Umberto Eco
Au début de son essai sur « La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne » (Seuil, 1994), Umberto Eco souligne que la diversité des langues, symbolisée par l'effondrement de la tour de Babel, n'a pas toujours été perçue comme une malédiction. Certes, la Bible rappelle, au livre de la Genèse, chapitre 11, que Dieu a privé les hommes de leur langue commune pour les punir de leur orgueil. Mais au chapitre 10 du même livre, la pluralité des langues est présentée comme un fait sans signification particulière. « Voilà une faille dans le mythe de Babel, commente l'auteur. Si les langues ne se sont pas différenciées à la suite du châtiment, mais selon une tendance naturelle, pourquoi interpréter la confusion comme un malheur ? »
La même ambiguïté affecte, selon lui, le mythe de la
Pentecôte. En recevant le don des langues, les apôtres
ont-ils acquis la faculté de parler la langue d'avant la
tour de Babel ou celle de s'exprimer dans toutes les
langues du monde, par le moyen d'un
La langue véhiculaire de l'Union européenne est, de plus en plus, l'anglais. Selon Juhani Lönnroth, directeur général de la traduction à la Commission, près de la moitié (47 %) des documents traduits par ses services était, en 1992, écrits originellement en français contre 35 % en anglais et 6 % en allemand. En 2007, 72 % étaient écrits en anglais, 12 % en français et 3 % en allemand. Ces trois langues restent les langues de travail des institutions européennes, mais la chute du français est spectaculaire, la faiblesse de l'allemand persistante et la montée de l'anglais incontestable.
Comment résister à cette évolution qui assure à la
langue anglaise un quasi-monopole dans les échanges
intra-européens alors que le nombre des langues
officielles de l'Union - vingt-trois aujourd'hui - ne
cesse d'augmenter ?
Pour favoriser le multilinguisme, les Vingt-Sept
recommandent l'apprentissage de deux langues étrangères
dès le plus jeune âge. Selon une enquête
d'Eurobaromètre, 28 % des Européens se disent déjà
capables de participer à une conversation dans deux
langues autres que leur langue maternelle. L'une de ces
langues est le plus souvent l'anglais, l'autre dépend en
général de la situation géographique du pays. Amin
Maalouf propose de systématiser cette démarche en
incitant les Européens à apprendre, d'une part, une
langue de communication internationale, de l'autre, ce
qu'il appelle une
Un tel plan permettrait à la fois d'améliorer la
connaissance de l'anglais, devenue indispensable, et de
renforcer à travers l'Union, selon les choix de chacun,
Thomas Férenczi
Source : Le Monde.fr, le 28 février 2008
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Réaction :
Personne n'a proposé le dollar comme monnaie européenne sous prétexte que c'était la monnaie « internationale », et ce pour des raisons évidentes ; de la même manière, accepter le tout-anglais est suicidaire et aliénant pour l'Europe, qui sera européenne ou ne sera pas ! C'est une langue européenne qu'il faut (ex. : l'espéranto ou un latin simplifié) et pas une langue anglaise ou française ! Quant au strapontin que propose Maalouf à une deuxième langue, c'est un vœu pieux : la langue commune suffit.
La politique permet de transformer le réel. La réalité du tout-anglais est parfaitement inéquitable, et il est saisissant de voir tant de Français s'y résigner benoîtement. Ceux qui croient découvrir là un prétendu sens de l'Histoire sont victimes de vertige, d'une envie morbide de voir la France tomber. Le refus généralisé de voir la nécessité d'une langue commune est responsable de cette situation. Le refus d'admettre que cette langue devrait être anationale est encore plus déraisonnable.
Jérémie.