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Réponse et analyse de M. Charles Durand
Seule une francophonie vigoureuse en France peut assurer l’efficacité de l’action linguistique et culturelle des institutions à l’extérieur des zones francophones En tant qu’ex-directeur de l’Institut de la Francophonie pour l’informatique de Hanoï, je me suis senti quelque peu interpellé par l’article de Michel Guillou sur les moyens qu’il préconise pour relancer la francophonie en Asie du sud-est. Monsieur Guillou, ancien recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), est celui qui a imaginé le dispositif de l’AUF pour relancer la francophonie en Asie du Sud-Est au tout début des années 90, après 40 ans d’abandon. La structure de ce dispositif était telle qu’elle devait assurer la réémergence d’une proportion de 5% de francophones choisis parmi les futures élites, par la mise en place d’une continuité parfaite des enseignements en français de l’école élémentaire à l’université au Laos, au Cambodge et, surtout, au Vietnam. À ce dispositif étaient également rattachés deux instituts d’études supérieures, l’un en informatique, à Hanoï, et l’autre, spécialisé dans les maladies tropicales, à Vientiane, au Laos. Pour mieux comprendre ce qui se passe actuellement dans les filières universitaires francophones (FUF) au Vietnam, le pays qui, de loin, pèse le plus lourd dans ce qu’il était convenu d’appeler autrefois l’Indochine, il est bon de se rappeler dans quelles circonstances le Vietnam a rejoint l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en 1993. Dans la ligne du « Doi Moi », le Vietnam, avide d’ouverture, adhérait pour la toute première fois à une organisation internationale. Cette adhésion à l’OIF ouvrait la porte à l’aide internationale que l’AUF était censée apporter sur le plan universitaire. Pour la France, principale bailleuse de fonds de l’OIF, la Francophonie fut conçue à l’origine comme un outil de politique étrangère, pour acheter de l’influence. Actuellement, l’ordre multipolaire préconisé par la France est inspiré davantage par le désir de se tailler une place non négligeable dans un ordre unipolaire défini et administré par les Étasuniens que par un souci d’ordre culturel qui, pourtant, fait ou ferait largement écho, partout dans le monde, au désir, de plus en plus perceptible, exprimé dans de nombreux pays, de se soustraire à la tutelle impériale étasunienne. Dans un tel contexte, acheter de l’influence n’est en rien un but inavouable et si, par la même occasion, un tel effort a également pour résultat de contrer les visées hégémoniques des États-Unis d'Amérique, il ne peut que susciter les applaudissements d’un nombre croissant d’observateurs extérieurs de plus en plus irrités par la politique étrangère des néo-conservateurs qui sont au pouvoir dans ce pays depuis 2001. Pour déterminer si le Vietnam peut servir de partenaire efficace dans un tel dispositif, il n’est certainement pas inutile de faire le bilan de la coopération de ce pays avec les Soviétiques. L’aide russe dans la guerre vietnamo-américaine fut déterminante et, à partir de 1975, les Russes fournirent également une aide colossale dans le domaine civil. Des grands projets de développement d’infrastructures pilotés par les Russes (centrales thermiques, barrages par exemple) furent réalisés. D’innombrables étudiants vietnamiens récipiendaires de bourses offertes par les Russes furent formés à Moscou. Or, aujourd’hui, depuis l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 90, les Russes n’en retirent strictement plus aucun bénéfice. Les Vietnamiens boudent la Russie. L’étude du russe est passée aux oubliettes et les Vietnamiens annoncent d’ailleurs jovialement à qui veut bien l’entendre : « Nous sommes amis avec ceux qui nous donnent des moyens et de l’argent ». Ce pragmatisme cynique et étroit donne une indication claire des retombées potentielles à long terme pour la France des programmes d’aide mis à disposition du Vietnam par l’entremise de l’OIF. Si les diplomates et les hommes d’affaires français espéraient se faufiler à travers les brèches ouvertes par les intellectuels et les enseignants, il est clair que l’influence que peut acheter le dispositif de l’AUF au Vietnam ne peut se pérenniser que dans la mesure où l’aide institutionnelle temporaire se prolonge d’intérêts suscités par une forte présence industrielle et commerciale. Or, cette présence industrielle et commerciale, si elle est indéniable, est néanmoins largement insuffisante pour que tous les jeunes Vietnamiens ayant bénéficié du dispositif éducatif mis en place par l’AUF puissent espérer s’y associer. Si
un francophone n’est pas forcément un ami, nous ne comptons guère
d’amis chez les non francophones, comme je l’ai expliqué dans un
autre article. Si la Francophonie est un outil de politique étrangère, le dispositif de l’AUF demeure ambigu dans ses objectifs. S’agit-il de se faire des amis ou de développer en aval des relations commerciales, ou les deux ? D’autre part, on remarque facilement que, à l’exception des deux instituts d’études supérieures de la région, l’AUF n’a aucun pouvoir exécutif sur ses dispositifs scolaires et universitaires et dépend largement de la bonne volonté des autorités éducatives des pays dans lesquels ils ont été mis en place. Si les propositions de l’AUF ont été agréées au niveau gouvernemental des trois pays de la région, la mise en œuvre des classes bilingues et des FUF a souvent été entravée de diverses manières et, encore aujourd’hui, au Vietnam, l’AUF compte presque exclusivement sur des professeurs vietnamiens rattachés à leurs établissements respectifs pour assurer des enseignements en français qui gardent un caractère totalement artificiel dans la mesure où le français n’est ni la langue des enseignants ni celle des enseignés. Tout
porte à croire que le nombre de francophones formés par le dispositif
mis en place par l’AUF est contrôlé de près par les autorités
vietnamiennes Toutefois,
le plus grave réside dans la remise en question de plus en plus fréquente
de la pertinence des filières francophones, qu’il s’agisse des
classes bilingues ou des FUF, par les Vietnamiens eux-mêmes, dans un
contexte où l’utilité du français est contestée de plus en plus
souvent par les Français dans un nombre croissant de domaines et il est
loisible de penser que la politique culturelle et linguistique mise en
place par la France à l’étranger demeurera en échec dans les pays
non francophones tant que la place du français en France sera empiétée
par l’anglais, par l’entremise de Français eux-mêmes, dans tous
les domaines de pointe et dans un nombre croissant de cas. Plus
particulièrement dans le domaine scientifique, quelle peut être
l’utilité d’une langue que les locuteurs natifs n’utilisent plus
dans leurs demandes de financement à leur propre gouvernement (voir les
règles définies par « l’Agence nationale de la Dans
ces circonstances, on comprend que la tentation est grande d’offrir
des programmes en anglais. Toutefois, cette option est un leurre dans la
mesure Ainsi,
il faut comprendre une fois pour toutes que ce n’est pas notre rôle
de faire la promotion d’un trilinguisme comprenant obligatoirement
l’anglais, Il faut bien avoir conscience du fait que les vrais décideurs de l’AUF sont composés exclusivement de hauts fonctionnaires et dont le parcours professionnel exclu naturellement les situations au cours desquels ils auraient pu acquérir le point de vue d’un étranger. Dans le système qui s’applique actuellement à son recrutement, un haut fonctionnaire ne serait pas fonctionnaire s’il avait été en poste à l’étranger pour travailler au bénéfice d’une entité étrangère, et appliquant nécessairement d’autres critères d’évaluation et d’appréciation. Si l’AUF emploie des contractuels, il s’agit presque toujours de fonctionnaires détachés à titre temporaire, qui travaillent simplement pour une autre entité gouvernementale ou qui est financée de manière directe ou indirecte par un seul et même employeur, c’est-à-dire le gouvernement. Rarement, la réflexion de la francophonie institutionnelle s’enrichit d’apports vraiment extérieurs. Il n’y a que peu d’osmose entre le monde des affaires, l’université et l’administration et il y a exclusion systématique de ceux qui ont une véritable expérience internationale et qui ont pleinement conscience des rapports de force géopolitiques, des enjeux et des compétitions qui s’exercent sur le terrain. Les responsables de la Francophonie institutionnelle fonctionnent en vase clos, ignorants les actions concurrentes des pays anglo-saxons, de celles de la Chine et du Japon et persistent à penser que quelques interlocuteurs vietnamiens francophones leur procureront objectivement les informations essentielles. Quoi qu’il en soit, il est loisible de penser que l’action culturelle et scientifique de la francophonie dans le monde non francophone est vouée à l’échec ou à la stagnation tant qu’elle n’aura aucune signification en France et tant qu’elle sera empêtrée dans des contradictions et des incohérences internes. En Asie, perdre la face signifie que nous sommes quotidiennement et publiquement exposés à nos contradictions, ce qui nous décrédibilise mais aussi nous expose à des quolibets et d’assez nombreuses vexations que nos ambassadeurs doivent certainement percevoir à moins qu’ils n’aient des peaux de crocodile ! Il
y aurait encore beaucoup à dire dans le cadre d’une politique
offensive que la francophonie politique, économique et culturelle
pourrait déployer en
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