« Le Président sénégalais,
membre de l’Académie française, chantre de la négritude et de la
Francophonie, naquit il y a cent ans. Le Président français n’avait
pu aller à ses obsèques. Mais il vient de faire de 2006 l’année
Senghor. En fait : de la Francophonie.
Du
Salon du Livre, en mars à Paris, dédié aux écrivains francophones
hors de France, jusqu’au XIe Sommet de la Francophonie en octobre à
Bucarest, de nombreuses manifestations marqueront cette célébration.
Expositions, réunions, discours inspirés, conférences, colloques,
surtout sur Senghor. Des mots, beaucoup de mots pour célébrer une
grande idée menacée de mort, faute d’actes forts.
Grande
idée. Grande chose à l’état potentiel.
63 membres de plein droit ou observateurs, ou associés, réunis autour
de la langue française en partage, pour affirmer des valeurs de liberté,
d’humanisme, de droits de l’Homme, de démocratie, d’égalité de
dignité des hommes et des femmes, des cultures aussi, et prôner un fécond
dialogue entre elles, et leur solidarité pour le développement. Pour
montrer à l’humanité une autre voie que le tout ayatollah et le tout
coca-cola. Une autre voie, plus conforme à notre humanisme, que le choc
ou conflit des civilisations. Trop de gens, en Amérique, en Orient,
chez nous, présentent comme inévitable, voire salutaire, ce nouveau
conflit mondial. Une Francophonie prise au sérieux en est un antidote.
Tout cela sera répété à satiété dans les célébrations à venir.
Vérité. Que n’y croit-on vraiment !...
Léopold Sédar Senghor en tenue d'académicien
Grande
idée menacée de mort. Première responsable : la France qui ne la
prend guère au sérieux. Nos « élites » ignorent ou nient la demande
mondiale d’une vraie France, renient sa prétention de phare, oublient
sa langue, cultivent la parcimonie dans l’exercice de la solidarité
entre pays francophones, poussent jusqu’à la monomanie le choix de
l’Euraméricanie.
Mais
j’ai fait un beau rêve. Nous sommes en 2007, à la veille d’une élection
en France. Le Sommet de Bucarest est passé, comme les célébrations de
2006 appelées « Francofffonies », des trois « f » qui font « ffft…
». Nos associations, et de grandes voix (Claude Hagège : « Combat
pour le français », O.Jacob) ont été entendues. Ce Sommet de 2006,
dont l’ordre du jour était encore désespérément vide en février
2006, dans l’attente d’évènements graves pour le pimenter, s’est
finalement animé. La France, et plusieurs autres pays à sa suite -
avant elle pour certains - ont accompli des gestes d’une grande portée
symbolique et politique.
D’abord le drapeau de la Francophonie, dont des ministres français
compétents ignoraient jusqu’alors l’existence, a été partout présent.
Quittant les lieux du Sommet, il a flotté dans toute une Roumanie qui
semblait pourtant avoir abandonné le français pour l’anglais. Il est
même apparu simultanément au fronton des sièges du pouvoir dans les
capitales francophones du monde. Et les Chefs de toute la Francophonie
ont décidé que ce drapeau serait désormais en évidence dans toutes
leurs apparitions télévisées dans leurs pays. Ainsi, au Québec, il
flanquerait le fleurdelysé avec l’unifolié canadien, les drapeaux
wallon et bruxellois avec le drapeau belge, et le drapeau français avec
le drapeau européen.
Profitant
d’une révision de sa Constitution, la France y a introduit aussi la
phrase élaborée par nos associations après 1992 avec M. Maurice
Schumann, et rappelée par M. Hagège :
"La République participe à la construction d'un espace
francophone de solidarité et de coopération". Elle a
affirmé ainsi sa volonté souveraine de continuer à « marcher sur les
deux jambes » dans sa politique extérieure, de retrouver son grand
large, de donner à la Communauté francophone la même importance qu’à
une étroite coopération entre États-Nations souverains d’Europe. Le
Québec a annoncé qu’il suivrait dans le projet constitutionnel
qu’il élabore. D’autres membres ont manifesté la même intention.
La
France et la Belgique ont déclaré accorder désormais une priorité très
forte aux pays membres de la Francophonie dans leurs enveloppes d’aide
au développement.
A la demande - enfin osée - de la France et du Québec, tous les autres
gouvernements membres de la Communauté francophone se sont engagés à
donner chez eux à la langue française, dans leur enseignement, leurs médias
et leurs communications officielles, diplomatiques, un statut de droit
et de fait au moins équivalent à celui de toute autre langue étrangère
sur leur sol. Ainsi, en Egypte, en Roumanie ou en Bulgarie qui ont voulu
adhérer à la Francophonie, le français retrouverait un statut égal
à celui de l’anglais.
Le
Canada, la France et le Québec, qui, soutenus par toute la Communauté
francophone, avaient œuvré ensemble pour l’adoption en 2005 par
l’UNESCO de la Convention sur la diversité culturelle, ont obtenu des
60 autres gouvernements qu’ils s’engagent à résister aux pressions
et à la ratifier au plus vite.
Tous
les participants ont soutenu la proposition de M. Maurice Druon de réserver
au français le rôle de langue de référence du droit dans les
institutions européennes.
Les Européens parmi eux ont décidé d’enjoindre à leurs
administrations centrales qui reçoivent de l’Union des documents de
travail uniquement en anglais d’attendre une version française pour
les traiter, en stricte application de la réglementation linguistique
européenne actuellement en vigueur.
Un
vent grisant de jeunesse, de vie, d’enthousiasme, a soufflé alors sur
ce Sommet. De folie ?
Si
cette folie était la voie de la sagesse, d’un sursaut salutaire de
dignité, la place faite par le Verbe à l’Action ? Par les mots
faciles aux actes forts ? La mue du rêve en réalité politique ! »
Albert
Salon, docteur d’État ès lettres, ancien Ambassadeur,
Président de la section française du Forum francophone international