Sujet :

 Halte au pananglicisme !

Date :

 03/12/2003

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FRANCOPHONIE : Les langues dans l'Union européenne

Halte au pananglicisme !

Par Paul-Marie Coûteaux *

[ Le Figaro, le 03 décembre 2003]

Les Français connaissent peu le Parlement européen, son rôle, son fonctionnement, et son énorme productivité, paperassière du moins. Ils ignorent aussi la situation véritable de la langue française : ils s'imaginent que leur langue,
le français, y prédomine. Ce fut certes le cas pendant longtemps ; ce n'est plus le cas. Deux incidents récents en témoignent éloquemment.

L'un a eu lieu en séance plénière, à Strasbourg, le 24 septembre vers midi. Comme il arrive quelquefois, un amendement de séance (en l'occurrence sur le rapport Gil Roblès relatif à la Constitution européenne) fut déposé par l'un des deux grands groupes la veille au soir. Cette procédure est conforme à un article du règlement du Parlement mais, comme il est impossible de le traduire dans les onze langues de travail et de le distribuer à tous les députés dans la matinée, elle aboutit à violer l'article 117 du même règlement, qui fixe que «tous les documents du Parlement sont rédigés dans les langues officielles»
C'est ainsi que nous avons voté un texte disponible en une seule langue, l'anglais. L'argument étant particulièrement complexe, un très grand nombre de députés ignoraient le sens de ce qu'ils ont ainsi voté.

Le second incident eut lieu à Bruxelles, le mercredi 10 septembre, en commission des affaires étrangères. À l'ordre du jour figurait une résolution importante, relative à la situation en Irak. Las ! La version distribuée le matin même aux députés, et la seule encore disponible à l'heure du débat et du vote, est en anglais, en infraction avec le susdit article 117. L'auteur de ces lignes demande la parole pour pro tester ; la présidente, la députée britannique Nicholson, ne me la donne pas, laissant intervenir plusieurs députés sur le fond et non sur la question linguistique – à la seule exception d'une députée allemande du groupe communiste qui fait observer qu'à la mainmise américaine sur l'Irak correspond celle de l'anglais sur notre Assemblée...

Mais elle ne demande pas pour autant, comme il se devrait, la suspension de la réunion. En 2001, au sein de la même commission, j'avais demandé et obtenu la suspension des travaux jusqu'à ce que le texte à voter soit traduit en autant de langues que nécessaire. Deux ans plus tard, la situation s'est à ce point dégradée que je n'obtins le micro qu'après le vote, pour une protestation formelle à laquelle il me fut répondu que l'unilinguisme anglais était justifié par l'urgence. Excuse inacceptable : la résolution ayant été déposée l'avant-veille lundi 8, il restait quarante-huit heures pour la traduire et la distribuer aux membres, chose fort aisée s'agissant d'un texte de cinq pages et demie.

Il se trouva que, peu après, je rencontrai Noëlle Lenoir, ministre délégué aux Affaires européennes, et que, en compagnie de plusieurs de mes collègues, nous lui avons relaté l'épisode. Accablement, protestation, résolution d'évoquer cette affaire «au plus au niveau». On s'alarma d'autant plus que la perspective de l'élargissement, dès l'an prochain, compliquera encore le travail de traduction au bénéfice du tout anglais.

Une véritable politique consisterait à faire adopter en Conseil européen une règle comparable à celle de l'ONU (soit deux langues de travail, le français et l'anglais), quitte à ajouter l'allemand, et peut-être l'espagnol. Ce sont là quatre langues internationales. Mais, pour faire prévaloir ce simple bon sens, il faudrait un peu de cette volonté politique qui partout fait défaut.

L'affaire le mériterait à double titre ; si vraiment nos députés doivent parler anglais pour, à tout le moins, savoir de quoi ils discutent et sur quoi ils votent, ne vaudrait-il pas mieux, en juin prochain, supprimer les élections européennes au suffrage universel et les remplacer par un examen en anglais, afin d'envoyer les mieux notés à Bruxelles et à Strasbourg ?

Le second aspect est plus politique. «Après l'abandon de la PAC et l'effacement de Strasbourg, me dit l'un de mes collègues, favorable – contrairement à moi – au schéma fédéral européen, si en plus le français disparaît, comment allons-nous vendre à nos électeurs l'idée même d'Europe ? »

 

* Essayiste et homme politique français.

 

 

 

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