L'académicien et défenseur de la langue française, Jean Dutourd, est mort

Sous le titre « Jean Dutourd quitte une époque qu'il détestait », le quotidien Ouest-France du mercredi 19 janvier a consacré à l'auteur de Au bon beurre (publié en 1952) qui vient de décéder un éloge funèbre en forme de ... pamphlet.

On veut bien reconnaître quelques mérites à l'Académicien français (élu en 1978 au fauteuil de Jacques Rueff), mais du bout des lèvres (ou de la plume). Il est, en effet, gratifié par ailleurs d'amabilités le qualifiant d' « homme ronchon et réactionnaire », de « râleur renfrogné », d' « érudit bourru », d' « acrobate de l'imparfait du subjonctif ». Cela fait tout de même beaucoup pour un hommage posthume (à noter que l'on retrouve plusieurs de ces expressions dans un article de la même veine publié la veille par Le Monde  : 

http://www.lemonde.fr/carnet/article/2011/01/18/l-academicien-jean-dutourd-est-mort_1466963_3382.html ).

Ce romancier satiriste ne s'est pas privé, il est vrai, de brocarder, avec autant de férocité que de verve, la société contemporaine. Cela lui valut évidemment beaucoup de détracteurs, beaucoup d'adversaires. Le regretté Maurice Schumann (dont l'IAB reçut un message cordial quelques jours avant sa disparition le 9 février 1998) dira ceci en le recevant sous la Coupole : « Ce dont on fait grief, en vérité, au journaliste Jean Dutourd, c'est, au contraire, de ne pas être un polémiste mais un écrivain qui dépeint et critique les mœurs d'une époque puis, à partir de là, développe ses réflexions sur la nature humaine ; c'est en un mot de rester moraliste ».

« Moraliste » ? Mais si le courant moraliste fut sans doute le caractère le plus distinctif du brillant esprit français du XVIIe siècle, une telle attitude critique est-elle bien convenable par les temps qui courent, à une époque convaincue de sa supériorité sur toutes celles qui l'ont précédée, fière de sa rupture avec les errements du passé ? Jean Dutourd avait le grand tort aux yeux de beaucoup de n'être pas un moderne et il aggravait singulièrement son cas en s'en flattant ouvertement, en faisant état de son attachement aux traditions, aux usages, aux valeurs d'autrefois. Ce grand admirateur et défenseur de la langue française n'avait pas caché, par exemple, son hostilité à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, entreprise par le gouvernement de M. Lionel Jospin. Dans le décret à ce sujet, pris en 1999 après des années de discussions et tergiversations, il disait ne voir qu'extravagances adoptées pour complaire à quelques groupes de pression à la mode. De même, on ne peut pas dire que la réception de dames sous la Coupole (la première fut Mme Marguerite Yourcenar en 1980) l'ait transporté d'enthousiasme. Rien n'est plus détestable aux yeux des militants de la modernité que des résistances de ce genre, immanquablement taxées de « ringardises ». Ceux dont elles émanent ne peuvent qu'être « vieux dans leur tête »

En somme, Jean Dutourd était le type même du conservateur, un état d'esprit devenu aujourd'hui pratiquement inavouable. Car, comme l'a dit le philosophe Alain Finkielkraut (dans l'Ingratitude, Conversation sur notre temps) : « le conservatisme n'est plus une opinion ou une disposition, c'est une pathologie ... Le conservateur, c'est l'autre, celui qui a peur, peur pour ses privilèges ou pour ses avantages acquis, peur de la liberté, du grand large, de l'inconnu, de la mondialisation, des émigrés, de la flexibilité, des changements nécessaires. » D'ailleurs l'opprobre jeté sur le conservatisme est tel qu'il a pratiquement disparu du champ des idées contemporaines. Plus personne - et surtout pas dans le monde politique - n'ose désormais se dire conservateur. Au contraire, tout le monde, ou presque, se réclame du mouvement contre la stabilité, de l'effervescence contre l'expérience, du nouveau contre l'ancien.

 

Jean-Pierre Busnel
Président de l'Institut André Busnel
contact@iab.com.fr

 

 

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L'académicien Jean Dutourd est mort

L'écrivain et académicien Jean Dutourd est mort à l'âge de 91 ans. Réactionnaire, provocateur, ronchon, il était devenu une figure familière de la littérature et des médias en brocardant pendant plus de cinquante ans le conformisme et la médiocrité de l'époque. Physique de grognard, avec pipe et moustaches, il était né en janvier 1920 à Paris. Mobilisé et fait prisonnier en 1940, il s'évade pour rejoindre la Résistance, où il est co-fondateur du mouvement Libération-Sud. Arrêté une nouvelle fois en 1944, il s'évade à nouveau et participe à la libération de Paris.

Dès lors, l'écrivain empruntera les chemins de traverse pour dénoncer la bêtise triomphante et les modes, les jargonneurs et l'air du temps. Écrivain, Jean Dutourd donne le meilleur de son œuvre dès les années 1950. Au bon beurre, prix Interallié 1952, brosse le portrait caustique d'un couple d'épiciers opportunistes et cruels sous l'Occupation. Un livre qui lui vaut l'image d'un boutiquier des lettres roublard dont il fera son fonds de commerce. Admirateur inconditionnel du général de Gaulle, cet érudit bourru, qui puisait ses références chez Montaigne, Proust et Balzac, sera de 1963 à 1999 chroniqueur, puis éditorialiste à France-Soir.

Le 14 juillet 1978, un attentat à la bombe, jamais revendiqué, détruit son appartement parisien. « Ça m'a rajeuni. Ça m'a rappelé l'époque où c'est moi qui posais les explosifs, dit-il alors. Ça prouve au moins que j'ai du style. » Entre-temps, son œuvre s'est enrichie d'une trentaine de titres. Des Taxis de la Marne (1956) au Demi-solde (1964) ou au Printemps de la vie (1972). Élu en novembre 1978 à l'Académie française, il peaufine son image de râleur renfrogné et aligne les essais polémiques et les odes à la France d'autrefois : De la France considérée comme une maladie (1982), Henri ou l'Éducation nationale (1982) ou La Gauche la plus bête du monde (1985).

 

UN PERSONNAGE FAMILIER DE LA RADIO ET DE LA TÉLÉVISION

Mais le prosateur élitiste, l'acrobate de l'imparfait du subjonctif, élargit son public avec l'émission « Les grosses têtes » sur RTL, auxquelles il participe assidûment dans les années 1980. Dutourd répond à toutes les questions, au côté d'improbables vedettes du monde du spectacle. Il devient en quelques années un personnage familier de la radio et de la télévision, l'académicien de service, au côté de Jean d'Ormesson.

Homme de droite, pourfendeur de la science et du progrès, cet esprit malin, père de deux enfants, dont une fille décédée, savait susciter l'admiration au-delà de son camp quand il s'agissait de défendre la langue française. « Dans une époque de misère grammaticale, c'est agréable de trouver quelqu'un qui sait écrirea», a dit de lui Philippe Sollers. Ses prises de position controversées en faveur des Serbes de Bosnie lors du conflit dans l'ex-Yougoslavie, comme son rejet virulent de la féminisation des noms à la fin des années 1990, firent en revanche grincer des dents. Et si, avec quelque 70 livres à son actif, l'auteur d'Au bon beurre a « beaucoup tartiné » – comme l'a écrit Le Canard enchaîné –, il a su imposer la figure d'un écrivain populaire, qui s'attachait à dégonfler les fausses valeurs et les prétentions de son temps.

 

 

Source : lemonde.fr, le 18 janvier 2011

http://www.lemonde.fr/carnet/article/2011/01/18/l-academicien-jean-dutourd-est-mort_1466963_3382.html

 

 

 

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