai travaillé en qualité d'interprète indépendant (libéral) de 1966 à 2000 pour la Commission à Bruxelles, ainsi que pour des associations patronales et des congrès. J'ai souvent eu affaire à ce qui est décrit là. Je travaillais en cabine française, à partir de l'allemand et de l'anglais et en cabine allemande à partir des deux autres langues. Il m'est souvent arrivé d'être amené à traduire vers l'allemand un délégué allemand parlant l'anglais avec un accent épouvantable. Mais c'est dans le privé, dans les grands congrès, que cette imbécilité était flagrante.

Or, à Bruxelles, nous avons essayé de combattre cette tendance. Nous avons créé, à l'initiative d'un directeur général français un petit groupe de lutte contre cette marginalisation du français. Mais nous ne pouvions être entendus que si les Allemands marchaient avec nous, ce qu'ils ont refusé de faire. Je représentais les interprètes libéraux dans ce groupe, il y avait un interprète fonctionnaire allemand. Et, normalement, un Anglais, car si l'anglais devenait la seule langue parlée, ils n'avaient plus qu'à changer de métier. Nous avons échoué.

Dans le privé, une importante Association professionnelle du secteur financier (le secret professionnel !) est passée de l'usage de trois langues (allemand, anglais, français) au tout anglais. Or, tous les pays membres de l'UE sont représentés dans cette association. Seuls, les Italiens, les Espagnols et les Portugais ont exigé le retour du français. Les Français ont (pardonnez moi) fermé leur gueule.

Je vous transmets là une petite image de ces atermoiements. Or, l'anglicisation linguistique est tout à fait contraire aux intérêts des peuples non anglophones. J'ai travaillé dans des symposiums où l'on ne pouvait parler qu'anglais, avec néanmoins une traduction vers le français et l'allemand (allez comprendre). Je n'oublierai jamais une femme ingénieur obligée d'exposer en anglais, que je retraduisais en français.

Je pourrais citer des quantités d'exemples, mais je suis tenu au secret professionnel. Je vous souhaite courage et persévérance.

 

LP
 

 

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Une nouvelle qui était déjà évoquée par les Echos, qui nous fait dire que l'activisme linguistique pro-allemand en Allemagne est bien limité, si dans le même temps il est question d'accepter l'anglais comme langue juridique dans 2 Länder !

Possible de réagir en ligne. Déjà 12 réactions à 18h20. Il faut réagir notamment aux commentaires très cons de Monsieur X ("la langue anglaise n'appartient plus aux Anglais") et de Bastacusi

AK

 

 

Défense de la langue française

En Allemagne, le tribunal passe à l'English

Marc Favre d’Échallens

 

L'anglais envahit notre univers tant culturel, diplomatique qu'économique au détriment de la langue de Molière. Mais l'Allemagne est aussi concernée. Dans deux Länder du pays de Goethe, les procédures judiciaires pourront se faire ... en anglais ! Une réforme folle dénoncée par Marc Favre d’Échallens, de Défense de la langue française.

 

Nous connaissons en France la déferlante linguistique anglo-américaine dans notre vie quotidienne avec les Carrefour Market ou Simply Market, et autres Happy Bonus, mais aussi avec le basculement à l’anglais de pacotille de Citroën qui vient d’adopter une communication largement en anglais.

Chez Citroën, les dénominations anglaises foisonnent comme « visiodrive » ou même « DS », sigle légendaire, qui signifie maintenant « Distinctive Series », sans parler de la documentation technique anglicisée. Même le domaine culturel est touché avec le nouveau magazine littéraire français, soutenu par Télérama, qui s’intitule « Books » !

N’oublions pas également les rodomontades du président Sarkozy de faire de la France une nation bilingue, comme son ministre de l’Éducation nationale l’avait annoncé dès 2007(1). En octobre 2009 le Président persévère et déclare, d’ailleurs, que des enseignements fondamentaux du second degré pourraient être dispensés en langues étrangères.
 

Il faut traduire les terminologies linguistiquement correctes de « bilingue » ou « langues étrangères » par «anglais», ainsi l’anglais est aussi devenu une langue de bois ! L’exclusion linguistique est aussi une désintégration sociale et entrepreuneuriale ; le plus anglophone n’est pas le plus performant. Même, Mme Parisot, présidente du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) pointe (2) l’abus d’anglais dans l’entreprise qui nuit à sa bonne marche.

 

De l'anglais dans les tribunaux allemands

Mais ce projet de destruction linguistique touche d’autres pays en Europe. En effet, la destruction programmée des langues d’Europe vient de franchir une étape supplémentaire, cette fois, en Allemagne.

Les ministres régionaux de la justice des Länder de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et d’Hambourg demandent une modification du code de procédure allemand pour que la langue anglaise puisse être utilisée dans les procédures judiciaires en Allemagne afin que les affaires économiques menées en anglais en Allemagne puissent, en cas de litige, continuées à l’être dans cette langue devant les juridictions commerciales et civiles.

À ce projet sont associés des avocats d’affaires et des juges. Les cabinets d’avocats d’affaires anglo-saxons déjà présents en Allemagne (comme en France) sont, bien évidemment, favorables à ce projet du tout en anglais.

 

La (fausse) nécessité économique.

L’anglais dans le droit, c’est la mise au rebut de notre droit romano-germanique largement commun à l’Europe continentale; c'est la porte grande ouverte, par le truchement de la common law, à la marchandisation totale de toutes les activités humaines ; de l’enseignement à la santé en passant par la culture. La raison invoquée, ici, comme en France est toujours la même : la (fausse) nécessité économique.

L’anglais étant décrété par nos zélateurs anglolâtres comme la langue du commerce internationale, tout le processus économique doit pouvoir, selon eux, se dérouler en anglais. Oser parler en Allemagne d’entrave linguistique pour le simple fait de devoir parler allemand dans les cours de justice est grotesque. Ils sont fous, ces Allemands, de vouloir parler allemand en Allemagne !

L’Allemagne est le pays qui a un excédent commercial colossal et qui vend ses produits au monde entier. Si l’Allemagne vend ses productions, c’est en considération de leur seule qualité, de leur seule renommée et de la vigueur du commerce allemand.

On voit ici que toutes les assertions sont bonnes pour imposer l’anglo-américain comme langue mondiale au seul bénéfice du monde anglo-saxon. Car utiliser l’anglais dans l’ensemble du processus économique constitue une avantage financier considérable à l’heure où la Grande-Bretagne, par exemple, a décidé de renoncer à rendre obligatoire l’apprentissage des langues étrangères.

Les peuples européens doivent s’unir contre cette colonisation linguistique, ce bilinguisme forcé et inégalitaire, qui s’accompagne toujours de reniements et d’un déclassement social et culturel.

Une langue qui ne sait plus exprimer le monde moderne, l'intelligence, la science, l'avant-garde, l'avenir en somme, est une langue qui disparaît.

N’en déplaise aux promoteurs du « tout-à-l’anglais », la langue n’est pas un vecteur neutre de communication mais l’expression de visions propres du monde.


« I will not speak French on the school grounds.
     I will not speak French on the school grounds.
     I will not speak French...
     I will not speak French...
     I will not speak French...
     Hé ! Ils sont pas bêtes, ces salauds.
     Après mille fois, ça commence à pénétrer
     Dans n'importe quel esprit.
     Ça fait mal ; ça fait honte.
(…)
     Faut pas qu'ils aient besoin d'écrire ça
     Parce qu'il faut pas qu'ils parlent français du tout.
     Ça laisse voir qu'on est rien que des Cadiens.
     Don't mind us, we're just poor coonasses,
     Basse classe, faut cacher ça.
     Faut dépasser ça.
     Faut parler en anglais
     Comme de bons Américains(3).
»

 


La diversité linguistique, c’est la véritable ouverture au monde et aux autres. C’est écouter l’âme d’un peuple que de lui permettre d’exprimer son destin dans sa langue.

Marc Favre d’Échallens est administrateur de Défense de la langue française et secrétaire de l’Académie de la Carpette anglaise.

 

(1) « Le président de la République m'a donné comme mission de faire de la France une nation bilingue. » (Xavier Darcos, 11/09/2007)
(2) « Or, il y a une chose, je ne sais pas si c’est dit, mais pour  moi un des points très importants, c’est la  langue. (...) Je préfèrerais par exemple  qu’on ait un débat sur la langue, l’utilisation de la langue française, y compris dans l’entreprise où l’abus de l’anglais est, à mon avis, à signaler et  à dénoncer. » (CANAL+, 02/12/2009)
(3) Extrait de « Je suis Cadien » de Jean Arceneaux, poète louisianais.

 

 

Source : marianne2.fr, le mardi 2 mars 2010

http://www.marianne2.fr/En-Allemagne,-le-tribunal-passe-a-l-english_a189611.html?com