Sujet :

Un arrêt de la Cour de Justice européenne sur un problème linguistique

Date :

04/12/2007

Envoi d' Anna-Maria campogrande  (courriel : anna-maria.campogrande(chez)skynet.be)

Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez « chez » par « @ ».

 

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
11 décembre 2007 *


« Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne – Article 58 –

Réglementation communautaire – Absence de traduction dans la langue d’un État membre – Opposabilité »


Dans l’affaire C-161/06, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE introduite par le Krajský soud v Ostravě (République tchèque), par décision du 10 mars 2006, parvenue à la Cour le 24 mars 2006,

 

dans la procédure Skoma-Lux sro

contre

Celní ředitelství Olomouc,

 


LA COUR (grande chambre),


composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, A. Tizzano, présidents de chambre, M. R. Schintgen, Mme R. Silva de Lapuerta, M. K. Schiemann, Mme P. Lindh, MM. J.-C. Bonichot (rapporteur), T. von Danwitz et A. Arabadjiev, juges, avocat général : Mme J. Kokott, greffier: M. J. Swedenborg, administrateur, vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 juin 2007,


considérant les observations présentées :
– pour Skoma-Lux sro, par M. P. Ritter, advokát,
 

* Langue de procédure : le tchèque



ARRÊT DU 11.12.2007 – AFFAIRE C-161/06



– pour le gouvernement tchèque, par M. T. Boček, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement estonien, par M. L. Uibo, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement letton, par Mmes K. Bārdiņa et R. Kaškina, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement polonais, par Mmes E. Ośniecka-Tamecka, M. Kapko et M. Kamejsza, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement slovaque, par M. J. Čorba, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement suédois, par M. A. Kruse et Mme A. Falk, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes J. Hottiaux et M. Šimerdová ainsi que par M. P. Aalto, en qualité d’agents,


ayant entendu l’avocat général en ses conclusions, à l’audience du 18 septembre 2007, rend le présent
 

Arrêt


1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 58 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33, ci-après l’«acte relatif aux conditions d’adhésion»), en vertu duquel la République tchèque est devenue un État membre de l’Union européenne à partir du 1er mai 2004.


2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société Skoma-Lux sro (ci-après «Skoma-Lux») au Celní ředitelství Olomouc (direction des douanes d’Olomouc, ci-après la «direction des douanes»), au sujet d’une amende infligée à Skoma-Lux pour des infractions douanières qu’elle aurait commises entre les mois de mars et de mai 2004, au motif que la direction des douanes ne pouvait lui opposer une réglementation communautaire qui n’avait pas encore été publiée en langue tchèque au Journal officiel de l’Union européenne.

Le cadre juridique
La réglementation communautaire
L’acte relatif aux conditions d’adhésion


3

L’acte relatif aux conditions d’adhésion fait partie intégrante du traité entre le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, l’Irlande, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (États membres de l’Union européenne) et la République tchèque, la République d’Estonie, la République de Chypre, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Hongrie, la République de Malte, la République de Pologne, la République de Slovénie, la République slovaque relatif à l’adhésion de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque à l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 17), et fixe les conditions d’admission ainsi que les adaptations des traités sur lesquels l’Union est fondée et que cette adhésion entraîne.


4

Aux termes de l’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion :
« Dès l’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions et la Banque centrale européenne lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte ».


5

L’article 58 de cet acte dispose :
« Les textes des actes des institutions et de la Banque centrale européenne adoptés avant l’adhésion et qui ont été établis par le Conseil, la Commission ou la Banque centrale européenne en langue tchèque, estonienne, hongroise, lettone, lituanienne, maltaise, polonaise, slovaque et slovène font foi, dès l’adhésion, dans les mêmes conditions que les textes établis dans les onze langues actuelles. Ils sont publiés au Journal officiel de l’Union européenne dans les cas où les textes dans les langues actuelles ont fait l’objet d’une telle publication ».


Le règlement n° 1


6

 Selon l’article 1er du règlement n° 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté Économique Européenne ( JO 1958, 17 p. 385), tel que modifié par l’acte relatif aux conditions d’adhésion, les langues officielles de l’Union sont :


« l’espagnol, le tchèque, le danois, l’allemand, l’estonien, le grec, l’anglais, le français, l’italien, le letton, le lituanien, le hongrois, le maltais, le néerlandais, le
polonais, le portugais, le slovaque, le slovène, le finnois et le suédois ».


7

L'article 4 de ce règlement dispose :
« Les règlements et les autres textes de portée générale sont rédigés dans les vingt langues officielles ».


8

L'article 5 dudit règlement énonce :
« Le Journal officiel de l’Union européenne paraît dans les vingt langues officielles ».


9

 Aux termes de l'article 8 du même règlement :
« En ce qui concerne les États membres où existent plusieurs langues officielles, l'usage de la langue sera, à la demande de l'État intéressé, déterminé suivant les règles générales découlant de la législation de cet État ».


10

Aux termes de l’article 199 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire (JO L 253,
p. 1):
« Sans préjudice de l’application éventuelle de dispositions répressives, le dépôt dans un bureau de douane d’une déclaration signée par le déclarant ou par son représentant vaut engagement conformément aux dispositions en vigueur en ce qui concerne :
– l’exactitude des indications figurant dans la déclaration,
– l’authenticité des documents joints
et
– le respect de l’ensemble des obligations inhérentes au placement des
marchandises en cause sous le régime considéré ».
La réglementation nationale


11

L'article 293, paragraphe 1, sous d), de la loi n° 13/1993 (ci-après la « loi douanière ») dispose :
« Enfreint les dispositions douanières celui qui a obtenu le placement des marchandises sous un régime sur la base de documents non authentiques, modifiés
ou falsifiés, ou sur la base de données inexactes ou fausses ».


Le litige au principal et les questions préjudicielles


12

 Skoma-Lux est importatrice et négociante en vins. Le 30 septembre 2004, le bureau des douanes d’Olomouc lui a infligé une amende pour une infraction à la réglementation douanière qu’elle aurait commise de manière répétée les 11, 22 et 23 mars, 6 et 15 avril, 18 et 20 mai 2004. La direction des douanes ayant confirmé cette amende par une décision du 10 janvier 2005, Skoma-Lux a, le 16 mars 2005, introduit contre cette décision un recours en annulation devant le Krajský soud v Ostravě (cour régionale).


13

 Il est reproché à Skoma-Lux d’avoir commis une infraction douanière en présentant des données inexactes concernant la classification tarifaire du vin rouge Kagor VK. La direction des douanes estime non seulement que cette société a enfreint certaines dispositions de la loi douanière, dans sa version en vigueur avant l’adhésion de la République tchèque à l’Union, mais également qu’elle a commis une infraction douanière au sens de l’article 293, paragraphe 1, sous d), de cette même loi, en méconnaissant l’article 199, paragraphe 1, du règlement no 2454/93.


14

Skoma-Lux fonde, en partie, son recours en annulation sur l’inapplicabilité du règlement communautaire aux infractions qui lui sont reprochées, y compris celles postérieures à l’adhésion de la République tchèque à l’Union, en l’absence de publication en langue tchèque des dispositions du droit communautaire appliquées par les autorités douanières aux dates auxquelles les actes litigieux ont été commis.


15

La direction des douanes fait valoir que le ministère des Finances tchèque a publié la version tchèque des dispositions douanières pertinentes sous forme électronique, que Skoma-Lux pouvait prendre connaissance de ces dispositions auprès des services douaniers et que cette société, opérant depuis longtemps dans le domaine du commerce international, connaissait les dispositions communautaires pertinentes.


16

Dans ces conditions, le Krajský soud v Ostravě a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1) Doit-on interpréter l’article 58 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion, en vertu duquel la République tchèque est devenue un État membre de l’Union à dater du 1er mai 2004, en ce sens qu’un État membre peut appliquer aux particuliers un règlement qui, à la date de son application, n’était pas régulièrement publié au Journal officiel de l’Union européenne dans la langue de l’État membre concerné ?

2) En cas de réponse négative à la première question, l’inapplicabilité du règlement en cause vis-à-vis des particuliers est-elle une question d’interprétation ou une question de validité du droit communautaire, au sens de l’article 234 CE ?

3) Dans la mesure où la Cour de justice devait conclure que la question préjudicielle concerne la validité de l’acte communautaire, au sens de l’arrêt du 22
octobre 1987, Foto-Frost (314/85, Rec. p. 4199), le règlement n° 2454/93 est-il nul vis-à-vis de la requérante et de son litige avec les autorités douanières
tchèques, en raison d’une absence de publication régulière dans le Journal officiel de l’Union européenne en application de l’article 58 de l’acte relatif aux
conditions d’adhésion ?


Sur les questions préjudicielles


Sur la première question


17

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 58 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion permet d’opposer aux particuliers dans un État membre les dispositions d’un règlement communautaire qui n’a pas été publié au Journal officiel de l’Union européenne dans la langue de cet État, alors que cette langue est une langue officielle de l’Union.


18

 La juridiction de renvoi constate que la Cour s’est déjà interrogée, dans l’arrêt du 15 mai 1986, Oryzomyli Kavallas e.a. (160/84, Rec. p. 1633, points 11 à 21), sur la question de savoir si l’insuffisance de publication d’un acte communautaire au Journal officiel de l’Union européenne est un motif d’inopposabilité de la réglementation en cause aux particuliers. Dans cet arrêt, la Cour avait tenu compte de l’impossibilité pour les particuliers en cause de prendre connaissance de la réglementation qui leur était opposée.


19

En ce qui concerne l’affaire au principal, la juridiction de renvoi estime que la majorité des intéressés prend connaissance des règles de droit sous forme électronique et que, dès lors, l’absence de publication d’une réglementation communautaire au Journal officiel de l’Union européenne ne la rend pas indisponible. L’Union a, en effet, publié des versions linguistiques provisoires ou provisoirement révisées sur Internet et il est habituel de chercher le droit communautaire dans des bases de données telles que le Service interinstitutionnel de consultation en ligne du droit de l'Union européenne (EUR-Lex).


20

Dans ce contexte, il pourrait paraître légitime d’admettre que l’applicabilité d’une réglementation communautaire non publiée dans la langue en cause soit déterminée au cas par cas, après avoir examiné la possibilité pour un particulier d’avoir effectivement connaissance du contenu du document en cause. Dans une affaire telle que celle en cause au principal, la société requérante ne pouvait qu’être informée dès lors qu’elle opère dans un contexte international et que
l’obligation de déclarer avec exactitude les marchandises importées, correspond à une règle douanière connue dans tous les États membres.


21

 Toutefois, la juridiction de renvoi reconnaît que les principes de sécurité juridique et d’égalité des citoyens sont garantis, notamment, par l’exigence formelle d’une publication régulière de la réglementation dans la langue officielle du destinataire (voir arrêts du 1er octobre 1998, Royaume-Uni/Commission, C-209/96, Rec. p. I-5655, point 35, et du 20 mai 2003, Consorzio del Prosciutto di Parma et Salumificio S. Rita, C-108/01, Rec. p. I-5121, point 89). L’incertitude juridique serait accentuée par la coexistence de plusieurs traductions non officielles présentant des différences.


Observations soumises à la Cour


22

 Skoma-Lux estime que le règlement n° 2454/93 ne lui était pas opposable dès lors qu’il n’avait pas été traduit en langue tchèque. Elle conteste, par ailleurs, l’affirmation selon laquelle elle était censée connaître l’existence de cette réglementation, compte tenu de son activité commerciale internationale.


23

Skoma-Lux soutient qu’elle ne pouvait être au courant, avant la traduction de la réglementation communautaire en langue tchèque, du droit exactement applicable, dès lors que la loi douanière présentait, s’agissant du classement du vin, objet du litige au principal, des divergences avec le code des douanes communautaire. Elle fait valoir, à cet égard, que le nouveau classement, prévu par le règlement n° 2454/93, a été introduit sur sa demande au cours de contacts pris avec la Commission et que, par conséquent, il ne peut pas lui être reproché d’avoir volontairement ignoré cette réglementation.


24

Les gouvernements tchèque, letton et suédois estiment, que, en vertu des dispositions combinées des articles 254 CE ainsi que 2 et 58 de l’acte relatif aux
conditions d’adhésion, l’une des conditions d’opposabilité du droit communautaire aux particuliers dans l'État membre concerné est sa publication régulière au Journal officiel de l’Union européenne dans la langue de cet État.


25

Ils font notamment valoir le respect des principes de non-discrimination selon la nationalité, d'égalité et de sécurité juridique.


26

Ces gouvernements considèrent, en outre, que les versions électroniques des traductions, préalables à la publication électronique du Journal officiel de l’Union européenne, ne présentent pas une sécurité juridique suffisante.


27

 Le gouvernement estonien estime qu'il résulte de l’article 254 CE que la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la législation communautaire dérivée dans les langues officielles des nouveaux États membres constitue, au moment de l’adhésion de ces derniers à l’Union, une obligation pour celle-ci et que l'absence d'une publication de cette nature constitue une violation de cette obligation.


28

Toutefois, le principe de sécurité juridique imposant seulement que les ressortissants d’un État membre puissent connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’une réglementation leur impose, il conviendrait de tenir compte de la possibilité de prendre connaissance des actes juridiques par l’intermédiaire d’Internet. Il en serait ainsi pour ceux qui en sont des utilisateurs et qui sont au courant des modifications apportées dans l’ordre juridique du fait de l'adhésion de leur État à l’Union. Feraient partie de cette catégorie de « ressortissants informés », ceux qui, comme Skoma-Lux, sont quotidiennement confrontés au droit communautaire dans le cadre de leur activité professionnelle.


29

 Pour le gouvernement polonais, à la suite d'une analyse de même nature, un particulier dans un État membre ne pourrait échapper aux conséquences négatives de l’application des dispositions d'un acte juridique qui n'a pas fait l’objet d’une publication officielle dans la langue nationale, que s'il est établi que le contenu de cet acte ne lui était pas connu par une voie différente.


30

Selon la Commission, les dispositions d’un règlement qui, au moment de son application par les autorités d’un État membre, n’a pas été publié au Journal officiel de l’Union européenne, dans la langue officielle de l’État concerné, ne peuvent pas être opposées aux particuliers.


31

Elle propose, toutefois, de tenir compte de la possibilité de prendre connaissance du texte dans une autre version linguistique ou par la voie électronique. Elle rappelle que, dans le litige au principal, le règlement douanier en cause a été publié en langue tchèque sur le site Internet EUR-Lex le 23 novembre 2003, puis sous la forme imprimée le 30 avril 2004 et affiché dans les locaux de l’Office des publications officielles des Communautés européennes (OPOCE). Il a enfin été publié, dans les mêmes termes, dans une édition spéciale du Journal officiel de l’Union européenne, le 27 août 2004.


Réponse de la Cour


32

Il résulte de l’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion, que les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dès l’adhésion. Toutefois, leur opposabilité aux personnes physiques et morales dans ces États est subordonnée aux conditions générales de mise en oeuvre du droit communautaire dans les États membres telles qu'elles sont prévues par les traités originaires et, pour les nouveaux États membres, par l’acte relatif aux conditions d’adhésion lui-même.


33

 Il résulte de la lettre même des dispositions de l’article 254, paragraphe 2, CE, qu’un règlement communautaire ne peut sortir d'effets de droit que s’il a été
publié au Journal officiel de l’Union européenne.


34

 Par ailleurs, il résulte des dispositions combinées des articles 58 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion ainsi que 4, 5 et 8 du règlement no 1, qu’une publication régulière d’un règlement communautaire, pour un État membre dont la langue est une langue officielle de l’Union, doit s’entendre de la publication de cet acte, dans cette langue, au Journal officiel de l’Union européenne.


35

C’est, par suite, dans ces conditions, que les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l'adhésion, par les institutions et par la Banque centrale européenne doivent être mis en oeuvre dans les nouveaux États membres en application de l’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion.


36

Outre la légitimité qu’elle tire de la lettre même des traités, une telle interprétation est la seule compatible avec les principes de sécurité juridique et de non discrimination.


37

 Il ressort, en effet, du point 15 de l’arrêt du 25 janvier 1979, Racke, (98/78, Rec. p. 69), qu'un acte émanant d’une institution communautaire, tel que le règlement en cause au principal, ne peut pas être opposé aux personnes physiques et morales dans un État membre avant que ces derniers aient la possibilité d’en prendre connaissance par une publication régulière au Journal officiel de l’Union européenne.


38

La Cour a jugé que l’impératif de sécurité juridique exige qu’une réglementation communautaire permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose, ce qui ne saurait être garanti que par la publication régulière de ladite réglementation dans la langue officielle du destinataire (voir, également, en ce sens, arrêts du 26 novembre 1998, Covita, C-370/96, Rec. p. I-7711, point 27; du 8 novembre 2001, Silos, C-228/99, Rec. p. I-8401, point 15, et Consorzio del Prosciutto di Parma et Salumificio S. Rita, précité, point 95).


39

 En outre, il serait contraire au principe d’égalité de traitement de faire la même application des obligations imposées par une réglementation communautaire dans les anciens États membres, où les particuliers ont la possibilité de prendre connaissance desdites obligations dans le Journal officiel de l’Union européenne, dans la langue de ces États, et dans les États membres adhérents, où cette prise de connaissance a été rendue impossible en raison d’une publication tardive.


40

 Le respect de tels principes fondamentaux n’est pas contraire à celui d’effectivité du droit communautaire, dès lors que ce dernier principe ne peut pas concerner des règles qui ne sont pas encore opposables aux particuliers.


41

 S’il paraît, en effet, conforme au principe de coopération loyale fixé par l’article 10 CE, que les États membres adhérents prennent toutes les mesures propres à garantir l’effectivité du droit communautaire dans leur ordre juridique interne, il serait contra legem, compte tenu de l’analyse précédente, d’exiger d’eux qu'ils imposent aux particuliers des obligations contenues dans des textes à portée générale non publiés au Journal officiel de l’Union européenne dans la langue officielle de ces États.


42

La position qui consisterait à admettre une telle opposabilité d’un acte qui n’a pas été régulièrement publié, au nom du principe d’effectivité, reviendrait à faire supporter aux particuliers dans l’État membre concerné, les conséquences négatives du non-respect de l’obligation qui pesait sur l’administration communautaire de mettre à leur disposition, à la date de l’adhésion, l’ensemble de l’acquis communautaire dans toutes les langues officielles de l'Union (voir, en ce sens, arrêt Racke, précité, point 16).


43

 Il est vrai que certaines des observations soumises à la Cour font valoir que celleci, aux points 11 à 21 de l’arrêt Oryzomyli Kavallas e.a., précité, s’est interrogée sur la question de savoir si une publication insuffisante du droit communautaire au Journal officiel l’Union européenne devait constituer, dans tous les cas, un motif d’inopposabilité de la réglementation en cause aux particuliers.


44

Mais cet arrêt doit être lu dans son contexte et compte tenu de la question qui était posée à la Cour. Cette dernière a simplement apprécié l’impossibilité pour une société grecque de prendre connaissance de la réglementation communautaire au moment de l’adhésion de la République hellénique aux Communautés européennes. La question de la publication régulière de cette réglementation ne se posait pas, en tant que telle. La Cour a seulement examiné si, au moment de l’adhésion de la République hellénique, une société grecque qui avait introduit irrégulièrement, au regard des règles communautaires, des demandes auprès de ses autorités nationales en vue d’obtenir la remise de droits à l’importation, pouvait toutefois bénéficier de ces remises, compte tenu de la difficulté pour cette société, comme pour l’administration grecque, de prendre connaissance de la réglementation communautaire et d’appliquer sans erreur les nouvelles règles.


45

 La juridiction de renvoi, certains États membres ayant présenté des observations et la Commission font valoir que la société requérante, dans la procédure au principal, était, par nature, informée des règles communautaires applicables, puisqu'elle est un opérateur du commerce international qui connaît forcément le contenu des obligations douanières, à savoir, notamment, l'obligation de déclarer avec exactitude les marchandises importées. Dans un tel cas, la réglementation communautaire, bien que non publiée, devrait s'appliquer, dès lors qu'il pourrait être établi que l'intéressé en avait, en fait, connaissance.


46

Toutefois, une telle circonstance ne saurait suffire à rendre opposable à un particulier une réglementation communautaire qui n'a pas fait l'objet d'une
publication régulière au Journal officiel de l’Union européenne.


47

De même, tant la juridiction de renvoi que certains États membres ayant présenté des observations et la Commission soutiennent encore que les particuliers
prennent désormais couramment connaissance des règles de droit communautaire dans leur version électronique, si bien que les conséquences du défaut de publication au Journal officiel de l’Union européenne devraient être relativisées et qu’il n’y aurait plus lieu de considérer que celui-ci entraîne une indisponibilité desdites règles. La Commission ajoute que le règlement en cause au principal a été rendu public, en langue tchèque, sur le site Internet EUR-Lex dès le 23 novembre 2003, puis sous forme imprimée le 30 avril 2004 et affiché dans les locaux de l'OPOCE.


48

Toutefois, il y a lieu de relever que, si la législation communautaire est effectivement disponible sur Internet et que les particuliers en prennent de plus en plus souvent connaissance par ce moyen, une telle mise à disposition de cette législation ne saurait équivaloir à une publication en bonne et due forme au Journal officiel de l’Union européenne en l'absence, dans le droit communautaire, de toute réglementation à cet égard.


49

 Au demeurant, il doit être souligné que si différents États membres ont adopté comme forme valable une publication électronique, celle-ci fait l'objet de textes législatifs ou réglementaires qui l'organisent avec précision et déterminent exactement les cas dans lesquels une telle publication est valable. Dans ces conditions, en l'état actuel du droit communautaire, la Cour n’est pas en mesure de considérer cette forme de mise à disposition de la législation communautaire comme suffisante pour assurer son opposabilité.


50

 La seule version d'un règlement communautaire qui fait foi est, en l'état actuel du droit communautaire, celle qui est publiée au Journal officiel de l’Union européenne, de sorte qu'une version électronique antérieure à cette publication, même si elle se révèle par la suite conforme à la version publiée, ne peut être opposée aux particuliers.


51

Il convient donc de répondre à la première question que l’article 58 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion s’oppose à ce que les obligations contenues dans une réglementation communautaire qui n’a pas été publiée au Journal officiel de l’Union européenne dans la langue d’un nouvel État membre, alors que cette langue est une langue officielle de l’Union, puissent être imposées à des particuliers dans cet État, alors même que ces personnes auraient pu prendre
connaissance de cette réglementation par d’autres moyens.


Sur la deuxième question


52

 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la non-opposabilité aux particuliers dans un État membre d’un règlement communautaire non publié dans la langue de cet État est une question d’interprétation ou une question de validité de ce règlement.


Observations soumises à la Cour


53

Le gouvernement tchèque se fonde sur la jurisprudence de la Cour pour estimer que l’absence de publication d’un règlement communautaire au Journal officiel de l’Union européenne n’a pas d’influence sur sa validité et que, par conséquent, l’examen des effets de cette absence de publication ne porte que sur
l’interprétation du droit communautaire. La Cour a, en effet, jugé que la validité d’un tel règlement n’est pas affectée par la circonstance que sa publication n’est intervenue qu’après l’expiration du délai fixé, cette tardiveté ne pouvant avoir une incidence que sur la date à partir de laquelle ledit règlement a pu être appliqué ou produire ses effets (arrêt du 29 mai 1974, König, 185/73, Rec. p. 607, point 6).


54

Le gouvernement letton considère que l’inapplicabilité, vis-à-vis des particuliers, d’un règlement communautaire qui n’a pas été publié au Journal officiel de l’Union européenne est une question de validité, car les effets de cette inapplicabilité sont, concrètement, les mêmes que ceux de l’inexistence de ce règlement. Ainsi, pour résoudre un litige porté devant elle, une juridiction nationale devrait considérer que ledit règlement n’a jamais existé.


55

Pour la Commission, qui se fonde sur la jurisprudence de la Cour, la disponibilité du Journal officiel de l’Union européenne dans les différents États membres n’a d’incidence ni sur la date à laquelle un règlement est considéré comme publié ni sur la date à laquelle il entre en vigueur (voir, en ce sens, arrêts Racke, précité, et du 25 janvier 1979, Decker, 99/78, Rec. p. 101). Par suite, l’indisponibilité d’une version linguistique du Journal officiel de l’Union européenne ne pourrait, en soi, compromettre la validité ou la date d’entrée en vigueur de ce règlement.


56

 La Commission estime, par conséquent, que la question de savoir si un règlement est ou non opposable à un particulier quand il n’a pas été publié au Journal officiel de l’Union européenne, est une question d’interprétation du droit communautaire.


Réponse de la Cour


57

La question qui se pose à la juridiction de renvoi est celle de savoir si un règlement qui n’a pas été publié dans la langue d’un État membre est invalide au regard des dispositions des articles 254, paragraphe 2, première phrase, CE, 2 et 58 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion ainsi que 4 et 5 du règlement no 1.


58

Il n'est pas contesté que ces dispositions ne conditionnent pas la validité d’un règlement applicable dans les États membres dans lesquels il a été régulièrement publié.


59

En outre, la circonstance que ce règlement ne soit pas opposable aux particuliers dans un État membre dans la langue duquel il n’a pas été publié, n’a aucune incidence sur le fait que, faisant partie de l’acquis communautaire, il lie par ses dispositions l'État membre considéré dès l’adhésion.


60

L’interprétation combinée des dispositions visées au point 57 du présent arrêt, telle qu’elle ressort de la réponse apportée à la première question, a pour objet et pour effet de retarder l’opposabilité des obligations qu’un règlement communautaire impose aux particuliers dans un État membre jusqu’à ce que ces derniers puissent en prendre connaissance d’une manière officielle dépourvue de toute ambiguïté.

61

 Par suite, il convient de répondre à la deuxième question que, en jugeant qu’un règlement communautaire, non publié dans la langue d’un État membre, n’est pas opposable aux particuliers dans cet État, la Cour procède à une interprétation du droit communautaire au sens de l’article 234 CE.


Sur la troisième question


62

Compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la validité d’un tel règlement communautaire.


Sur la demande de limitation dans le temps des effets du présent arrêt


63

Le gouvernement tchèque propose à la Cour de limiter dans le temps les effets de son arrêt à la date de publication au Journal officiel de l’Union européenne des questions dont elle a été saisie, sans que cette limitation soit opposable aux requérants qui ont déjà attaqué l’application des dispositions non publiées ou qui ont demandé l'indemnisation du préjudice ainsi causé.


64

 Il soutient que les deux critères fondamentaux, déterminants pour la possibilité de se prononcer sur la limitation dans le temps des effets d'un arrêt, sont remplis en l'espèce, à savoir que les personnes concernées ont agi de bonne foi et qu'il existe un risque de problèmes graves, ces problèmes n'étant pas uniquement de nature économique.


65

 Le gouvernement letton fait la même proposition, mais à la date du présent arrêt, afin que ne puissent plus être remises en cause les décisions prises de bonne foi sur le fondement de réglementations communautaires non encore publiées au Journal officiel de l’Union européenne et qui n'ont pas été attaquées par leurs destinataires.


66

 Il estime que tous les États membres qui ont adhéré à l'Union le 1er mai 2004 ont agi de bonne foi lorsqu'ils ont mis en oeuvre des règles communautaires qui, à l’époque, n’avaient pas été publiées au Journal officiel de l’Union européenne. Et s’il fallait, compte tenu du sens du présent arrêt, annuler les décisions administratives en résultant pour défaut de fondement, cela entraînerait un grand nombre de demandes d'annulation ainsi que des conséquences financières importantes, non seulement pour les budgets des États membres, mais aussi pour celui de l'Union.


67

 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel portant sur l'interprétation d'une disposition du droit communautaire, la Cour peut, à titre exceptionnel, par application du principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi (voir, notamment, arrêts du 8 avril 1976, "Defrenne II", 43/75, Rec. p. 455, points 72 à 75, et du 6 mars 2007, Meilicke e.a., C-292/04, Rec. p. I-1835, point 35).


68

 Toutefois, cette jurisprudence concerne un autre cas de figure que celui de l'espèce. En effet, il ne s'agit pas, dans la présente affaire, de la question de la limitation dans le temps des effets d'un arrêt de la Cour concernant l'interprétation d'une disposition du droit communautaire, mais de la limitation des effets d'un arrêt qui porte sur l'opposabilité même, sur le territoire d'un État membre, d'un acte communautaire. Par conséquent, ladite jurisprudence ne peut être transposée en l'espèce.


69

Il y a également lieu de rappeler que, en vertu de l'article 231 CE, la Cour peut, lorsqu'elle annule un règlement, indiquer, si elle l'estime nécessaire, ceux des effets du règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs.


70

Il en résulte qu'alors même qu'un acte est illégal et qu'il est censé n'être jamais intervenu, la Cour peut, en vertu d'une disposition expresse du traité CE, décider qu'il sortira néanmoins légalement certaines de ses conséquences juridiques.


71

Les mêmes exigences de sécurité juridique commandent qu'il en aille de même pour les décisions nationales prises en application de dispositions de droit communautaire qui ne sont pas devenues opposables sur le territoire de certains États membres faute d'avoir été régulièrement publiées au Journal officiel de l'Union européenne dans la langue officielle des États concernés, à l'exception de celles de ces décisions qui avaient fait l'objet de recours administratifs ou juridictionnels à la date du présent arrêt.


72

Ainsi, les États membres concernés n'ont pas, en vertu du droit communautaire, l'obligation de remettre en cause les décisions administratives ou juridictionnelles prises sur la base de telles règles, dès lors qu'elles seraient devenues définitives en vertu des règles nationales applicables.


73

Il n'en irait autrement, en vertu du droit communautaire, que dans les cas exceptionnels où ont été prises, sur la base des règles évoquées au point 71 du présent arrêt, des mesures administratives ou des décisions juridictionnelles, notamment à caractère répressif, qui porteraient atteinte à des droits fondamentaux, ce qu'il appartient, dans ces limites, aux autorités nationales compétentes de constater.


Sur les dépens


74

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :


1) L’article 58 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne, s’oppose à ce que les obligations contenues dans une réglementation communautaire qui n’a pas été publiée au Journal officiel de l’Union européenne dans la langue d’un nouvel État membre, alors que cette langue est une langue officielle de l’Union européenne, puissent être imposées à des particuliers dans cet État, alors même que ces personnes auraient pu avoir connaissance de cette réglementation par d’autres moyens.


2) En jugeant qu’un règlement communautaire, non publié dans la langue d’un État membre, n’est pas opposable aux particuliers dans cet État, la Cour procède à une interprétation du droit communautaire au sens de l’article 234 CE.


Signatures

 

 

 

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