LOI SUR LA LANGUE FRANÇAISE

Les Sages corrigent Toubon

Le Conseil constitutionnel a censuré quelques articles de la loi élaborée par Jacques Toubon sur la défense du français. Les Sages ont annulé les dispositions obligeant les entreprises à utiliser les équivalents français des termes anglais.

 

(photo Universal)

 
 

Censure de dispositions de la loi sur l'usage du français

Toubon rectifié par les Sages

L'emploi des équivalents français des mots anglais n'est plus imposé aux organismes privés

Mais l'emploi du français reste, quant à lui, réglementé

En annulant hier plusieurs dispositions de la loi sur l'emploi de la langue française, le Conseil constitutionnel a choisi de défendre l'usage et même le contenu de la langue dans les institutions et services publics, tout en refusant d'imposer à tous les organismes privés l'interdiction des mots étrangers.

Pour justifier sa censure, le Conseil constitutionnel s'appuie sur l'une des libertés essentielles proclamée en 1789 dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (article 11) : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Les neuf Sages du Conseil, présidé par Robert Badinter, ont également souligné que « la langue française, comme toute langue vivante, évolue » et qu'elle «ane peut être figée ».

Au vu de la loi ainsi censurée, désormais, seules les personnes morales de droit public et les personnes privées chargées d'une mission de service public pourront se voir imposer le recours à « certains mots ou expressions définis par voie réglementaire sous forme d'une terminologie officielle ».

Ainsi, le ministre de la Jeunesse et des Sports, invité d'une radio ou d'une télévision, devra dire « jet de coin », tandis que le journaliste qui l'interrogera pourra, lui, parler de "corner".

Pour préserver ce droit du citoyen à « choisir les termes les mieux appropriés à l'expression de sa pensée », le Conseil a censuré les dispositions prohibant l'usage de mots étrangers dans les six cas suivants : distribution des produits et services (article 2), inscriptions et annonces faites sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun autre que de service public (article 3), contrats de travail (art. 8), règlements intérieurs d'entreprise (art. 9), offres d'emploi (art. 10) ou encore pour les émissions et messages publicitaires (art. 12).

En outre, le Conseil constitutionnel a supprimé une partie de l'article 7, qui subordonnait l'octroi d'une aide à des travaux d'enseignement ou de recherche à l'engagement d'assurer une diffusion en français de ses résultats, considérant qu'une telle condition portait atteinte à l'importance de la liberté d'expression dans l'enseignement.

En revanche, les Sages ont admis que les organisateurs de congrès en France devraient assurer la traduction des interventions et fournir un résumé en français des documents relatifs au colloque. De même, ils ont estimé que les publications, émanant d'institutions et services publics devaient comporter au moins un résumé eh français.

La loi adoptée définitivement le 1er juillet par le Parlement, sans grand enthousiasme, beaucoup redoutant qu'elle ne soit pas plus efficace que la loi Bas-Lauriol de 1975, a valu à son auteur, le ministre de la Culture et de la Francophonie Jacques Toubon, quelques salves d'ironie et notamment ce livret malicieux « Sky, Mr Allgood ! ».

Pourtant, cette loi était moins contraignantes que les lois québécoises sur la défense de la langue française face à l'impérialisme anglo-saxon. Mais il est vrai que ce dernier est plus pressant là-bas qu'ici.

Au demeurant, la plus virulente des critiques est venue du député britannique conservateur Anthony Steen qui, en représailles au projet de M. Toubon, a déposé une proposition de loi visant à expurger de la langue anglaise des mots français très employés.

Reste aux acteurs de la langue à montrer que la fatalité de l'anglicisation à outrance n'est pas inéluctable.

Pour Matignon cependant « l'essentiel de la loi n'est pas atteint » : « L'emploi de la langue française reste en effet obligatoire (à peine de sanction pénale ou civile) dans tous les domaines définis par la loi : présentation des biens et des produits, publicité, inscription dans les lieux publics, contrats de travail, règlement intérieur d'entreprise, conventions collectives, audiovisuel ».


   Source : Midi Libre, le dimanche 31 juillet 1994



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