Nos lycées plébiscités à l'étranger

REPORTAGE - L'ouverture du lycée français d'Amman illustre le succès du réseau français d'enseignement à l'étranger. Ce réseau accueille près de 300 000 élèves, dont 110 000 Français. L'État investit 550 millions d'euros par an dans ces établissements vitrines, considérés comme un levier d'influence diplomatique. Mais leur gestion est critiquée par la Cour des comptes.

Lycée français d'Amman, en Jordanie

Les nouveaux locaux du Lycée français d'Amman, la capitale jordanienne, ont été inaugurés la semaine dernière. La France compte 488 établissements à l'étranger Crédits photo : KHALIL MAZRAAWI/AFP pour le Figaro

 

L'actrice Jodie Foster, le diplomate Boutros Boutros Ghali, l'architecte Ricardo Bofill ou les cinéastes Ingmar Bergman et Marjane Satrapi, comme de nombreux responsables politiques… Tous ces anciens élèves ont bénéficié d'un enseignement d'élite tricolore. Les 488 lycées français de l'étranger portent haut les couleurs de la francophonie. Si les hexagonaux sont prioritaires pour les inscriptions, la majorité des élèves accueillis restent des étrangers, car ces lycées ont une mission d'influence diplomatique.

En surplomb de la route de l'aéroport d'Amman, les clairs et spacieux locaux du très moderne lycée français jordanien inauguré la semaine dernière par la ministre des Français de l'étranger, Hélène Conway-Mouret, feraient rêver plus d'un professeur de l'Hexagone. Avec ses 98 % de réussite au bac et sa flopée de mentions, sa situation privilégiée l'éloigne d'une Éducation nationale française vilipendée pour ses difficultés à faire réussir ses élèves. Les programmes scolaires sont pourtant les mêmes. Et sur le papier, les enseignants ne sont pas meilleurs.

Les murs financés par la France, mais loués à l'association gestionnaire de l'établissement accueillent depuis cette année 180 collégiens et lycéens. L'agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE), placée sous la tutelle du Quai d'Orsay a voulu répondre à une augmentation des inscriptions depuis 2006, liée à l'implantation de plusieurs entreprises françaises en Jordanie. L'établissement reçoit 48 % de Français, 21 % de Jordaniens et 31 % d'étrangers tiers.

Un terreau extrêmement stimulant

« Nous n'accueillons pas uniquement des enfants de cadres et d'intellectuels », insiste la proviseure d'Amman, Sylvette Bouché. L'établissement est néanmoins «plutôt bien fréquenté», témoigne Nathalie Le Mentec, professeur de lettres, qui ce jour-là enseigne une pièce de Racine à sa classe de troisième : « Les élèves sont très bien. Ils sont suivis à la maison. Je peux être exigeante et effectuer un travail de précision ». Lorsqu'il vivait à Ferney-Voltaire, dans l'Ain, le jeune Andrej, constatait un « grand écart de niveau » et des classes « surchargées à 35 élèves ». « Ici, tout le monde est bon » et les effectifs bien plus légers, autour de 25 élèves par classe, raconte ce garçon, fils de parents croate et français, « cadres dans l'humanitaire ».

Le secret des lycées français, c'est surtout ce terreau extrêmement stimulant d'élèves parlant plusieurs langues et baignant dans un univers multiculturel. Comme Willem, ce garçon franco-canadien-belge qui vivait auparavant à Vancouver. Son père désirait pour lui « une formation à la française » jugée « plus élaborée » que les autres. Les étrangers plébiscitent le système éducatif français. Au point que ces établissements sont fréquentés de génération en génération dans certaines familles saoudiennes, libanaises, polonaises, suisses… La mère de Laïla qui était elle-même inscrite au lycée français au Koweit, a voulu cette éducation « plus complète » que l'école américaine. « On ne peut pas choisir nos matières comme aux États-Unis. On suit toutes les disciplines. Du coup, on a des bases dans tous les domaines. Notre culture générale est plus élevée », affirme la jeune fille. Tania, palestino-américaine, fille d'un père homme d'affaires et d'une mère dentiste, vient d'Arabie Saoudite. Elle fréquente les lycées français depuis la maternelle pour leur « exigence » dans les matières scientifiques, notamment. Et pourtant, ses parents ne parlent pas le français.

Origine sociale favorisée

Ces jeunes citoyens du monde issus d'une origine sociale favorisée constituent la norme mais, la proviseure met aussi en avant ses 14,4 % de boursiers. Une nécessité, car si la France dispose d'un réseau d'influence unique avec ses 488 établissements dans 148 pays, les financements publics de 550 millions d'euros par an ne permettent pas de couvrir tous les frais. Les familles sont priées de mettre la main à la poche avec de grandes disparités selon les pays. Elles dépensent 4000 euros annuels en moyenne, comme à Amman. Mais il faut débourser aux alentours de 1000 euros à Madagascar ou à Pondichéry quand les montants dépassent 20 000 dollars à New-York ou San-Francisco. Ces droits d'inscription élevés permettent de compenser le prix de l'immobilier et la qualité de ces établissements fortement dotés en personnel, en activités sportives, culturelles. Certains sont bilingues… De fait, seuls 75 établissements sont en gestion directe, les autres sont de droit privé, souvent gérés à l'américaine par des "boards", comprenez ces associations de parents d'élèves qui décident des transports locaux, de la restauration, du choix du mobilier.

La nouvelle équipe gouvernementale a décidé la suppression de la prise en charge des frais de scolarité (PEC) des lycéens français mise en place par Nicolas Sarkozy, pour revenir à un système de bourses sous condition de ressources. Avec l'introduction de la PEC, « de nombreuses entreprises, dont de nombreuses sociétés étrangères, ont retiré leur participation à la scolarisation des enfants de leurs collaborateurs. Nous devons définir avec elles les modalités d'un nouvel engagement. Notre objectif est d'enrayer l'augmentation des frais de scolarité. Pour encourager les établissements scolaires à limiter l'augmentation, nous avons plafonné cette année le remboursement par les bourses scolaires de ceux qui augmentaient fortement leurs tarifs », explique Hélène Conway-Mouret.

Certes, avant d'accepter un contrat d'expatriation à l'étranger, « les cadres français demandent toujours systématiquement s'il y a un lycée français pour leurs enfants », explique un responsable local d'Orange. La petite communauté expatriée d'Amman, forte de 1500 membres n'est cependant pas entièrement convaincue par l'image dorée sur tranche dont certains se gargarisent au sujet du « réseau ». Une partie des Français préfèrent même les établissements anglophones, où le « niveau d'anglais et d'arabe est meilleur ». Autre écueil, les établissements français bondés dans les petites classes sont progressivement désertés par les élites locales à l'approche de la terminale. Grâce au baccalauréat international, les lycées américains attirent plus, bien que leurs droits d'inscription soient deux à trois fois plus élevés que ceux des établissements français. Car ils offrent des perspectives d'avenir plus importantes que le seul bac franco-français. « Certains parents considèrent que quelques années suffisent pour apprendre le français. À l'approche de l'enseignement supérieur, ils intègrent le système jordanien ou américain », confirme une enseignante du lycée d'Amman. Le lycée américain de New-York sélectionne par l'argent et préfère les enfants de stars, censés favoriser des levées de fonds, critique une mère, tandis qu'une autre s'agace de la mainmise pédagogique des familles danoises sur celui de Copenhague. L'impossibilité d'accéder aux établissements français londoniens ou bruxellois, faute de place, revient dans toutes les bouches.

Critiques sur les financements

Mi-septembre, la Cour des comptes, tout en reconnaissant la « très grande qualité du réseau » a recommandé dans un référé au ministère des affaires étrangères de « mieux formaliser la stratégie d'ensemble ». Elle fait remarquer que le départ dans des universités anglo-saxonnes ou canadiennes des élèves après la terminale « limite largement la portée de l'investissement consenti par la France ». Il n'existe ainsi pas d'évaluation sur leur devenir. Cela empêche de mettre en place une action pour « garantir l'effectivité d'un réseau d'influence à long terme », regrette la Cour des comptes.

Les frais de scolarité devront « évoluer pour garantir le maintien à niveau, et a fortiori, le développement du réseau ». Car « les effets combinés de la hausse de la demande et des effectifs, de la politique d'investissement immobilier, et dans certains pays, de l'augmentation des niveaux de vie, de la progression des grilles salariales locales ou de l'inflation, impliquent un besoin de financement que l'État ne pourra supporter seul ». Le ministère des Affaires étrangères a fait le choix de développer son réseau en conservant ses implantations et en ouvrant de nouveaux sites dans les pays où les intérêts stratégiques et une demande solvable le justifient. Pour la Cour, cette approche est « trop marquée par l'effet cliquet de toute nouvelle ouverture ». Et d'évoquer la nécessité de redéploiements, voire de fermetures. Il s'agit d'une critique larvée concernant des lycées ouverts parfois pour des raisons diplomatiques et maintenus sous financement public, alors qu'ils perdent des élèves ou n'ont jamais réussi à remplir leurs établissements…

L'avancement automatique de l'ensemble des enseignants à l'étranger à la cadence la plus accélérée, sans fondement juridique, est également critiquée par la Cour. « Décorrélé de l'appréciation des compétences professionnelles », il constitue « une rupture d'égalité par rapport à la situation des enseignants exerçant sur le territoire français. »

Dans sa réponse, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, indique notamment qu'il proposera un contrat pluriannuel d'objectifs pédagogiques entre le ministère de l'Éducation nationale et l'AEFE. Un réseau d'anciens va être mis en place… « Ce réseau est une chance extraordinaire pour la France », argumente Hélène Conway-Mouret selon qui des postes d'enseignants vont être redéployés, d'autant plus que le réseau est amené à se développer dans les zones où les résidents français sont de plus en plus nombreux comme en Asie. Outre Amman, de nouveaux bâtiments viennent d'être construits à Bucarest, au Caire, à Santiago. D'autres projets sont en cours à Singapour, Hanoï, Vienne et Brasilia.

 

Marie-Estelle Pech

 

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