Sujet :

L'anglais, langue d'incompréhension en aviation.

Date :

30/06/2003

De Benoit Calmels (benoit.calmels@airbus.com)


Le monde de l ' Espéranto N°533. mars-avril 2002

 

Il s'en est fallu de peu que deux avions de chasse n'abattent, le 12 mars dernier, un avion de ligne au-dessus de Toulouse, obligeant Lionel Jospin à rentrer de toute urgence à l'hôtel Matignon en raison
de cet état d'alerte exceptionnel.

Le rapport avec l'anglais ?

C'est que, dans un vol intérieur français, un pilote français d'une compagnie française, pour communiquer avec un Français d'une tour de contrôle française, a dû, comme le veut maintenant la règle, s'exprimer en ...anglais ; et que les deux Français ne se sont donc pas compris, ou en tout cas bien mal : pourquoi faire simple (parler français) quand on peut faire compliqué et dangereux : parler anglais entre pseudo-anglophones ...de même langue maternelle !

Rappelons les faits, rapportés aussi bien par FR3 et M6 qu'Europe 1..., mais sur  lesquels, semble-t-il, la presse est restée très discrète (auto - censure envers les méfaits de l'imposant « amer-anglais », dont il serait incorrect de dénoncer le rôle dangereusement envahissant ?).

L'effrayant engrenage :

Tout commence, somme toute, par un incident plutôt banal : sans doute un câble électrique qui chauffe, en tout cas une odeur suspecte de plastique grillé, peu après le décollage à Toulouse, sur le vol 6135 d'Air France, un mardi après-midi. Le pilote décide donc tout bonnement de faire demi-tour pour revenir se poser sur l'aéroport de départ et en informe la tour de contrôle de Bordeaux. Il a suffi de deux syllabes mal prononcées ou mal comprises (l'un n'empêchant pas l'autre, bien sûr), pour déclencher le drame : « feu à bord » (en anglais "fire on board", paraît-il) se transforme en :  « cinq hommes à bord » (" five men ... "), d'où une procédure antiterroriste exceptionnelle : l'armée, immédiatement contactée, procède à « la mise en alerte de moyens aériens » tout en avertissant le Premier ministre, et deux avions de chasse décollent aussitôt de Bordeaux pour aller à la rencontre de l'A-320, transportant 148 passagers,
prêts à l'abattre au cas où... Jospin quitte en toute hâte son QG...de campagne présidentielle, le trafic de l'aéroport Toulouse - Blagnac est entièrement suspendu. Mais tout est bien qui finit bien : le malentendu est dissipé juste à temps, l'avion se pose sans aucun dommage, les passagers sont évacués et prennent le vol suivant .

Mieux vaut ne pas imaginer ce qui se serait passé si l'un des pilotes de chasse, manquant par exemple de "self - control".

L'anglais a encore failli faire plus de 150 victimes comme disent les Anglais, avait tiré, au-dessus de Toulouse qui plus est ? AZF et ses trente morts ne serait plus qu'une plaisanterie vu l'ampleur qu'aurait pu prendre cette catastrophe, qui n'est passée qu'à un doigt des passagers et des Toulousains : celui, peut-être déjà crispé sur le bouton de déclenchement du missile, des deux pilotes de chasse.

Langue catastrophique ?

Cette fois-là encore, plus de peur que de mal ; mais la plus grande catastrophe de toute l' histoire de l'aviation, 583 personnes brûlées vives à Tenerife (Canaries) en 1977, a elle aussi été due à une utilisation fautive de l'anglais.

L'une des dernières, 80 morts (en 2000, à Taïwan) : le pilote a pris la piste « 5R » au lieu de la « 5L », erreur fatale...

Et souvenons-nous aussi qu'il y a eu 180 morts en Corse, en 1981.

Et dans près de 11% des cas c'est la confusion d' expressions ou de syllabes anglaises qui est responsable des accidents d'avions : plus d'une fois sur dix !
N'allons pas imaginer qu'en réservant dans le monde entier l'emploi de pilote à des "Native American Speakers" on résoudrait le problème : 429 fois au cours de l'année passée des pilotes américains ont compris de travers ce que leur disaient en américain des tours de contrôle américaines, et amorcé des manœuvres dangereuses . . . *

En guise de conclusion...

Notons que l 'Alpha, publication de l'Association des Anciens élèves de l'École militaire de l'Air, vient de consacrer cinq pages à un premier article, à suivre, intitulé : « L 'espéranto, langue seconde universelle ». Christian Lavarenne

* Voir l'hebdomadaire Aviation Week, v. 87, n° 2, p. 36 ; et Fatal Words : Communication Clashes and Air craft Crashes ( Univ. of Chicago Press, 1994a; ainsi qu'un dossier détaillé sur la question ...mais aussi en anglais, par Kent Jones: " Misfunctional  FAA phraseology", sur www.esperanto-sat.info ; et la dépêche d'Europe 1, sur : www. europe 1 . f r / infos /depeche . jsp ? idboitie r = 221867 & chaine = 0

Ce n'est pas la première fois.

Voici le témoignage de Guy Touzé, ancien pilote (espérantophone) de l'Armée de l'Air (Chasse, Hélicoptère ) :
« J'ai été formé dans les écoles américaines. Sur la base où j'étais ( ... ), pour une raison de retard dans mon programme j'ai dû effectuer une mission un samedi. J'appelle la tour de contrôle pour autorisation de décollage : "Air force (et mon identifiant), take-off clearence ". La réponse aurait dû être : "Clear to take-off" (autorisé à décoller) ou : "Stand by" (restez en attente) ; or elle fut : "Hold clear" (laissez la piste libre), et j'ai compris "All clear" (c'est libre) : j'ai pénétré sur la piste alors qu'un appareil était en phase d'atterrissage ! Il s'en est fallu de quelques « pieds » que je ne puisse vous raconter cela aujourd'hui ... "