Pourquoi chanter en français ?

Aujourd'hui, la musique voyage plus rapidement que jamais. Pourquoi chanter en français en 2011? La Presse a posé à cinq artistes nommés au Gala de l'ADISQ (NDLR : Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo) cette question qui revient périodiquement au Québec, mais dont les réponses, d'une fois à l'autre, ne sont jamais tout à fait les mêmes.

 

Béatrice Martin, alias Cœur de Pirate.

PHOTO: BERNARD BRAULT, LA PRESSE

 

CŒUR DE PIRATE

« Quand j'ai grandi, il n'y avait pas de musique en français que j'aimais. Malajube a changé ma perception de la chose, c'est le premier truc qui m'a fait comprendre que c'est bien de chanter en français. Il y a des images que je peux faire en français, mais pas en anglais. Les jeunes s'intéressent forcément aux trucs en anglais parce que c'est plus médiatisé. Mais si je suis capable de faire de la musique comme j'aime en français, peut-être alors que j'aurai fait un peu mon travail de préservation de la langue. Je ne me donne pas ce rôle-là, mais je fais ma part un petit peu. Si je n'avais pas chanté en français, je ne pense pas que j'aurais l'attention que j'ai en ce moment, même à l'extérieur du Québec. (NDLR : En plus de la France, Béatrice va chanter en français à Toronto et aux États-Unis au cours des prochains mois.) Il y a des gens qui me connaissent juste parce que je chante en français. Mais tu fais de la musique parce que t'as envie de faire de la musique et tu chantes en français parce que t'as envie de chanter en français. C'est tout. Par contre, si tu ne maîtrises pas l'anglais, ne force pas les choses. »

 

DAVID BUSSIÈRES D'ALFA ROCOCO

 

David Buissières et Justine Laberge d'Alfa Rococo.

PHOTO: ROBERT SKINNER, LA PRESSE

 

« Ça n'a jamais été un enjeu pour moi. En tant qu'auteurs-compositeurs-interprètes, on accorde pas mal d'importance à nos textes, on souhaite exprimer clairement ce qu'on veut dire et comme on ne maîtrise pas autant l'anglais, on tomberait probablement plus facilement dans les clichés. En français, on est contents d'être capables de faire des tournures de phrases poétiques à l'occasion et de faire groover la langue française. Last Assassins et Jean Leloup qui chantent en anglais, c'est un gros truc un peu psychédélique, c'est très correct. Mais la chanson à texte pour quelqu'un qui n'est pas parfaitement bilingue, j'ai de la misère avec ça. Ça m'apparaît très important de chanter en français au Québec en ce moment où on est beaucoup dans la nostalgie, dans les albums de reprises. On a une culture chansonnière très forte des années 60 et 70, mais il faut se construire aujourd'hui un nouveau folklore pour que, dans 50 ou 60 ans, les grandes chansons du passé qu'on va chanter soient celles qu'on est en train de composer aujourd'hui. Sinon on risque de se retrouver avec une culture pratiquement morte. »

 

PIERRE LAPOINTE

Pierre Lapointe

PHOTO: BERNARD BRAULT, LA PRESSE

 

« À 14 ans, j'ai fait une des grandes rencontres de ma vie: le frère Untel (Jean-Paul Desbiens). On a échangé et je me suis questionné sur l'importance du français dans la société québécoise et sur le niveau de qualité de la langue. J'ai essayé d'écrire de la poésie avec des mots qu'on n'utilise pas souvent, de donner aux gens le goût d'être curieux, de peaufiner leurs connaissances et d'être un peu plus rigoureux. C'est une richesse que Montréal soit bilingue et si quelqu'un choisit de chanter en anglais, c'est son droit. Mais le réel intérêt qu'on peut avoir pour un artiste, c'est son côté unique et, à une plus grande échelle, ce qui fait notre particularité, c'est en grande partie notre langue. Si tout le monde se mettait à chanter en anglais, ça serait passer carrément à côté de notre force. Par ailleurs, la chanson française tourne un peu en rond ces temps-ci, elle a besoin d'être dépoussiérée et je m'inclus là-dedans. Elle est en retard sur la danse contemporaine, les arts visuels ou le théâtre expérimental, et je stimule les rencontres dans ces milieux pour sortir des sentiers battus. Peut-être que je n'arrive pas à renouveler tant que ça le discours, mais je suis convaincu que je suis sur une bonne piste pour y parvenir dans quatre, cinq, six, sept ou huit ans. »

 

MARIE-MAI

Marie-Mai

PHOTO FOURNIE PAR LE GRAND DÉFI PIERRE LAVOI

 

« Pour moi, ça allait de soi. Le français est la langue qui me permet d'exprimer le plus naturellement ce que je veux dire. En anglais, j'ai l'impression de me cacher derrière une langue que je connais moins, le texte devient moins important. Si un jour, on m'offrait une super belle occasion en anglais, je suis une fille de défi et j'embarquerais parce que c'est d'abord la musique qui me passionne. La langue, c'est important, mais il ne faut pas avoir peur de rêver grand. Quand j'ai fait le duo bilingue (Jet Lag) avec Simple Plan, Pierre (Bouvier) avait très peur. Il disait: J'ai chanté toute ma vie en anglais, comment ça va sonner? C'est un défi, le français, quand on fait de la musique pop. Moi, je suis très près des jeunes, et c'est sûr que le français s'en va dans une drôle de direction avec les textos et les mots abrégés. Si ça continue, est-ce qu'on va être encore capables d'écrire dans 10 ans? Si à travers mes textes et ma musique, ça leur donne un petit peu le goût de découvrir cette langue-là et de lire un peu plus, tant mieux. »

 

 

 

FRED PELLERIN

Fred Pellerin

PHOTO: FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

 

« Je ne maîtrise aucune autre langue que le français, mais cette langue-là a tout ce qu'il faut pour faire image. La chanson a quelque chose qui accroche l'oreille, qui participe à un actuel ou à un futur, et si on parle français aujourd'hui au Québec, c'est parce que ça a parlé français dans les maisons, ça a chanté en français autour du piano, ça a s'est conté des histoires en français. On dit qu'on n'est pas engagés politiquement, mais présentement, il se passe quelque chose socialement, collectivement, avec les questionnements par rapport au Québec dans le monde, à sa rencontre avec l'autre, dans le film République de Latulippe, dans le livre de Bazzo sur ce que ça prend au Québec, chez les indignés... Bazzo, il faut la lire, c'est près de 200 pages, Latulippe, il faut s'asseoir devant son film dans une salle, mais la chanson se chante au coin de la rue, elle se transporte facilement. Elle continue d'avoir un rôle immense et quand on la fait en français, c'est par elle qu'on s'adresse aux Québécois. »

Alain de Repentigny
La Presse

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