Sujet :

 La langue des autres

Date :

28/02/2008

Envoi d'Aleks Kadar  (courriel : aleks.kadar(chez)free.fr)  

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Très intéressant article de Thomas Ferenczi dans le Monde du 28 février. Il est moins pire que ses articles habituels, en tout cas moins pire que le précédent, qui avait suscité pas mal de réactions de notre part.

Il cite le rapport Maalouf, en ce que ce rapport contenait de plutôt positif : « Négliger une langue, affirme l'écrivain Amin Maalouf, dans un rapport remis récemment à la Commission, c'est prendre le risque d'une désaffection de ses locuteurs à l'égard de l'idée européenne ».

Cependant, l'article est marqué par la même faiblesse que le rapport Maalouf, à savoir aucune remise en question de cette langue de plus en plus véhiculaire de l'UE, et il ne fait pas le lien entre cette évolution qu'il mentionne à juste titre :

« La France est de ceux qui ont pris le plus de retard. La pratique de l'anglais reste insuffisante, y compris à l'université, et l'apprentissage des autres langues recule. Il est temps de passer des déclarations aux actes ».

On retrouve hélas l'idée reçue, nullement mise en doute par le journaliste, que « la France est en retard ».

Et malheureusement, il en reste à la position officielle de l'UE, confirmée par le rapport Maalouf, qui est de dire « pour renforcer le multilinguisme, il faut que chacun apprenne 2 langues étrangères, une internationale et une "langue personnelle adoptive ».

Alors qu'on sait bien que :
- le multilinguisme ne veut rien dire, et n'est pas une fin en soi ;
- surtout si multilinguisme signifie « l'anglais ne suffit pas », « tout en anglais et un petit peu d'autres langues pour faire joli » ;
- le but devrait être omnilinguisme et démocratie linguistique ;
- les moyens : que la première langue apprise soit une autre que l'anglais, chaque citoyen doit avoir le droit d'être informé dans sa langue ;
- et idéalement, que la première langue et langue de communication internationale soit une langue neutre et aidant à apprendre les autres langues, au lieu de bloquer leur apprentissage.

Saluons le courage de Thomas Ferenczi, qui a indiqué son adresse courriel (et a mis courriel à la place d'un terme anglais !), je crains donc qu'il ait mis en place un filtre sur le mot « espéranto »

AK

 

 

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Chronique

La langue des autres, par Thomas Ferenczi

Umberto Eco

 

Au début de son essai sur « La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne » (Seuil, 1994), Umberto Eco souligne que la diversité des langues, symbolisée par l'effondrement de la tour de Babel, n'a pas toujours été perçue comme une malédiction. Certes, la Bible rappelle, au livre de la Genèse, chapitre 11, que Dieu a privé les hommes de leur langue commune pour les punir de leur orgueil. Mais au chapitre 10 du même livre, la pluralité des langues est présentée comme un fait sans signification particulière. « Voilà une faille dans le mythe de Babel, commente l'auteur. Si les langues ne se sont pas différenciées à la suite du châtiment, mais selon une tendance naturelle, pourquoi interpréter la confusion comme un malheur ? »

La même ambiguïté affecte, selon lui, le mythe de la Pentecôte. En recevant le don des langues, les apôtres ont-ils acquis la faculté de parler la langue d'avant la tour de Babel ou celle de s'exprimer dans toutes les langues du monde, par le moyen d'un « service mystique de traduction simultanée » ? Dans un cas, le multilinguisme apparaît, une fois de plus, comme une épreuve ; dans l'autre, il est plutôt une chance. Cette contradiction est au cœur du projet européen. « Est-il possible, demande Eco, de concilier la nécessité d'une langue véhiculaire unique avec celle de la défense des traditions linguistiques ? »

La langue véhiculaire de l'Union européenne est, de plus en plus, l'anglais. Selon Juhani Lönnroth, directeur général de la traduction à la Commission, près de la moitié (47 %) des documents traduits par ses services était, en 1992, écrits originellement en français contre 35 % en anglais et 6 % en allemand. En 2007, 72 % étaient écrits en anglais, 12 % en français et 3 % en allemand. Ces trois langues restent les langues de travail des institutions européennes, mais la chute du français est spectaculaire, la faiblesse de l'allemand persistante et la montée de l'anglais incontestable.

Comment résister à cette évolution qui assure à la langue anglaise un quasi-monopole dans les échanges intra-européens alors que le nombre des langues officielles de l'Union - vingt-trois aujourd'hui - ne cesse d'augmenter ? « Négliger une langue, affirme l'écrivain Amin Maalouf, dans un rapport remis récemment à la Commission, c'est prendre le risque d'une désaffection de ses locuteurs à l'égard de l'idée européenne ». Tout porte à croire, ajoute-t-il, que, du point de vue professionnel, « la langue anglaise sera, à l'avenir, de plus en plus nécessaire mais de moins en moins suffisante ».

Pour favoriser le multilinguisme, les Vingt-Sept recommandent l'apprentissage de deux langues étrangères dès le plus jeune âge. Selon une enquête d'Eurobaromètre, 28 % des Européens se disent déjà capables de participer à une conversation dans deux langues autres que leur langue maternelle. L'une de ces langues est le plus souvent l'anglais, l'autre dépend en général de la situation géographique du pays. Amin Maalouf propose de systématiser cette démarche en incitant les Européens à apprendre, d'une part, une langue de communication internationale, de l'autre, ce qu'il appelle une « langue personnelle adoptive », considérée comme « une seconde langue maternelle ».

Un tel plan permettrait à la fois d'améliorer la connaissance de l'anglais, devenue indispensable, et de renforcer à travers l'Union, selon les choix de chacun, « les relations bilatérales de langue à langue ». On ne peut qu'approuver ce programme, tout en notant qu'il relève pour l'essentiel de la responsabilité des États. La France est de ceux qui ont pris le plus de retard. La pratique de l'anglais reste insuffisante, y compris à l'université, et l'apprentissage des autres langues recule. Il est temps de passer des déclarations aux actes.

 

Thomas Férenczi

Courriel : ferenczi@lemonde.fr

 

 

Source : Le Monde.fr, le 28 février 2008

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/02/28/la-langue-des-autres-par-thomas-ferenczi_1016776_3232.html

 

 

 

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Réaction :

Personne n'a proposé le dollar comme monnaie européenne sous prétexte que c'était la monnaie « internationale », et ce pour des raisons évidentes ; de la même manière, accepter le tout-anglais est suicidaire et aliénant pour l'Europe, qui sera européenne ou ne sera pas ! C'est une langue européenne qu'il faut (ex. : l'espéranto ou un latin simplifié) et pas une langue anglaise ou française ! Quant au strapontin que propose Maalouf à une deuxième langue, c'est un vœu pieux : la langue commune suffit.

La politique permet de transformer le réel. La réalité du tout-anglais est parfaitement inéquitable, et il est saisissant de voir tant de Français s'y résigner benoîtement. Ceux qui croient découvrir là un prétendu sens de l'Histoire sont victimes de vertige, d'une envie morbide de voir la France tomber. Le refus généralisé de voir la nécessité d'une langue commune est responsable de cette situation. Le refus d'admettre que cette langue devrait être anationale est encore plus déraisonnable.

Jérémie.
 

 


 

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