Sujet : Pétition pour le français !
Date : 26/08/2005
Envoi de la Commission 2005 de français moderne (languefrançaise2006@yahoo.fr)

                   

Le nouveau président de l'Agrégation de lettres modernes, M. l'Inspecteur général Philippe Le Guillou, a décidé de réduire de moitié le nombre de spécialistes de grammaire siégeant à l'oral. Pour protester contre cette décision personnelle, prise sans  concertation et en dépit des objections aussitôt formulées, Gilles Philippe,  président de la commission, a présenté sa démission.   Les membres de la commission 2005 qui sont encore
 membres du jury ne se satisfont pas de la  réponse brutale, voire méprisante, qui a été faite à  Gilles Philippe.

 Face à  une décision aussi arbitraire que contestable, ils ont décidé d'adresser à  M. Le Guillou une lettre ouverte, soutenue et signée  par tous les collègues  universitaires qui le souhaitent, enseignants en linguistique, stylistique, langue française ou littérature, anciens membres du jury ou non. L'enjeu est clairement la place de l'étude de la langue dans les futures agrégations de lettres. 

Nous vous adressons ci-joint le texte de la lettre ouverte. Elle sera envoyée aux alentours du 10 septembre au président du jury, à la doyenne de l'Inspection générale et au cabinet du Ministre, et sera ensuite rendue  publique par tous les moyens possibles. Pour figurer parmi les signataires de cette lettre  ouverte, il vous suffit d'envoyer un courriel à l'adresse suivante :

 languefrancaise2006@yahoo.fr, en indiquant « Je souhaite figurer parmi les signataires de la lettre », avec vos nom, qualité, lieu d'exercice ; pour les anciens membres du jury, préciser la période d'activité.
 
 Merci de votre soutien.


 
 Les membres de la commission 2005 de français moderne à l'unanimité : 

Claire Badiou-Monferran, Éric Bordas, Philippe Caron,Thomas Clerc, Lucile Gaudin, Anna Jaubert, Gérard Milhe-Poutingon, Éric Pellet, Gilles Philippe, Valérie Raby, Christelle Reggiani, Mireille Ruppli.
 



LETTRE OUVERTE À M. L'INSPECTEUR GÉNÉRAL PHILIPPE LE GUILLOU


 

Monsieur le Président,


 

À la suite d’une directive ministérielle limitant à quatre membres les commissions d’oral des concours d’agrégation externe, vous avez décidé de réduire de moitié le nombre des spécialistes de langue française à l’oral de l’agrégation externe des lettres modernes, dont vous venez de prendre la présidence. Membres du jury d’agrégation, anciens membres, ou enseignants à l’Université en grammaire, stylistique, linguistique, ou littérature, nous vous demandons de bien vouloir revenir sur cette décision qui nous paraît lourde de conséquences pour la place de la grammaire dans la formation des futurs enseignants.

Notre collègue Gilles Philippe, qui présidait jusqu’à  présent la commission de français moderne, et dont chacun apprécie la  compétence, la modération et  la courtoisie, a attiré votre attention sur les conséquences néfastes d’une telle décision dès que vous l’avez fait connaître. Il n’a eu pour réponse qu ’une accusation de « fronde » et une demande de démission à peine voilée.  Notre surprise devant ce refus de dialogue, est à la  mesure de notre  inquiétude, car votre décision engage l’équilibre du  jury et la qualité du concours bien au-delà des quatre années de votre mandat. La constitution des commissions B a toujours reposé sur un principe d’ équilibre : 2 membres pour la littérature comparée, 2 pour la littérature française, et 2 pour la langue française. Cet équilibre, garant de jugements équitables pour les candidats, est rompu par le nouveau dispositif. Certes, la règle imposée par le Ministère ne permet pas de  maintenir l’ancien  système, mais puisqu’une commission de littérature  comparée sera créée, et  que les commissions A demeurent exclusivement littéraires, rien n’empêche de conserver la parité entre les spécialistes de littérature et les  spécialistes de langue française dans les nouvelles  commissions B. Ce choix  de rompre l’équilibre vous appartient en propre, c’est pourquoi nous vous  demandons de bien vouloir le reconsidérer, et cela pour les motifs suivants :

En ramenant à 3/30 (soit 1/10e !) le nombre de spécialistes du français  moderne au jury d’oral de l’agrégation, c’est la place  même de l’étude de la  langue française dans les concours que vous mettez en cause. Au moment où tous les rapports officiels tirent la sonnette d’alarme sur la situation de l’enseignement de la grammaire dans les établissements secondaires, cette marginalisation de la langue française au cœur du dispositif de recrutement des futurs enseignants de lettres, va à l’encontre des dernières  orientations ministérielles. C’est au contraire un renforcement de la langue  et des outils d’analyse que l’on attend des  agrégations de Lettres (voir les  propositions faites dans ce sens par les membres de la commission de  français moderne). Il est en effet de plus en plus difficile d’admettre qu’  une bonne version de chinois ou de toute autre langue rapporte plus de points à l’agrégation qu’une bonne copie de grammaire du français moderne, alors que la langue française constitue, avec la littérature, la discipline  qu’enseigneront les lauréats de notre concours.  Cette recomposition contrevient au principe de la double correction, et expose le jury à des recours devant le tribunal administratif. La solution que vous proposez, désigner un enseignant de littérature comme co-rapporteur en grammaire, est, chacun le sait, inapplicable. L’évaluation de la performance des candidats, au niveau de maîtrise  requis, exige une compétence scientifique, que les spécialistes de littérature n’ont pas eu l’occasion d’acquérir, puisqu’ils ne sont jamais en situation de l’enseigner.
 En revanche, les membres du jury de français moderne sont stylisticiens, aussi bien que grammairiens ou linguistes : à ce titre, ils pratiquent la littérature dans les UFR de lettres où ils enseignent. Pour cette raison, depuis toujours, les grammairiens stylisticiens co-rapportent en littérature, tandis que leurs collègues littéraires n’ont jamais co-rapporté en grammaire, et n’ont d’ailleurs jamais demandé à le faire.

Au-delà de l’enjeu disciplinaire, votre option compromet deux principes fondamentaux de l’agrégation : l’équilibre du jury  entre universitaires et non-universitaires, ainsi que le niveau d’exigence requis pour ce concours qui, en Lettres, offre aussi la garantie d’un socle stable au recrutement d’ enseignants du supérieur.

Actuellement les jurys d’agrégation sont composés, à parts égales, d’inspecteurs, de professeurs de classes préparatoires, et d’universitaires : la commission de français moderne étant composée exclusivement d’universitaires, la réduction de moitié des examinateurs en grammaire conduit de fait à une réduction des universitaires. Par ailleurs, la répartition 3 littéraires pour 1 grammairien décalque celle de l’Agrégation interne de lettres modernes, qui concerne des collègues déjà en poste, et qui ne présente pas les mêmes exigences. Faut-il considérer ce choix comme le signe avant-coureur d’autres sortes d’alignements ? Il marquerait alors une dérive de l’agrégation externe, contre laquelle nous ne pouvons que vous mettre en garde.

M. le Président, votre décision dépasse largement le cadre d’un simple remaniement de commission. Elle a été prise sans l’approbation de vos prédécesseurs, et sans la consultation de l’actuelle commission de français moderne. Pour toutes les raisons que nous avons exposées, qui s’ajoutent aux difficultés pratiques déjà signalées par Gilles Philippe dans son courrier de juillet, nous vous demandons aujourd’hui de bien vouloir rencontrer les  membres de cette commission, et de rétablir la parité 2/2 dans les  commissions chargées d’interroger sur l’explication de texte et la grammaire.

Avec tout notre respect, nous vous prions d’agréer, M. le Président, l’expression de notre profond dévouement à la cause de l’agrégation.