D'ici un siècle, parlerons-nous tous la même langue ?

LE PLUS. Si on vous demande de citer quelques langues étrangères, lesquelles vous viendront à l'esprit ? Anglais, allemand, espagnol, russe, chinois ? Logique. Pourtant, il existe aujourd'hui 6000 langues à travers le monde. Et elles sont en train de disparaître. Contrairement aux apparences, ce n'est pas anodin.

Par Observatrice politique

Édité par Gaëlle-Marie Zimmermann, auteur parrainé par Yannick Comenge

idéogrammes / Laurent Jegou Flickr

 

À une époque où le multilinguisme est à la mode et où les jeunes sont poussés à parler 3, 4 ou 5 langues étrangères, il existe pourtant de nombreuses langues qui sont en danger d'extinction sur notre planète. Lorsqu'on vous dit « langues vivantes », vous pensez automatiquement à votre prof de Lycée qui tentait vainement de vous faire lire « l'Attrape-Cœur » de Salinger ?

Et s'il n'y avait pas que l'anglais, le français, le chinois, l'arabe, l'allemand ou le russe sur terre ? Connaissez vous l'assyro-chaldéen, langue parlée par quelques rares irréductibles, et qui coule dans mes veines ? Si ce n'est pas le cas, ça ne m'étonne pas, car au train où vont les choses, dans un siècle nous parlerons peut-être tous la même langue ! Et non, M. Chauvin, il semble très peu probable que ça soit le français !

 

Saviez-vous seulement que les spécialistes estiment qu’une langue ne peut survivre que si 100 000 personnes au minimum la pratiquent régulièrement ?

Pourtant, 50% des 6000 langues qui existent aujourd’hui dans le monde sont parlées par moins de 10 000 personnes, et un quart d’entre elles sont l’outil de communication de moins de 1 000 personnes selon le linguiste Michael E. Krauss. Le rapport de l'UNESCO sur l'extinction des langues s'appuie d'ailleurs sur les données du linguiste.

Le phénomène d’extinction de certaines langues « faibles » n’est pas nouveau. Depuis que les langues se sont multipliées et répandues, les experts estiment qu'au moins 30 000 d’entre elles ont déjà rejoint le cimetière des idiomes, bien souvent sans qu’on s’en soit rendu compte. La difficulté réside dans le recensement des langues encore parlées (environ 6 000) et celles déjà disparues (puisque « éteintes », et souvent uniquement parlées, ne laissant aucune trace écrite de leur passage sur Terre).

Le taux de mortalité des langues est très élevé, alors que leur temps de vie est souvent très court. Seules quelques rares langues telles que le basque, l’égyptien, le chinois, le grec, l’hébreu, le latin, le perse, le sanskrit ou bien encore le tamil ont duré plus de 2000 ans.

Des langues régionales à une langue nationale

La nouveauté, c’est que la rapidité de ce phénomène s’est considérablement accrue. La durée de vie des langues est de plus en plus courte. Depuis la conquête coloniale de l’Europe, on peut observer un net déclin de la diversité linguistique. On constate qu’environ 15% des langues parlées à cette époque ont été éliminées.

L’essor des États-Nations a accentué ce phénomène car l’unité territoriale a vite été définie par le partage d’une langue commune. Pour faire simple : un territoire, un pays, gommant ainsi les zones hétérogènes, imposant une langue dominante au détriment des langues secondaires, quitte à ce qu’elles ne disparaissent à leur tout.

Nous avons privilégié l’usage des langues nationales à celui de langues régionales, de dialectes, de patois… Nous avons réuni nos efforts pour établir une langue officielle, et celle-ci a servi à l’éducation des générations suivantes, assurant encore un peu plus la suprématie de la langue nationale.

Elle a aussi servi dans les médias, dans la transmission de données et d’informations, comme langue de communication entre les gouvernements et ses citoyens, ce qui a continué l’extermination graduelle des autres langues.

Une standardisation linguistique

Ce processus de standardisation linguistique a été boosté (Note de l'Afrav : a pris son envol) par l’industrialisation de nos sociétés ainsi que les progrès scientifiques qui ont rapidement imposé de nouvelles méthodes de communication. Ces derniers sont rapides, directs et pratiques. Sans fioriture. Oui mais voilà, ce qui fait la beauté d’une langue ce sont précisément ces « fioritures ».

De nos jours, le mot clef est la vitesse. Tout se fait à une rapidité folle, nous n’avons plus une minute à perdre. Nous devons nous comprendre dans la microseconde, sans intermédiaire, sans traduction.

La diversité linguistique est vite devenue un obstacle à l’échange, au commerce, au partage du savoir. Le monolinguisme est devenu une forme d’idéal. Si bien qu’au XIXe siècle on a assisté à un engouement pour la création d’une langue universelle tel que le volapük, ou bien encore l’esperanto. Mais ces langues créées pour un but précis, et non de façon « culturelle » sont des échecs (et heureusement pour nous !).

Plus récemment, la mondialisation des marchés financiers et la dissémination de l’information par les technologies 2.0 ont intensifié la menace envers les «apetits poissons » que sont ces langues parlées par de petites communautés de personnes.

Aujourd’hui, on estime qu’une langue qui n’est pas sur la toile est une langue qui est n’existe déjà plus dans notre monde moderne. Elle est hors course. Elle n’est bonne à rien, et encore moins aux marchés financiers.

Le taux d’extinction des langues a atteint un niveau sans précédent : on compte une moyenne de 10 langues qui disparaissent chaque année. Certains spécialistes prédisent que 50 à 90 % des langues parlées aujourd’hui sont vouées à disparaître d’ici un siècle. C’est pourquoi leur préservation est un sujet d’actualité.

Quand une langue disparaît, un chapitre de notre histoire se ferme à jamais

Les effets de la disparition de ces langues sont importants pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est possible que si nous parlions tous la même langue d’ici quelques décennies, nos cerveaux perdent de leur capacité naturelle à l’inventivité linguistique. Une langue est toujours en perpétuel renouvellement.

Elle n’est pas figée dans le temps. Imaginer un monde où nous parlons tous la même langue aurait pour conséquence évidente un appauvrissement de notre langage. À vouloir trop nous comprendre à la hâte, nous finissons par mettre en péril nos diversités culturelles et linguistiques.

On peut même imaginer que le jour où nous parlerons tous la même langue, nous la simplifieront à outrance, supprimant alors la richesse de notre vocabulaire pour accroître ce besoin de rapidité qui nous bouffe un peu plus chaque jour. À chaque langue qui disparaît, nous nous éloignons un peu plus de la découverte du mystère de l’Humanité.

Le multilinguisme est le pendant du multiculturalisme, sa face B en quelque sorte. La destruction du premier mène inévitablement à la perte du second. Imposer une langue sans aucun lien à la culture et au mode de vie d’un peuple donné est une absurdité, un crime contre la diversité et le génie humain.

Une langue est loin d’être simplement un outil de communication. C’est pourtant ce qu’on tend à nous faire croire de nos jours. Une langue exprime aussi la vision du monde par ceux qui la parlent. C’est une fenêtre sur la connaissance d’un peuple.

Quand multilinguisme rime avec biodiversité

La menace de la disparition d’une langue pourrait avoir un lien direct avec celle de l’extinction d’une espèce. Loin de moi l’idée de me baser uniquement sur l’idée que la plupart des langues sont des « espèces en voie de disparition ». Non, cela va plus loin. Il semblerait qu’il y ait un lien de causalité entre la diversité biologique et la diversité culturelle.

Ainsi, tout comme certaines espèces en danger appartenant à la faune et la flore, les langues en danger sont généralement confinées à des zones géographiques lointaines, reculées et difficiles d’accès. Plus de 80% des pays qui possèdent une grande diversité biologique ont aussi des zones où l’on trouve des langues endémiques.

Cela s’explique par le fait que lorsqu’une communauté s’adapte à son milieu, elle crée un stock spécial de connaissances qui n’est que le reflet dans leur langage de ce qui existe dans leur environnement. La plupart des plantes et des espèces en voie d’extinction ne sont connues aujourd’hui que par les gens qui vivent dans ces zones géographiques et dont la langue meurt. Et le nom de ces espèces meurt avec elles. C’est un savoir traditionnel, empirique, dont la fragilité repose sur cet équilibre rare.

En 1992, le sommet de la Terre à Rio s’était fixé comme but de mettre un terme à la réduction de notre biodiversité. Aujourd’hui, il est temps de faire de ce sommet celui de la préservation des langues et de leurs diversités culturelles.

Le droit à la langue fait partie de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, il est temps de sauvegarder cet héritage de l’humanité non pas comme une trace du passé, mais comme une richesse nécessaire et vitale pour l’avenir.

 

 

Source : leplus.nouvelobs.com, le 15 décembre 2011

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Réaction de Charles Durand :

Le commentaire d'Henri Collomb caractérise une ignorance crasse de la réalité. Faut-il manger des pommes toute sa vie et ne jamais goûter à aucun autre fruit ? Faudrait-il se contenter d'un monde sans aucune diversité ? Pourquoi diable voudrait-il que tout le monde soit comme lui ? L'espèce humaine est doué d'un outil de communication qui s'appelle la langue mais qui sert aussi à penser et tout le monde ne pense pas de la même manière. C'est la raison pour laquelle le monde ne parlera jamais une langue unique. Si la langue parlée par Henri Collomb, ou celle qu'il voudrait que tout le monde parle, lui paraît naturelle, il faudrait qu'il sache qu'un membre quelconque d'une ethnie quelconque se sent aussi parfaitement naturel dans sa propre langue et ne voit pas la nécessité d'en changer.
Par contre, avoir une seule langue mondiale, qui serve de pont entre ethnies trop éloignées pour qu'une compréhension mutuelle puisse se produire, a déjà été conçue. Elle s'apprend en 10 fois moins de temps que l'anglais et elle peut exprimer les nuances les plus fines tout en ne donnant aucun privilège particulier à personne à des fins de propagande ou d'endoctrinement des esprits. Cette langue existe depuis plus d'un siècle et elle fonctionne bien. Elle s'appelle l'espéranto.

Aujourd'hui, pour lutter contre le chômage de masse qui sévit dans notre pays, on nous parle d'acheter français et de privilégier ainsi le « Fait en France ». Mais que doit-on penser de ces sociétés françaises de productions cinématographiques qui travaillent en anglais mettant, de fait, les artistes francophones au chômage ?

 

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