Sujet : Convention de l'Unesco sur les biens culturels
Date : 30/07/2005
De : Albert Salon (albertsalon@noos.fr)

   

CHALLENGE HEBDO - A. Mignot            

 

Vision d’avenir : La culture, un enjeu commercial mondial

Convention sur les biens culturels de l’Unesco : LES  ÉTATS-UNIS  FURIEUX  ET  ISOLÉS

En octobre prochain, du 3 au 21, la Conférence générale de l'Unesco examinera et soumettra au vote le projet de « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ». Ce projet, qui vise à préserver les industries et biens culturels du tout libéralisme de l’OMC, semble assuré d’une large majorité... et de l’hostilité totale des États-Unis. La bataille est donc loin d’être finie...

De notre correspondant à Paris

Approuvé par 127 pays sur les 135 ayant participé aux négociations de juin, le projet instaure la non-subordination de la future Convention aux traités internationaux existants – et donc, en, particulier, ceux de l’OMC – et répond à trois objectifs autour desquels s’est rassemblée une vaste majorité d’États : affirmer le droit souverain des États à mettre en œuvre des politiques culturelles ; reconnaître la spécificité des biens et services culturels (qui ne sont pas « des marchandises comme les autres », selon l’expression usuelle) ; renforcer la coopération et la solidarité en faveur des pays en développement.
Durant la session de juin, les États-Unis furent le seul pays à s’exprimer ouvertement contre le projet de Convention. Ainsi, dès la clôture des travaux, la délégation étatsunienne a réagi par un communiqué très vif, où l’on pouvait lire, notamment : « L'avant-projet de convention est profondément défectueux et fondamentalement incompatible avec la mission statutaire de l'Unesco de promouvoir la libre circulation des idées par l'intermédiaire des mots et des images (...) Cela entachera certainement la réputation de l’Unesco en tant qu’organisation internationale responsable et sérieuse ».
Cependant, plus d’un diplomate a souri devant cette posture des États-Unis en défenseurs de « la libre circulation » : chacun sait bien, en effet, que s’ils ont réintégré l’Unesco en octobre 2004, après 19 ans de boycottage, c’est justement dans le but manifeste d’empêcher l’aboutissement d’une telle Convention ; d’autre part, ils sont le pays au monde le plus protectionniste en matière culturelle, puisque leurs importations dans ce secteur représentent à peine 2 % de leur consommation globale.

«  Ne pas sous-estimer le pouvoir de pression des États-Unis »

Mais, si les États-Unis semblent avoir perdu cette première manche et “ demeurent fort isolés, leur pouvoir de pression ne doit pas être sous-estimé ”, comme le déclarait le 19 juillet Renaud Donnedieu de Vabres, ministre français de la Culture et de la communication. Selon lui, en effet, le danger pourrait maintenant venir de trois côtés : d’une part, que les États-Unis, faute de réussir à renverser la majorité, obtiennent cependant une rediscussion de l’avant-projet finalisé en juin ; ou bien qu’ils obtiennent que le vote se fasse à l’unanimité, alors que la majorité des deux tiers est officiellement suffisante ; enfin, une fois le projet adopté, les États-Unis pourraient encore essayer par tous les moyens d’entraver sa ratification par différents pays, notamment en passant des accords bilatéraux de libre-échange, ainsi qu’ils ont déjà commencé à le faire...
C’est pourquoi plusieurs pays – dont la France, le Canada, le Québec et l’Espagne – ont d’ores et déjà mobilisé leur réseau diplomatique pour que la Convention, si elle était signée en octobre – à défaut de l’habituel consensus, par un minimum de 127 voix sur 190, selon la règle des 2/3 –, ne soit pas diluée dans un processus de ratification trop long, ou faiblement majoritaire.
À ce jour, les seuls alliés avoués des États-Unis, c’est-à-dire les pays ayant exprimé une « réserve » sur le projet, sont Israël, le Japon, le Mexique, l'Argentine, le Guatemala, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. La Grande-Bretagne et les Pays-Bas, que l'on sait proches des thèses étatsuniennes, n'ont pas dissocié leurs positions de celle de l'Union européenne, qui semble faire bloc. Jusqu’au bout ?


Alfred Mignot 

 


>>> ARTICLE 2 <<<<



Roger Dehaybe, Administrateur général de l’AIF :

 

 «  LA FRANCOPHONIE EST L’INSPIRATRICE DE LA CONVENTION DE L’UNESCO  »



Dans cette bataille de la Convention pour la diversité culturelle, la Francophonie est en première ligne, nous explique Roger Dehaybe, Administrateur général de l’AIF, l’Agence Internationale de la Francophonie.

Un entretien exclusif pour Challenge Hebdo

Challenge Hebdo - En quoi les institutions francophones ont-elles pris une part active à la préparation de cette Convention ?

Roger Dehaybe - Nous nous sommes portés à la toute première place. En fait, nous pouvons dire que la Francophonie est à l’origine même de ce projet de Convention. Rappelez-vous : l’OIF s’est engagée dès 2000 en faveur du dialogue des cultures. Ainsi, en mai 2000, elle a organisé, avec la Ligue des États arabes et l’Institut du monde arabe de Paris, un colloque intitulé « Francophonie – monde
arabe : un dialogue des cultures ». Cette réflexion a donné lieu, en mars 2001, au lancement d’une coopération sans précédent entre les organisations représentatives des espaces hispanophone, lusophone et francophone. Ensuite, en juin 2001 à Cotonou (Bénin), ce furent les travaux de la 3e Conférence ministérielle de la Francophonie sur la culture, qui a mobilisé les représentants des pouvoirs publics, du secteur privé, de la société civile, des artistes et des créateurs. Cette conférence de Cotonou a largement inspiré la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, adoptée à l’Unesco en novembre 2001. L’actuel projet de Convention est directement issu de ce processus.

Challenge Hebdo - Au début, peu nombreux étaient ceux qui croyaient aux chances d’un tel projet. Comment avez-vous fait, concrètement, pour le promouvoir ?

Roger Dehaybe - Concrètement... nous nous sommes totalement investis. Nous avons organisé de nombreuses rencontres internationales sur tous les continents, dans toutes les régions francophones, en rassemblant des hommes de culture, des experts de l’éducation, du commerce extérieur, des affaires étrangères, de la finance... Nous avons missionné des personnalités de premier plan, par exemple des anciens ministres, qui allaient plaider pour la diversité culturelle auprès des chefs d’État, lors des réunions internationales. Nous avons aussi financé un grand nombre d’études, et, durant les négociations à l’Unesco, nous avons bâti une équipe d’experts issus des instances francophones, mais aussi des juristes de l’OMC... Bref, je crois pouvoir affirmer que nous n’avons rien laissé au hasard. D’ailleurs, à l’Unesco, chacun sait bien que le combat pour la diversité culturelle, c’est nous qui l’avons mené, nous les Francophones !

Challenge Hebdo - On sait que les États-Unis sont très dépités par le bon avancement du projet. Pensez-vous qu’ils pourraient réussir à retourner la majorité ?

Roger Dehaybe - Au moment où nous parlons, quelque 170 pays sur 190 votants se disent favorables au projet de Convention. Cela fait tout de même une belle marge pour conserver la majorité jusqu’au bout !


Le marché de la culture :des milliards par centaines...


• Pour les États-Unis, les exportations annuelles de biens et d’industries culturelles représentent actuellement quelque 90 milliards de dollars. C’est leur 1er poste d’exportation, avant l’armement, et ils bénéficient d’une position ultra-dominante, par exemple dans le cinéma et l’audiovisuel  : d’après l’Unesco, en l’an 2000, 85 % des films diffusés en salle dans le monde étaient produits dans les studios d’Hollywood et 50 % des fictions diffusées à la télévision en Europe étaient d’origine américaine, cette proportion atteignant 67 % en Italie.
• Toujours selon l’Unesco, le commerce international des biens culturels est passé de 48 milliards de dollars US en 1980 à 214 milliards de dollars en 1998. Depuis, cette croissance s’est encore accélérée, notamment grâce au fort développement de tous les produits (DVDs, jeux, didacticiels...) liés à l’informatique et à l’Internet.