Sujet : 2006, année Senghor, année de la Francophonie !
Date : 18/03/2006
De : Albert Salon (albertsalon@noos.fr)

 

 « Le Président sénégalais, membre de l’Académie française, chantre de la négritude et de la Francophonie, naquit il y a cent ans. Le Président français n’avait pu aller à ses obsèques. Mais il vient de faire de 2006 l’année Senghor. En fait : de la Francophonie.

Du Salon du Livre, en mars à Paris, dédié aux écrivains francophones hors de France, jusqu’au XIe Sommet de la Francophonie en octobre à Bucarest, de nombreuses manifestations marqueront cette célébration. Expositions, réunions, discours inspirés, conférences, colloques, surtout sur Senghor. Des mots, beaucoup de mots pour célébrer une grande idée menacée de mort, faute d’actes forts.

Grande idée. Grande chose à l’état potentiel.
63 membres de plein droit ou observateurs, ou associés, réunis autour de la langue française en partage, pour affirmer des valeurs de liberté, d’humanisme, de droits de l’Homme, de démocratie, d’égalité de dignité des hommes et des femmes, des cultures aussi, et prôner un fécond dialogue entre elles, et leur solidarité pour le développement. Pour montrer à l’humanité une autre voie que le tout ayatollah et le tout coca-cola. Une autre voie, plus conforme à notre humanisme, que le choc ou conflit des civilisations. Trop de gens, en Amérique, en Orient, chez nous, présentent comme inévitable, voire salutaire, ce nouveau conflit mondial. Une Francophonie prise au sérieux en est un antidote. Tout cela sera répété à satiété dans les célébrations à venir. Vérité. Que n’y croit-on vraiment !...

 

 

Léopold Sédar Senghor en tenue d'académicien
 

 

Grande idée menacée de mort. Première responsable : la France qui ne la prend guère au sérieux. Nos « élites » ignorent ou nient la demande mondiale d’une vraie France, renient sa prétention de phare, oublient sa langue, cultivent la parcimonie dans l’exercice de la solidarité entre pays francophones, poussent jusqu’à la monomanie le choix de l’Euraméricanie.

Mais j’ai fait un beau rêve. Nous sommes en 2007, à la veille d’une élection en France. Le Sommet de Bucarest est passé, comme les célébrations de 2006 appelées « Francofffonies », des trois « f » qui font « ffft… ». Nos associations, et de grandes voix (Claude Hagège : « Combat pour le français », O.Jacob) ont été entendues. Ce Sommet de 2006, dont l’ordre du jour était encore désespérément vide en février 2006, dans l’attente d’évènements graves pour le pimenter, s’est finalement animé. La France, et plusieurs autres pays à sa suite - avant elle pour certains - ont accompli des gestes d’une grande portée symbolique et politique.

D’abord le drapeau de la Francophonie, dont des ministres français compétents ignoraient jusqu’alors l’existence, a été partout présent. Quittant les lieux du Sommet, il a flotté dans toute une Roumanie qui semblait pourtant avoir abandonné le français pour l’anglais. Il est même apparu simultanément au fronton des sièges du pouvoir dans les capitales francophones du monde. Et les Chefs de toute la Francophonie ont décidé que ce drapeau serait désormais en évidence dans toutes leurs apparitions télévisées dans leurs pays. Ainsi, au Québec, il flanquerait le fleurdelysé avec l’unifolié canadien, les drapeaux wallon et bruxellois avec le drapeau belge, et le drapeau français avec le drapeau européen.

Profitant d’une révision de sa Constitution, la France y a introduit aussi la phrase élaborée par nos associations après 1992 avec M. Maurice Schumann, et rappelée par M. Hagège :
"La République participe à la construction d'un espace francophone de solidarité et de coopération". Elle a affirmé ainsi sa volonté souveraine de continuer à « marcher sur les deux jambes » dans sa politique extérieure, de retrouver son grand large, de donner à la Communauté francophone la même importance qu’à une étroite coopération entre États-Nations souverains d’Europe. Le Québec a annoncé qu’il suivrait dans le projet constitutionnel qu’il élabore. D’autres membres ont manifesté la même intention.

La France et la Belgique ont déclaré accorder désormais une priorité très forte aux pays membres de la Francophonie dans leurs enveloppes d’aide au développement.
A la demande - enfin osée - de la France et du Québec, tous les autres gouvernements membres de la Communauté francophone se sont engagés à donner chez eux à la langue française, dans leur enseignement, leurs médias et leurs communications officielles, diplomatiques, un statut de droit et de fait au moins équivalent à celui de toute autre langue étrangère sur leur sol. Ainsi, en Egypte, en Roumanie ou en Bulgarie qui ont voulu adhérer à la Francophonie, le français retrouverait un statut égal à celui de l’anglais.

Le Canada, la France et le Québec, qui, soutenus par toute la Communauté francophone, avaient œuvré ensemble pour l’adoption en 2005 par l’UNESCO de la Convention sur la diversité culturelle, ont obtenu des 60 autres gouvernements qu’ils s’engagent à résister aux pressions et à la ratifier au plus vite.

Tous les participants ont soutenu la proposition de M. Maurice Druon de réserver au français le rôle de langue de référence du droit dans les institutions européennes.
Les Européens parmi eux ont décidé d’enjoindre à leurs administrations centrales qui reçoivent de l’Union des documents de travail uniquement en anglais d’attendre une version française pour les traiter, en stricte application de la réglementation linguistique européenne actuellement en vigueur.

Un vent grisant de jeunesse, de vie, d’enthousiasme, a soufflé alors sur ce Sommet. De folie ?

Si cette folie était la voie de la sagesse, d’un sursaut salutaire de dignité, la place faite par le Verbe à l’Action ? Par les mots faciles aux actes forts ? La mue du rêve en réalité politique ! »

 

 

Albert Salon, docteur d’État ès lettres, ancien Ambassadeur,
Président de la section française du Forum francophone international