Sujet :

Allègre, l'anglopathe, a fait encore des siennes !

Date :

06/01/2005

D'Albert Salon (albertsalon@noos.fr)


  À Monsieur Claude Allègre (allegre.express@ipgp.jussieu.fr)

 

  Au nom du FFI-France (Forum Francophone International) que je préside, je m'associe à l'argumentation ci-après de M. Yves Maniette.

Les associations de défense et de promotion du français et de la Francophonie, qu'il vous arrive - avec votre belle assurance dont on se demande sur quoi elle repose - de traiter par le mépris et la dérision, ont participé encore récemment à la publication d'ouvrages sur la forfaiture de certaines de nos « élites ».

C'est le cas ces jours-ci du livre du Professeur des universités Bernard Lecherbonnier : « Mais pourquoi veulent-ils tuer le français  ? », chez Albin Michel, mars 2005. Ce livre a fait l'objet, pendant quelques semaines, d'intéressants développements dans les divers media.

Vous y êtes, ainsi que MM. Rocard, Fabius, et bien entendu M. Jospin, mis à votre juste place, de même que d'autres « élites » du bord apparemment opposé. Ce livre devrait faire quelque bruit.

Cette place qui vous y est reconnue me paraît méritée pour longtemps...

D'autres associations vont vraisemblablement vous écrire dans le même sens. Elles ne veulent pas vous nuire : elles espèrent encore - naïvement ? - vous ouvrir les yeux et vous ramener à la raison.

 

A. Salon, 

Président du FFI-France

 

 

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À Monsieur Claude Allègre, suite à cet article paru dans L'Express (allegre.express@ipgp.jussieu.fr) :



L'anglais dès le primaire

 

« Nous ne sommes pas là pour enseigner un anglais d'aéroport ».  Eh bien si, mesdames et messieurs les professeurs !

Lorsque le ministre de l'Éducation nationale annonce qu'il supprime les travaux personnels encadrés en classe de bac - autrement dit les projets d'étude réalisés par chaque élève sur des sujets mettant en jeu diverses disciplines et donc divers professeurs - pour pouvoir améliorer l'enseignement des langues étrangères en dédoublant les classes de terminale, il se moque du monde ou a été trompé par son monde.

D'une part, il sacrifie un exercice qui favorisait le travail personnel de l'élève et le développement de qualités que l'enseignement traditionnel valorise très peu : imagination, initiative, curiosité, etc. Ces travaux amenaient, en outre, les professeurs de diverses disciplines à se parler. Les corporations disciplinaires ont eu la peau de cette innovation, alors qu'elle était devenue très populaire chez les élèves et permettait de les intéresser au savoir, ainsi que plusieurs livres l'ont montré. On maintient ces travaux en seconde et en première: c'était bien le moins! Mais, comme ils ne comptent pas pour le bac, ils seront faits avec moins de soin. Où auront lieu, à présent, les dialogues philosophie-science et philosophie-histoire, si nécessaires dans nos sociétés sans boussole ?

Le prétexte de l'amélioration de l'enseignement des langues n'est guère recevable. L'enseignement des langues étrangères en France est, sans doute, l'un des plus mauvais du monde. Chacun peut s'en rendre compte avec ses enfants. Le réformer est souhaitable, mais pas avec des mesures alibis.

Dans l'enseignement des langues étrangères, il faut distinguer deux cas : d'une part l'anglais, la langue mondiale de communication, des affaires, de la science, des médias et aujourd'hui d'Internet, d'autre part, les autres langues, certes utiles, mais moins indispensables.

En ce qui concerne l'anglais, on aura tout compris en lisant le communiqué des associations de professeurs d'anglais répliquant à M. Fillon : « Nous ne sommes pas là pour apprendre aux élèves un anglais d'aéroport ». Eh bien si, mesdames et messieurs ! L'anglais est un vecteur de communication désormais universel. De même qu'au Moyen Âge le latin est devenu, sous la même contrainte, un «  latin de cuisine », l'anglais de demain n'aura que peu de rapport avec la langue de Shakespeare ni même celle de Faulkner. C'est aussi inéluctable que la mondialisation. Et cet anglais de communication que parlent les footballeurs français d'Arsenal, qui n'ont jamais fait d'études, et les PDG de nos grandes entreprises, sortant des grandes écoles, il faut l'apprendre dès l'école primaire. Et même, peut-être, dès la maternelle, avec tous les moyens modernes (télévision avec des dessins animés en anglais, Internet mettant en relation classes françaises et classes anglaises, américaines ou canadiennes). C'est le moment d'utiliser l'Europe et de faire en sorte que, dans chaque collège ou lycée, il y ait quelques enseignants anglais permanents, etc. Tout est donc à revoir, tout est à reprendre. Avec, c'est certain, des moyens. Mais le dédoublement des classes en terminale envisagé aujourd'hui est un emplâtre sur une jambe de bois !

 

Source : Lexpress.fr, le 14 mars 2005

http://www.lexpress.fr/idees/tribunes/dossier/allegre/dossier.asp?ida=432103

 

 

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Réponse de M. Yves Maniette :


Monsieur, 

 

Découvrant cet article de « l'Express » dans lequel vous encouragez vos compatriotes à apprendre une sorte d'anglais de cuisine ou d'aéroport dès le plus jeune âge, je me permets de vous renvoyer un autre article écrit par un scientifique français. Mais avant cela, je voudrais rapporter quelques faits concrets, qui pourraient bien être une conséquence des faits exposés plus bas par Laurent Lafforgue.

L'entreprise allemande LEICA est au bord de la faillite, pour n'avoir pas su assez rapidement développer des appareils photographiques numériques de bonne qualité à bon prix. En effet, ces appareils sont fabriqués à partir de techniques développées au Japon, dans un pays où la plus grande partie de la recherche est menée en japonais, et où les sociétés savantes publient leurs revues en japonais. En revanche, l'Académie des Sciences fait publier ses comptes rendus par un éditeur hollandais. Pourquoi, lorsque vous étiez ministre, n'avez-vous pas œuvré pour développer un système de publication scientifique de qualité en français, en France ?

Au sortir de la guerre, les Japonais se sont consacrés à la reconstruction d'un pays exsangue. Aujourd'hui, dans les laboratoires de science des matériaux ou de géologie du monde entier, vous le savez fort bien, les microscopes électroniques portent souvent la marque JEOL et les appareils de diffraction des Rayons X s'appellent Rigaku. Et dans les hôpitaux, les plaques photosensibles réutilisables qui peu à peu remplacent les radiographies argentiques sont, elles, de marque Fuji.

Étiemble rapportait déjà dans ses « Nouveaux essais de littérature universelle » comment l'emploi des idéogrammes n'avait en rien empêché les Japonais de ruiner l'industrie allemande de l'optique.

Voilà quelques exemples, choisis dans des domaines connexes à votre spécialité, mais on peut en citer des dizaines d'autres.

Votre argumentation pour l'anglais par les dessins animés est triste à pleurer. Mais assez, lisez plutôt le texte qui suit.

  Yves Maniette
  http://maniette.com

 

 

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Le numéro de mars 2005 de  la revue « Pour la Science » présente, dans sa rubrique « Point  de vue », une tribune de  Laurent Lafforgue -- un mathématicien -- intitulée « Le français, au service des sciences ».

Je me permets de la reproduire ci-dessous :
Les sciences, dont les  racines sont culturelles, seront d'autant plus créatrices qu'elles  seront conçues et énoncées dans  une pluralité de langues de grande culture.

Les mathématiques sont  quasiment la seule science où,  en France, les chercheurs continuent  à publier  couramment leurs travaux  dans notre langue. On a coutume de  dire que c'est parce que l'école mathématique française occupe  dans le monde une  position exceptionnellement forte qu'elle peut préserver cet usage.  Je suis persuadé que la relation de cause  à  effet  est  inverse :   c'est  dans  la  mesure  où  l'école mathématique française reste attachée au français qu'elle conserve son originalité et  sa force.   A contrario, les  faiblesses de  la France dans  certaines  disciplines scientifiques  pourraient  être liées  au délaissement   linguistique.   Les   ressorts   de   cette   causalité appartiennent non pas à  l'ordre scientifique, mais à l'ordre humain ; elles ont trait aux conditions psychologiques, morales, culturelles et spirituelles qui rendent possible la créativité scientifique.

Sur le  plan psychologique, faire  le choix du français  signifie pour l'école  française qu'elle  ne  se considère  pas  comme une  quantité inéluctablement négligeable, qu'elle a la claire conscience de pouvoir faire autre chose  que jouer les suiveurs et qu'elle ne  se pose pas a priori en position vassale. Bref, ce choix est le signe d'une attitude combative, le contraire de  l'esprit d'abandon et de renoncement. Cela vaut  aussi individuellement :  ainsi,  pour moi,  pendant de  longues années de  travail, une source de motivation  puissante, après l'amour d'un problème difficile et la volonté de percer un peu de son mystère, était le désir d'obtenir une reconnaissance internationale en écrivant dans ma langue, le français.  Bien sûr, un esprit combatif ne garantit pas le succès, mais il est nécessaire : comme dit le proverbe chinois, les seuls combats perdus d'avance sont ceux qu'on ne livre pas.

Sur le plan  moral, c'est-à-dire sur le plan des  valeurs qui est plus important encore, le choix  du français, ou plutôt l'attitude détachée vis-à-vis de la langue  actuellement dominante dans le monde, signifie qu'on accorde  plus d'importance à  la recherche en elle-même  qu'à sa communication. En d'autres  termes, on écrit pour soi-même  et pour la vérité avant d'écrire pour être lu -- l'amour de la vérité passe avant la  vanité.  Il ne  s'agit  pas de  renoncer  à  communiquer avec  les autres : la  science est  une aventure collective  qui se  poursuit de siècle  en siècle,  et même  le plus  solitaire des  chercheurs dépend complètement de tout  ce qu'il a appris et  continue à recevoir chaque jour.  Mais  refuser d'accorder  trop d'importance à  la communication immédiate, c'est se souvenir du sens de la recherche scientifique.

Le plan culturel et spirituel est  le plus difficile à saisir, le plus hasardeux.   Pourtant, il  est peut-être  le plus  important  de tous, celui où il y  a le plus à perdre mais aussi  à gagner.  La créativité scientifique est enracinée dans la culture, dans toutes ses dimensions -- linguistique et littéraire,  philosophique, religieuse même. Werner Heisenberg, fils d'un professeur de  grec et l'un des fondateurs de la mécanique quantique, en a  témoigné dans ses écrits autobiographiques, où il insiste constamment sur  l'importance de la culture générale, du rôle qu'ont joué dans sa  vie de physicien ses lectures philosophiques -- en  particulier Platon,  qu'il lisait  en grec.  Alors,  gardons la diversité linguistique et culturelle dont se nourrit la science.

Dans notre monde industriel, nous  pouvons penser que la science aussi est devenue  industrielle et que  nous autres scientifiques  ne sommes plus que des techniciens interchangeables...  Si nous pensons cela, le destin de la science française est clair : elle tendra de plus en plus à ne représenter dans la  science mondiale que ce qu'autorise le poids démographique de la France, c'est-à-dire...  un pour cent !

Or ce point de vue est faux, ou  plutôt il ne vaut que pour ceux qui y croient. Depuis  toujours, la créativité intellectuelle a  été le fait d'une  proportion   infime  de  la  population   dans  quelques  lieux privilégiés. On ne peut contraindre l'esprit à souffler à nouveau dans notre pays, aussi brillant qu'ait  été le passé de celui-ci ; mais une condition  nécessaire   est  de  faire  résolument  le   choix  de  la singularité, de  l'approfondissement de notre culture,  qui s'est tant distinguée  au  cours  des siècles  et  dont  le cœur est  la  langue française.  Ainsi seulement  garderons-nous  une chance  de rester  ou redevenir  originaux, de contribuer  à la  connaissance, et  d'être au service de l'universalité. 

 


Laurent  LAFFORGUE,  mathématicien,   est   professeur  permanent   à l'Institut des  hautes études scientifiques, 

à  Bures-sur-Yvette. 

Il a obtenu la médaille Fields en 2002.