L'adoption du texte sur la défense de la langue à l'Assemblée

Le français aura sa loi

■ « II n'est en rien question de brider la liberté des langues régionales », affirme Jaques Toubon

■ Les accents de « France Telecom » seraient rétablis

■ Grandes manœuvres autour de la langue française. Depuis plusieurs jours, les députés examinent le projet de loi Toubon sur le maintien d'une certaine indépendance linguistique face à l'envahissement d'un anglais souvent employé à tort et à travers, un véritable « sabir d'aéroport », comme le décriait Philippe de Saint-Robert.

Hier, Jacques Toubon a défendu son projet en le qualifiant de réaliste. Dans l'hémicycle, les langues régionales ont été hier au cœur du débat. Le projet devait être adopté dans la nuit par la majorité RPR et UDF, avec l'abstention probable des socialistes et des communistes.

Le projet de loi vise à compléter la loi de 1975, dite Bas-Lauriol, qui n'était plus appliquée.

« Show room »

Élaborée dans un souci de protection du consommateur, le projet, déjà adopté en première lecture par les sénateurs, se veut « loi de service et non de contrainte ». Sans contrôler la qualité de la langue, il rend l'emploi du français obligatoire dans les émissions et les messages publicitaires.

Il impose également l'usage de la langue française dans les inscriptions destinées à l'information du public. Le texte interdit notamment aux personnes publiques, ainsi qu'aux personnes chargées d'une mission de service public, de faire usage de marques comportant une expression ou un terme étranger. Ainsi le manque d'accent sur « télécom » dans « France-Telecom » sont prohibés, tout comme le terme "show-room" en vitrine.

« Aucune manifestation, aucun colloque ou congrès, ne doit être organisé en France, par des personnes physiques ou morales de nationalité française, sans que le français puisse être utilisé lors des communications et débats », stipule-t-il également.

Si l'on avait envisagé au départ de traduire les titres des œuvres cinématographiques étrangères - "Jurassic park" aurait du devenir « Parc jurassique » -, cette disposition a été finalement écartée. De même, une enseigne qui est une dénomination d'entreprise n'est pas visée en principe. Les "hair shop", "garden center", "fast-food", devraient ainsi perdurer.

Enfin, le projet prévoit un dispositif de contrôle afin de permettre une bonne application de la loi : retrait des subventions éventuelles, peines d'emprisonnement et d'amende.

Répondant aux orateurs qui avaient fait part de leurs craintes d'un affaiblissement des langues régionales, le ministre de la Culture Jacques Toubon s'est hier longuement défendu de vouloir porter atteinte à une « partie intégrante de notre patrimoine national ».

À l'instar des sénateurs, plusieurs orateurs, comme François Loos (UDF, Bas-Rhin), Jean-Jacques Weber (UDF, Haut-Rhin) et Louis Le Pensée (PS, Finistère) se sont relayés pour tenter d'inscrire explicitement dans la loi l'apport de ces langues qui « font partie du génie de la langue française et ont le droit d'être là », selon l'expression de M. Weber.

Emporté par sa fougue, M. Loos mettait même l'allemand au rang de ces langues régionales, tandis que d'autres députés s'inquiétaient du risque de voir disparaître le « Gewurtztraminer » (vin d'Alsace), le « Kouig Aman » (gâteau breton) ou le « Potioc » (cheval basque).

« On ne peut décrire la France comme un pays où les langues régionales seraient sacrifiées », a lancé M. Toubon, en soulignant qu'un article du projet prévoit expressément que « tous les avantages existants sur ces langues ne sont en aucune façon concernés ».

En revanche, le député de Paris Claude Goasguen, qui s'est proclamé « élu de la diaspora bretonne » à Paris a demandé « à ses amis » de « ne pas renouer avec les vieux démons qui opposent langue française et langues régionales », en jugeant « parfaitement clair » l'article mis en avant par M. Toubon.

« Ici, c'est un projet sur l'emploi de la langue française, attendons demain un projet sur l'emploi des langues régionales » pour tenir ce débat, a dit Yves Marchand (UDF, Hérault).

Henriette Martinez (RPR, Hautes-Alpes), s'appuyant sur son expérience de professeur d'italien pendant 20 ans, soutenait, elle, que les élèves avaient d'abord besoin d'apprendre le français.

 

Source : Midi Libre, le jeudi 5 mai 1994

 


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