L’article
2 du projet de loi sur l’enseignement
supérieur et la recherche qui prévoit la
possibilité de donner des cours dans une
autre langue que le français a provoqué
un énorme débat. Qu’en pensez-vous alors
que votre université propose depuis dix
ans des cursus tout en anglais ?
Vouloir aujourd’hui nous empêcher de donner des cours en anglais serait une grave régression et une menace pour la place de la France dans la recherche internationale. N’obligeons pas les universités à se replier sur elle-même pour un problème de langue.
Je suis d’accord pour défendre la langue et la culture française. C’est un bon combat. Je comprends que l’Académie française se mobilise pour la défense du Français. Je comprends aussi les arguments de Michel Serres lorsqu’il nous dit qu’une langue qui n’a plus de mots pour dire les choses est une langue qui meurt. Mais ce combat, ce n’est pas à l’université ou dans la recherche qu’il faut le mener mais plutôt au collège et au lycée. Les lycées étrangers doivent aussi contribuer au développement du Français et de la culture française.
La ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, ne s'est-elle pas trompée d’angle d’attaque ?
Si absolument. Il y avait
deux angles d’attaque à mon avis pour
expliquer la nécessité de développer des
cours en anglais. D’une part, c’est la
recherche et ses réseaux internationaux
dans lesquels la langue véhiculaire est
l’anglais. Or, pour préparer nos jeunes
chercheurs à s’insérer dans ces réseaux
et organiser leur mobilité, il faut
permettre un enseignement en anglais.
D’autre part, l’insertion
professionnelle. L’université a trois
missions : la formation, la recherche et
l’insertion professionnelle. Or,
aujourd’hui, pour insérer les jeunes, il
leur faut, dans un certain nombre
d’entreprises, maîtriser ce que l’on
appelle la langue de spécialités. À
Toulouse, chez Airbus, le plus gros
employeur de la région, la langue de
travail, c’est l’anglais. Et croyez-moi,
si vous ne parlez pas anglais vous
n’aurez aucune chance de vous faire
embaucher chez Airbus et ce même pour
des postes de non-cadre.
Vous enfreignez la loi Toubon depuis une dizaine d’années, quelles formations dispensez-vous en anglais et combien d’étudiants sont concernés ?
C’est vrai j’ai pris des libertés avec cette loi et je l'enfreins chaque jour, car elle n’est pas adaptée au monde moderne. Au total, 8 % à 10 % de mes étudiants suivent des cursus tout en anglais. Aujourd’hui, c’est en droit (j’ai dix partenariats avec des universités et demain douze qui concernent environ 250 étudiants) que j’ai le plus de double diplômes en anglais tout simplement parce que pour construire le droit européen la langue véhiculaire, c’est l’anglais.
Pendant des siècles, cela a été le latin, aujourd’hui, c’est l’anglais.
Pour certains masters (management international), tout l’enseignement est dispensé en anglais, car j’ai plus de 50 % d’étudiants étrangers. En économie, à partir du master 2, tous les cours sont anglais. Cela concerne 1 000 étudiants (français et étrangers) et signifie que tous terminent leur cursus, bilingues. Et c’est normal ! Ils s’apprêtent à faire une carrière internationale dans des grands organismes internationaux, dans des banques… où tout le monde parle anglais.
Enfin, en gestion, j’ai
aussi environ 200 étudiants. Par
ailleurs, j’ai des cours d’anglais
disséminés ici ou là, ainsi que des
travaux dirigés en anglais dispensés par
des doctorants et des post-doc qui ne
parlent pas forcément tous très bien
français.
Inversement, vos étudiants apprennent-ils le français ?
Évidemment ! D’abord, ils l’apprennent en vivant en France. Et ils suivent obligatoirement des cours de FLE (français langue étrangère).
Propos recueillis par
Nathalie Brafman
Source : lemonde.fr, le 22 mai 2013